Trois pieds chaussés de bottes de cosmonautes se posent de
concert sur le sol martien, dans une envolée de poussière.
Avec
Spirit of Wonder, cycle de bande-dessinées, puis de films d'animation l'uchronie trouve une jolie illustration. Exercice
fort peu pratiqué au cinéma, on peut regarder le plan du jour comme un manifeste du genre.
Le plan
imaginé par Takashi Anno pour figurer le débarquement des premiers hommes sur
la Mars est une reprise évidente de la célèbre image du pied d'Armstrong
laissant l'empreinte de sa semelle sur le sol lunaire. Mais l'uchronie, ici,
est signifiée élégamment par une double variation. Ce n'est plus un seul, mais
trois hommes qui font leur premier pas hors de la navette, et ce n'est plus sur
la lune, mais sur le sol martien que se produit l'exploit. Ce que ce plan ne
nous montre pas, mais dont la révélation constitue la chute du film, c'est que
le voyage sur Mars date de 1958, c'est donc bien une histoire de l'aérospatiale
alternative que nos propose l'anime.
Qui
sont donc ses trois astronautes ? un trio d'amis, et on ne peut l'imaginer à la
seule vision de ce plan, un trio dont tous les membres ont dépassé la
soixantaine. C'est que le projet de l'expédition sur Mars est surtout le prétexte à nous
présenter l'histoire d'amitié qui aura lié ces savants du dimanche pendant plus
de 50 ans. C'est en fait le véritable sens de ce triple premier pas. Si les trois
scientifiques s'avancent de concert, c'est que tous souhaitent à chacun de pouvoir se savoir le premier promeneur sur sol vierge de Mars. De l'uchronie, on
bascule presque dans l'utopie ! D'autant plus que ce voyage, effectué par pur
plaisir, demeurera secret, ses protagonistes n'ayant rien cherché d'autre que
l'accomplissement de leur rêve d'enfance. C'est peut-être là aussi, dans ce
geste en apparence trivial et gamin, que les trois vieux fous révèlent leur
grand sagesse. Sans verser dans un regard trop stéréotypé, permettons-nous tout
de même de voir dans ces figures de vieillards masquant une sagesse
authentique sous la puérilité, quelque chose de typique du
folklore japonais.
Auparavant,
comme des gosses, les trois vieux se seront tout de même copieusement disputés,
avant d'être ramenés à la raison par Windy, la fille d'un des inventeurs, qui
s'agace de leurs chamailleries et les rappelle à l'ordre comme une maîtresse
d'école. "Evidemment, il faut le faire tous ensemble", leur lance-t-elle, exaspérée de devoir formuler une évidence qu'ils sont les seuls à ne pas voir.
En
faisant de Mars l'objectif du premier vol habité hors de la périphérie
terrestre, les auteurs replacent leur récit dans une tradition de l'imaginaire
renvoyant à la science-fiction du début du siècle. Logique, dès lors, que le
voyage se fasse en planant sur les courants de l'Ether, à bord d'un vaisseau
relevant plus du dirigeable steampunk que du traditionnel obus longiligne. Et c'est
un globe martien dessiné selon les cartographies caduques de Percival Lowell
qui tient lieu tout à la fois d'inspiration et de talisman de bonne fortune.
C'est tout cet héritage aujourd'hui relégué au rang des théories invalidées,
mais dont l'influence sur l'imaginaire perdure, qu'Anno parvient à inclure, astucieusement,
dans son projet global. Car le voyage martien fait partie d'une chronologie uchronique ne contredisant pas
totalement l'histoire de la conquête spatiale telle que nous la connaissons. Si
le plan sur lequel je m'attarde aujourd'hui fait immédiatement penser au
véritable alunissage vu par des millions de personnes, il n'est, lui, connu que de ses
seuls protagonistes.
L'existence d'un récit cadre à l'intérieur duquel se déroule l'aventure
martienne dépend d'ailleurs de ce secret, puisque le film débute par une
discussion entre quelques savants, devant un amphithéâtre impatient de
découvrir sous peu, ce que tout le monde pense être les premières images de la
surface martienne prises par les sondes de la mission Viking. La présence parmi
les interlocuteurs de Carl Sagan en personne produit un "effet de
réel" qui par contraste, rend d'autant plus improbable l'aventure dont
nous avons été les complices. Le "Spirit of Wonder" (c'est le nom de
la navette) semble n'avoir été porté que par l'énergie du rêve.
Il y a
en effet beaucoup de magie dans Spirit of Wonder, qui fait bien peu de cas de
la rigueur scientifique ou de la plausibilité du projet du club. Quand un
problème semble se mettre en travers de la route vers Mars, c'est toujours
Windy qui le résous, de la dispute précédant le plan cité aux théories
permettant le déplacement dans l'espace qu'elle est la seule, en fait, à
comprendre, et dont même, elle est à l'origine- le savant génial c'est elle ! Inversion des générations malicieuse, relayée par un humour
particulièrement grivois: les savants sont tous irrécupérablement portés sur la
boisson et l'un d'eux est un obsédé incapable de s'empêcher de soulever les
jupes des serveuses, même si les conséquences sont toujours aussi douloureuses
que cuisantes !
Replacé
dans son contexte, la solennité du geste du trio lorsqu'il pose les pieds sur
la planète rouge cède la place à la complicité malicieuse d'une brochette habituée à surtout
se serrer les coudes pour ne pas dégringoler, ivres morts, dans le ravin. Difficile
de ne pas songer, devant les mésaventures de ces pieds nickelés, au quatuor de Space
Cowboys emmenés dans l'espace par Clint Eastwood, sinon que chez Anno il n'y a
ni désir de revanche, ni tragédie, ni quoi que ce soit à se prouver. Seulement
la fidélité, intacte, à un rêve d'enfant et à un pacte d'amitié
cinquantenaire.
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