Poussé par un irrépressible préssentiment
lui faisant redouter que ses amis soient promis à une mort certaine sans son
aide, Luke Skywalker décide d'abandonner son apprentissage auprès du maître
Yoda, et quitte, à bord de son chasseur aile-X la planète Dagobah. Déçu, Yoda
regarde décoller le vaisseau et partage ses regrets avec son ami Obi-Wan Kenobi
Chef de gare: Ce plan est dans ma mémoire
de cinéphile un des plus importants, et dans mon coeur un des plus chers. Au
delà de sa beauté plastique parfaite à mes yeux, il est la quintessence de ce
qu'est pour moi Star Wars, et le fétiche parfait de la relation que j'ai
entretenu avec ces films.
Matthias : Si je te dis que pour ma
part, si ce plan m'a marqué, c'est aussi pour cette parole prononcée par Luke,
et qui introduit le plan à proprement parler : "Je reviendrai. Je le
promets.", tu ne seras pas vraiment surpris... Je te laisse te reporter à mes
emportements d'hier ! Avec le recul, je crois que ce conflit de loyauté qui
agite Luke m'a ouvert très tôt à une certaine complexité du monde : comment
agir, quand les chemins qui s'ouvrent à nous, auraient tous leur propre légitimité.
Chef de gare : On mesure bien là nos
différentes sensibilités. Je crois que j'écoute à peine le dialogue, dans ce plan, et que je ne vois que ce que nous disent les images.
Donc, à La guerre des étoiles, devenue
aujourd'hui partout et pour tous Star Wars on associe une plastique
foisonnante: foisonnement dans les films, de vaisseaux de créatures, de
couleurs, de lieux et d'intrigues entremêlées. Foisonnement médiatique, puisque
ce qui est devenu une marque est décliné à travers toutes les formes
d'expression et de communication. Et enfin, en conséquence foisonnement
mercantile, tant les images de Star Wars ont envahi le moindre recoin des
espaces ou il est possible de vendre. En fait, partout ou il est possible
d'acheter quelque chose tu pourras acheter Star Wars.
Matthias : Ouais, mais, quand même, c'était
vraiment cool de pouvoir jouer avec toutes ces figurines de nos héros...
Chef de Gare: Ce plan, au coeur de
l'Empire contre attaque, est le contraire de ça. D'abord ce qui est figuré est
radicalement stylisé. Il n'y a pas d'arrière-plan, simplement un fond noir. Les
personnages n'ont pas de couleur propre, il sont monochromes. Seules touches de
couleurs, celle projetées par le vaisseau de Luke qui décolle. A la fin du
plan, quand il est déjà loin on plonge même dans le noir.
Evidemment, la figuration du vaisseau
par les seules lumières projetées sur Yoda repose sur le hors-champ un procédé de
mise en scène à priori totalement contradictoire avec celui, foisonnant, qui
est désormais identifié à Star
Wars.
Et pourtant, il me semble qu'au départ
la modernité de Star Wars, ce qui en à fait
ce coup de tonnerre dans un ciel bleu, c'est justement d'avoir pris à contrepied
les codes du space opera, faits d'accumulations baroques et kitsh, et qui
imposaient de montrer coûte que coûte,
quitte à rendre ridicule ce qu'on essaye de représenter. L'univers de la Guerre
des étoiles, puis surtout, de l'Empire
contre-attaque est avant tout, qu'on ne s'y trompe pas, un univers suggéré. Et
je suis convaincu que c'est la promesse de ce pacte-là qui lia si fortement le
public à ce film.
Matthias : C'est bien là que, nous
autres, "premiers" spectateurs de cette Guerre des étoiles, avons vécus
comme une véritable trahison la relecture qu'a fait Lucas de son oeuvre. En
1999, l'on n'a pu que constater l'immense malentendu qui a fondé notre fameux
pacte de spectateur. Il y a là comme une parenté entre Lucas et Méliès : Lucas
a toujours prétendu que sa première trilogie avait été conçue dans une forme
"provisoire" que la technologie à venir viendrait accomplir - d'où la
fameuse édition spéciale, prélude à la seconde trilogie. Depuis, l'on sait
qu'une troisième version, définitive celle-là, des trois films est venue faire
la "jonction" avec les nouveaux films - et qu'il s'agit désormais de
la seule version "autorisée" par son auteur. Ce que tu décris très
justement, et qui à mon sens donne toute sa force à un univers plastique et
fictionnel suffisamment dépouillé pour pouvoir recevoir toutes nos projections
- ainsi le concept de la Force dans la première trilogie, terme
"totem" vague et tellement séduisant et qui se réduit à une précise
et imbécile explication pseudo-scientifique dans La menace fantôme - participe
du succès inégalé d'un film qui est parvenu à construire de toute pièces une
mythologie pour le vingtième siècle. Il faudrait revenir à ce sujet aux
origines formelles de la série, qui relève plus d'un registre non proprement de
Space Opera mais d'une synthèse de tout une série d'autres genres, ancrés dans
l'histoire "récente" dans laquelle s'inscrit Lucas, homme né dans la
première moitié du XXème siècle (film de guerre, de pirate, noir, etc.). Au
fond, la vraie trahison, c'est peut-être d'être simplement revenu au Space
Opera...
Chef de Gare: Ce qui semblait si
incroyable en 1977 c'était que l'univers de ces personnages semblaient sans
limite, comme s'il existait "en vrai". Je crois que c'est cela qui
m'a rendu cet univers si vivant, et pas du tout, comme semblent se l'imaginer
aujourd'hui beaucoup de fabricants de l'usine à rèves, la qualité réaliste des effets spéciaux. Paradoxalement,
plus Lucas à pu décrire son univers, plus il l'a réduit. Mais à l'époque de ce plan, Lucas faisait,
avec les moyens du cinéma, ce que Tolkien avait réussi en littérature avec les
moyens de l'écriture. Tout l'Empire contre attaque fonctionne de manière cohérente
suivant cette esthétique. Les lieux sont trop blancs, surexposés- la planète
Hoth, ou au contraire noirs, sous-exposés- la planète Dagobah. Trop bas- le
fond du ventre du ver spatial, ou trop haut, la cité des nuages. On peut comparé
avec les décors du Retour du Jedi photographiés en équilibrant ombres douces et lumières
peu marquées, dessinant des horizons balancés, repartissant justement le ciel
et la terre en deux masses. Evidemment, on a finit par préférer, au sortir de
l'enfance, le monde déséquilbré
et envahit par une part manquante de l'Empire contre Attaque, à celui rassurant
et plein du Retour du Jedi.
Chef de Gare : Dans ce plan apparaît
Yoda. Figure centrale et fascinante, il encore aujourd'hui désigné par beaucoup
d'enfants, crois-moi, sous le nom de Maître Yoda. De toutes les créations
de l'univers Star Wars, il fut une des plus difficiles, mais sans doute la plus
géniale. J'évoquais, en
parlant de Spirit of Wonder, la figure du sage-fou, déclinée dans les
pop-cultures asiatiques de 1000 manières, retenons par exemple celle du maître de
Kung-Fu farfelu, de Drunken Master à
Tortue Géniale dans Dragonball. En créant Yoda, Lucas, féru de culture
japonaise s'il en est, s'approprie cette figure. Mais Yoda relève aussi de ce régime
esthétique du hors-champ: le maître, en quelque sorte, est le hors champ du
gnome bouffon. Son masque. ça aussi, c'était une grande part de notre
fascination: les masques et ce qu'ils dissimulent. Trônant sur tous, celui de
Vador dont on a très longtemps fantasmé ce qu'il dissimulait. J'aurais pu
retenir, d'ailleurs, pour l'Empire contre-attaque ce plan inoubliable sur le crâne
à demi dévoilé de Vador, dont l'horreur nous apparaît surtout par le regard que
son propre soldat porte sur lui.
Matthias : Au sujet de Yoda,
n'oublions pas qu'il "fonctionne" aussi dans L'Empire contre-attaque
parce que son hors-champs comme tu dis a à voir avec le fait qu'il est une
marionnette : sa physiologie pourrait-on dire, et donc sa mise en scène,
implique une part d'invisible - et presque de convention - en effet toute
japonaise. Un Yoda "numérique" n'a PAS le corps du Yoda matériel que
rencontre Luke dans l'Empire contre-attaque, corps qui organise l'espace de
l'initiation de Luke. C'est particulièrement visible dans ce plan : la fermeté et,
dans le même temps l'émotion du Maître, ce double sentiment qui fait le Maître,
s'impose par la présence trapue et impassible de la marionnette. Seuls ses yeux
s'ouvrent et se ferment - et là où le fantôme d'Obi-Wan "s'agite" et
semble vouloir retenir Luke par le geste, la force de Yoda, c'est son immobilité.
Il n'y a pas de fragilité chez Yoda - en l'occurence, il y a de la déception...
et tout de même aussi de l'espoir ! Penser Yoda comme un personnage fragile est
un non-sens complet, même du point de vue plastique. C'est apparemment ce qu'a
fini par croire son créateur...
Chef de Gare : La lumière me
bouleverse dans ce plan. Elle nous montre tout de ce qui lie Luke et son maître,
et qui n'a pas été dit. Tout simplement, littéralement, le départ de Luke,
c'est celui de la couleur. L'enfant
quitte le foyer, et la joie s'en va. Et, en voyant le vaisseau partir, on
comprend ce qu'était la vie de Yoda avant qu'il n'arrive: une vie sans lumière,
passée dans le noir à soliloquer avec des spectres- le fantôme d'Obi-Wan Kenobi
est à ses côté après le départ du jeune homme. Avant de sauver Vador, son père,
d'une certaine façon, Luke sauve aussi Yoda, de sa solitude, comme il a d'une
certaine manière sauvé Obi-Wan dans le premier film en venant le sortir de sa
retraite. On reparlera de Luke, c'est le personnage qui me touche le plus: ce
fils dont le destin ne consiste qu'à sauver ses pères. Son destin est tragique
parce qu'il n'a d'autre choix que de réparer ce qui a été brisé avant lui, et
dont il embrasse l'héritage fatal.
Matthias : il est certain que le sens
du tragique contamine tout L'Empire contre-attaque. Probablement est-ce la
raison pour laquelle ce film, des trois de cette série, reste celui qui continue
le plus de nous parler. Et même si à l'époque de sa découverte, l'histoire
d'amour de Leïa et de Solo me passait vraiment au-dessus de la tête... Tu évoquais
tout à l'heure Le Seigneur des anneaux, et dans une certaine mesure, c'est
assez vrai aussi que le récit se structure de la même manière : dès lors que
ces personnages ont quitté Hoth, leurs chemins n'ont plus vraiment vocation à se
recroiser. Luke, Leïa et Solo n'ont en fait rien à faire ensemble - et pour une
part ne font rien ensemble dans ce film, contrairement au précédent, où ils
doivent s'entendre sans cesse, lors même qu'ils poursuivent des buts différents,
voire opposés. Dans l'Empire contre-attaque, cet entremêlement de récits
distincts peut rappeler la progression par groupes séparés de Frodon et de ses
amis. Sauf que dans l'Empire contre-attaque, les personnages semblent en proie
aux circonstances : il n'y a nul choix dans leurs actes, ils vont là où le sort
les conduit. Tout n'y est affaire que d'accidents, de contretemps, d'occasions,
de déconvenue. Conserver sa loyauté à ce(ux) qu'on aime dans de telles
circonstances, voilà, je crois, ce qui me touchait déjà enfant à la vision de
ce film. Une certaine vision de la foi...
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