L'un des derniers survivants de la
mission Icarus II, Capa, engoncé dans son scaphandre spatial, n'a que
quelques minutes pour quitter son vaisseau spatial et se hisser à
bord de la fusée qui doit rejoindre la surface du
Soleil. Au moment de franchir le sas, il trébuche et telle une tortue retournée
sur le dos, ne parvient pas à se relever. La panique
l'envahit.
La voix, grave et cérémonieuse,
qui résonne lors de l'ouverture de Sunshine pour nous
raconter la situation désespérée de cette mission de sauvetage de
notre Soleil moribond - tout au moins du point de vue de notre bonne vieille
Terre - se présente comme celle de Robert Capa, rien
de moins. Bien sûr, il s'agit d'un homonyme, mais tout
de même, ouvrir son film par le petit laïus
d'un personnage qui porte le nom du photographe pour lequel "si la photo
n'est pas bonne, c'est que vous n'êtes pas assez près
de l'évènement", voilà
qui devrait situer le projet : de l'immersion,
et rien que cela, jusqu'au cœur du soleil ! L'autre nom mentionné
dans cette brève ouverture parlée,
est celui du vaisseau spatial lui-même, l'Icarus II, dont il va très
vite apparaître qu'il résume programme même
du film : celui d'un échec, dans les grandes largeurs,
lorsque l'on pensait atteindre les étoiles.
Une chute, mais vue et vécue
depuis son cœur, c'est ainsi que va se révéler ce Sunshine dès
ses premiers instants, et le moindre que l'on puisse dire, c'est que Dany
Boyle, en garnement propret qu'il est depuis ses débuts,
va déployer ce programme avec une jubilation pourtant toute
nihiliste. On avait déjà croisé le couple Dany Boyle derrière
la caméra / Cyllian Murphy devant, dans le très
remarqué 28 jours plus tard, petit film à
la grammaire déjà fortement immersive - tourné
en vidéo HD et décors "naturels" - qui avait
participé largement, avec le remake du film de Romero par Zack
Snyder, à la renaissance du genre dit du "film de zombies",
dont les développements ne sont toujours pas parvenus à
leur terme près de vingt ans plus tard. Peut-être
y avait-il dans cet étrange projet de Space Opera vaguement
hard SF le secret souhait dix ans plus tard, de renouveler un genre une
seconde fois - ambition dont ce nom de vaisseau spatial, Icarus II, reflèterait
assez bien, et au corps défendant de Boyle on s'en doute, la
grande vanité...
Probablement le film est-il pourtant
plus ajusté à son projet que ne le laisse penser
cet avant-propos un peu ironique. Boyle sait fabriquer des images, fortes,
inquiétantes, et paradoxalement très "familières",
ce qui participe du registre quotidien par lequel il prétend
nous immerger dans une situation extraordinaire. Avec des moyens plastiques qui
n'hésitent jamais à surjouer le drame, il sait nous émouvoir,
et comme nous surprendre à s'émouvoir. Il y a quelque chose de
roublard dans son cinéma, c'est certain, mais d'une
roublardise assumée, qui revendique sa tradition
foraine, et qui renvoie au spectateur sa propre difficulté,
désormais qu'il a tout vu, à parvenir à s'émouvoir.
D'une certaine manière, Boyle rejoue là
le principe même du cinéma :
avec ses moyens dont on pourrait penser qu'ils n'auront jamais la capacité
d'autres médiums, et notamment de la littérature en l'occurrence, il ne faut
jamais reculer devant l'excès et l'emphase. Le cinéma
est l'art de la fanfaronnade, assumons-le. Vous souhaitiez une expédition
sur une planète exotique, Boyle vous offre un
voyage jusque sur notre Soleil, vous imaginiez un vaisseau intersidéral,
Boyle vous en propose deux pour le prix d'un, vous méditiez
devant les espaces infinis et leurs abîmes indescriptibles, Boyle convoque
Dieu, le Dernier Homme, Alien et une méga-bombe atomique dans la même
séquence, rien de moins !
Le traitement du son, s'il est tout à
fait soigné, relève de ce même régime,
très casual : toujours plus, mais sans en avoir l'air.
Le double choix de John Murphy, déjà associé à Boyle pour 28 jours plus tard,
et d'Underworld permet d'habiller le film de deux bandes originales, à
la fois lyrique, voire exaltée, pour la première,
et électronique et minimaliste pour la seconde. Ainsi tous en
auront-ils pour leur argent. Sunshine, à l'instar de la plupart des films de
Boyle, apparaît ainsi comme une œuvre qui a la
capacité, paradoxale pourtant, de réunir à peu près tous les spectateurs. Chacun
trouvera dans la musique, dans les différents motifs plastiques, les
personnages et/ou les comédiens (voir par exemple la
distribution très "World-movie" du film),
les morceaux de bravoure (et il y en a un certain nombre !), les ressorts dramatiques,
etc., ce qui lui conviendra et lui permettra de faire l'impasse sur le reste.
De belles musiques, de beaux décors, un scénario à
tiroirs, de quoi le cinéma, soleil déclinant,
aurait-il besoin d'autre pour parvenir à nous émouvoir, nous autres spectateurs insensibilisés
par tant de kilomètres de pellicules ?
Notre petit exercice du mois a ceci
d'assez cruel que le choix d'un plan s'impose quelquefois de manière
évidente à la vision d'un film. Parfois, et
c'est le cas pour ce Sushine que j'estime pourtant tout à
fait depuis que je l'ai découvert un peu par hasard et avec
grand plaisir lors de sa sortie en salles, il est très
difficile de "choisir" un plan, c'est-à-dire de le discriminer. Aucun
ne s'impose comme tel, soit qu'il puisse porter quelque chose d'essentiel du
film, voulu ou non par son auteur par ailleurs, soir qu'il incarne à
un moment donné dans une histoire un peu secrète
de ce cinéma que l'on aime quelque chose qu'il nous semble important
de souligner. Avec Sunshine, tout se passe comme si tout avait déjà
été dit, et que décidément
tout se valait complètement, les plans entre eux comme le
reste. C'est pourquoi c'est plutôt à partir de la bande-son du film que
j'ai cette fois effectué mon choix : à
partir des morceaux de Murphy, pourrait-on dire pour s'amuser, de John pour le
son et Cyllian pour l'image. Ce titre "Adagio in D minor",
qu'accompagne l'image plutôt que l'inverse, lyrique et néanmoins
sirupeux, correspond tout à fait à l'esthétique sérieuse et pourtant de pacotille du
film. Nous ne sommes certes pas ici dans Star Crash, mais tout de même,
il y a comme un "abattement" artistique, sentiment peut-être
inverse d'ailleurs à ce qui motivait l'italien, qui empêche
Boyle d'envisager toute forme nouvelle dans son récit.
Tout se passe comme si à l'instar de l'enchaînement
des catastrophes qui motive le récit du film, toutes les figures obligées
du genre devaient y passer, et s'évanouir dans leur propre vanité.
Trop sérieux pour être pris au sérieux,
voici ce que pourrait être l'adage de ce cinéma,
dont son auteur, à l'image de cet astronaute comme
emprisonné dans le scaphandre qui lui permet pourtant de se mouvoir
dans le vide sidéral, s'empêche,
par sa fascination pour les formes du genre, d'en inventer de nouvelles, se
contentant de les célébrer par l'adagio habituellement réservé
aux mourants.
Alors, certes, ce saut de l'ange, à
la surface du soleil, dont le cauchemar est racontée dans
la partition même de Murphy par la voix de Rose
Byrne, a tout de la prise de conscience de l'aporie dont Boyle semble vouloir
constituer son projet formel. Un Icare qui n'ignorerait pas son destin, mais
dont la beauté serait de tout de même
vouloir tenter l'aventure. Quelque chose d'assez authentiquement romantique
finalement, et qui tranche avec la réalité de ce cinéma -
et son succès éventuel - à la
grammaire foncièrement "survivaliste" et
paranoïaque. Peut-être Boyle s'est-il rendu compte qu'à
vouloir trop toucher le Soleil, il n'est parvenu qu'à nous
enfermer dans la tête de Robert Capa, et qu'on n'a pu y
trouver que sang et larmes, vulgaires fluides corporels...
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