Will Davidge, naufragé sur une planète hostile, regarde atterrir le vaisseau qui, il l'espère, pourra le ramener chez lui.
L'espace, c'est l'océan. Des dizaines de space-opera sont fondés sur cette simple analogie. Flottes, Capitaines, Officiers de pont, Astroports, Vaisseaux peuplent les planètes de galaxies lointaines comme autant d'îles reliées par une mer sans fin.
Avec Enemy mine, l'analogie prise au pied de la lettre permet au film de
se déployer dans un sous-genre du récit d'aventure maritime: la robinsonnade. Le
prototype sur le versant spatial en est peut-être les Robinsons de l'espace (Space Family Robinson), dont sera dérivée
la célèbre série Perdus dans l'espace
(Lost in space). Le comic-book comme la série sont librement
adaptés d'un roman suisse-allemand de 1812, Le
Robinson suisse. La boucle est donc presque bouclée avec le film de
Petersen, tourné en Allemagne à Bavaria Films.
Comme dans toute robinsonnade, le
récit est tendu par un double suspense: les naufragés survivront-ils assez
longtemps pour qu'on puisse les trouver ? Est-ce qu'on les trouvera ?
Conditionnant toutes les émotions des personnages, ces deux questions
aboutissent, quand le réalisateur est habile, à des récits tendus et concrets,
autorisant des traitements à la fois matérialistes- lorsqu'il s'agit de montrer
les solutions trouvées par les naufragés à leur problèmes de survie, et des
approches plus abstraites, lorsque la santé mentale des protagonistes se trouve
affectée par l'isolement.
Le plan tiré du film de Petersen
vient mettre fin à la robinsonnade de Willis Davidge, le personnage interprété
par Dennis Quaid. C'est le moment, qui vient souvent conclure ce type de récit,
où apparaît le vaisseau providentiel, celui qui vous ramènera enfin à votre
civilisation d'origine. Ici, il ne vient pas des flots, bien entendu, mais de
l'espace. Il entre donc par le haut de l'écran, et non en se rapprochant depuis
la lointaine ligne d'horizon. Sur la planète où est échoué Davidge, d'ailleurs,
il n'y a pas d'eau et tout semble désertique. Double convention du space-opera
oblige: la planète est une île, et comme souvent, elle est réduite à un seul
type de panorama: ici un désert rocailleux et rougeâtre, aux reliefs abrupts.
Seul Davidge lui-même correspond directement aux codes de la robinsonnade: il est
vêtu de vêtements en peau, qu'il a visiblement confectionné lui-même, et porte
la barbe et les long cheveux de celui qui n'a aucune raison de soigner son
apparence, puisqu'il n'y a personne sur qui elle pourrait produire un effet.
Le plan fixe choisit par Petersen
suit directement la course des personnages et de la caméra, en vue presque
subjective, des fonds d'une caverne vers le promontoire où, après une coupe,
interviendra le plan cité. il s'agit donc, après nous avoir fait partager au
plus près la fébrilité et l'espoir des naufragés, de prendre un peu de recul
pour composer un plan qui fonctionne presque comme une illustration. Une sorte
d'arrêt sur image qui va rassembler de façon statique tout ce qui a précédé, et
annoncer par ce qui est dynamique dans le cadre ce qui va suivre.
Maintenant arrêtés, les
personnages, par leur immobilité, se fondent dans le paysage. D'une certaine
façon, Petersen nous rappelle qu'ils sont là depuis si longtemps que
littéralement, ils font partie du décor. L'horizon complètement découvert, plein
de vide pourrait-on dire, ne laisse voir que des éléments minéraux. Impossible,
donc, que le moindre mouvement vienne de là. Cet espace ouvert crée chez le
spectateur l'envie de le voir rempli. De ce point de vue, il partage encore une
fois les émotions des personnages. Petersen ne fait pas durer l'attente, il ne
veut pas rompre l'élan établi par le plan précédent. Un mouvement vient briser
l'immobilité du plan.
Une navette spatiale, dont on
perçoit d'abord le feu des réacteurs pénètre par le haut du plan. On remarquera
que Petersen a pris soin de fermer complètement son cadre par un premier plan
rocheux qui emprisonne les deux personnages. Le vaisseau, capable de traverser
cette barrière graphique pour entrer dans leur champ de vision et le nôtre est
donc mis en scène comme le seul moyen pour les personnages de quitter la
planète, c'est à dire de sortir du cadre. Voilà une grammaire cinématographique
classique et élégante, visuellement limpide et forte.
Tout le film est un peu à l'image
de ce plan: une mise-en-scène parlante, à travers des cadres soignés et
composés pour servir la narration. Une histoire en images, ni plus, ni moins, ce
qui en 1985 a déjà quelque chose de suranné, mais pas encore muséifié. Presque
pas d'action, ici, hormis le drame des personnages servis au mieux. On peut se
demander, du coup, quel est l'intérêt du cadre SF du récit ?
Peut-être tout simplement de
revitaliser l'essence de la robinsonnade, en trouvant par le truchement de la
science-fiction un moyen de réactiver un exotisme essentiel au genre. Au
XVIIIème siècle, une île tropicale et des peuplades cannibales avaient de quoi
enflammer des imagination ignorant tout de ces réalités. deux siècles et demi
plus tard, on a tout photographié, tout filmé, tout montré. il n'y a guère plus
que l'imaginaire qui puisse nous emmener ailleurs. Et demain, donc... là où nous
pourrons à nouveau éprouver de l'étrangeté et mesurer au contact d'un authentique
"autre" les valeurs de notre civilisation. En imaginant des paysages
impossibles, des créatures improbables, en cherchant à travers ses images à
nous donner l'impression d'arpenter un monde inconnu mais réel, surtout, en
imaginant comme compagnon du naufragé un être reptilien si loin ( et si proche...)
de l'homme, Petersen redonne paradoxalement toute son authenticité au genre
qu'il revisite.
Au contact d'un monde sauvage, le
civilisé va redécouvrir son identité, mesurer ce qui lui appartient en propre et
ce dont il a hérité. L'héritage dont Davidge se débarrasse, c'est celui qui a
pourtant conditionné jusqu'à présent son existence: la certitude que les Dracs
n'ont rien de commun avec les hommes, et qu'il faut leur faire une guerre sans
merci. C'est le renoncement à cette conviction, l'abandon de valeurs
culturelles au profit de valeurs universelles, pourrait-on dire, que symbolise
le personnage à côté de Davidge. Il
s'agit d'un jeune Drac, que Davidge a adopté à son corps défendant d'abord, puis
pour lequel il finit par devenir un véritable père. Tout, chez les Dracs est
étranger aux hommes: leur morphologie, leur alimentation, leur langage, leurs
croyances...et leur mode de reproduction. Zannis, le jeune Drac, est en fait le
fils du compagnon d'infortune de Davidge, Jerry Sigan. Ennemis forcés à
l'alliance pour surivre, ils ont fini par se lier, jusqu'à ce que Sigan meure
en mettant au monde Zannis. Qui est, par le lien qu'il a tissé avec Davidge le symbole
d'une rencontre possible entre humains et Dracs prêts à s'affranchir des
préjugés séparant les deux races. Il sera l'enjeu du second acte du film, le
premier venant de se conclure par ce plan.
Pour appuyer l'analogie avec le
XVIIIème siècle de Robinson, il n'est pas interdit de voir une touche de
problématique rousseauiste dans l'éducation promulguée par Davidge à Zannis,
auquel il a choisi, en profitant de leur isolement et de leur vie à l'état
"sauvage", de dissimuler la haine que se vouent mutuellement leurs
races. Dans le dernier acte c'est l'autre grande interrogation du siècle des
lumières qui s'invite quand nous découvrons que les hommes organisent l'esclavage
des Dracs.
Le vaisseau providentiel brisant
l'immobilité du plan va aussi briser
l'équilibre auquel Davidge est parvenu. Seul avec Zannis, il avait pu bâtir un
étrange monde idéalisé, dans lequel la question des rapports entre races ne se
pose pas. Or ce vaisseau qui peut ramener Davidge chez lui vient crever sa
bulle: il amène les esclavagistes. Nous ne le savons pas encore. Petersen prend
donc le temps de nous faire éprouver l'articulation de son récit.
Le soin avec lequel il soigne sa composition,
la solennité obtenue par le contraste des personnages, immobiles, et du
vaisseau en mouvement, le cadrage fixe, tout est organisé pour que nous prenions
conscience d'être arrivés à une charnière du récit.
Néanmoins, les personnages
demeurent de dos, le plan dure assez longtemps... Petersen à l'élégance de ne
pas insister, par le jeu des acteurs ou la frénésie du montage, sur
l'importance de la scène. C'est tout à son honneur: sans doute pas un grand
réalisateur, il sait néanmoins raconter une histoire par des moyens simples dont
il est suffisamment sûr pour ne pas les redoubler d'affèteries inutiles. Bien
des génies autoproclamés nous prendront de plus haut sans nous procurer le
plaisir que nous donne cet édifiante robinsonnade spatiale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire