Le
Capitaine George Kirk, afin de protéger la fuite d'une partie de ses passagers,
parmi lesquels sa femme en train d'accoucher, décide de précipiter son
vaisseau, l'USS Kelvin, contre le Narada, vaisseau amiral Romulien en train de
les attaquer. Après avoir vu Kirk verrouiller sa trajectoire pour percuter de
plein fouet l'ennemi, on nous montre l'USS Kelvin se précipiter vers le coeur
du Narada.
6
secondes, au rythme où se découpent aujourd'hui à Hollywood les films à grand
spectacles c'est presque un plan séquence. Et J.J. Abrams, en cinéaste bien de
son temps s'adonne, sur cette pourtant brève durée, à un invraisemblable son et
lumière, nous fournissant l'objet plastique idéal pour dresser un état des
lieux du space-opera cinématographique, plus de 70 ans après sa création, en 1936,
lorsqu'est distribué pour la première fois le serial Flash Gordon.
Et
nous sommes arrivés bien loin de la simplicité toute théâtrale des débuts.
Alors que les déplacements des miniatures rudimentaires ont longtemps imposé le
plan fixe comme meilleur moyen de captation, George Lucas, à l'aube des années
80, grâce au travail acharné d'une poignée de jeunes techniciens et artistes
aux ambitions insensées, va parvenir à dynamiser les affrontements entre
chasseurs stellaires, en prenant pour référence la mise en scène de films de
guerre des années 40[1].
30 ans plus tard, c'est toujours le film de guerre qui est à l'origine de la
mutation plastique du Space opera. En passant par le film d'espionnage et le
dynamitage de la mise en scène des derniers James Bond opéré par Paul
Greengrass dans la série consacrée à
l'espion Jason Bourne, la mise en scène du documentaire sur le vif est
désormais le régime esthétique principal du film de guerre, faisant triompher
le point de vue subjectif sur tout autre. Acmé devenu incoutournable du genre:
la séquence du débarquement de Saving
Private Ryan, ou "le débarquement comme si vous y étiez".
Avec
les trois nouveaux films de George Lucas, La
menace fantôme, L'attaque des clones, et surtout La revanche des Sith, le space opera effectue son grand retour au
cinéma. Or le genre a toujours été très dépendant du succès des films
estampillés Star Wars, et il n'y a
guère que la série des Star Trek qui
puisse lui être comparée, même si son succès et son audience sont bien
inférieurs. Néanmoins, ce n'est désormais plus Lucas qui innove. C'est justement
avec cette réinvention de Star Trek,
et la même année, Avatar, que le space
opera va vivre sa seconde mutation, et devenir lui aussi un genre post-moderne.
Rien d'étonnant, alors, à ce que cette révolution esthétique se soit jouée à la
télévision.
Ironiquement,
c'est pourtant de Star Wars que tout
part encore !
Initiée
dans la foulée du succès de La guerre des
étoiles, avec un partie de ses techniciens et directeurs artistiques, la
série Battlestar Galactica ne trouve,
en 1978 ni son public, ni son ton. Mais sa reprise par Ronald D. Moore en 2003 surprend
et marque par son originalité- à l'échelle
du genre- son ambition et ses choix de mise en scène. Recadrages dans le plan,
caméra tremblée, zooms brutaux, c'est ici qu'on voit utilisée pour la première
fois cette nouvelle grammaire du cinéma d'action dans le cadre d'un récit
d'aventures spatiales.
Metteur
en scène venant lui aussi de la télé, Abrams applique donc à Star Trek les
nouvelles règles du spectacle "immersif". Dans le plan choisi, comme
dans presque toutes les séquences, la caméra tremble légèrement, sans autre
raison que de créer une image supposée plus dynamique, qu'on épousera d'autant
plus instinctivement qu'elle donnerait l'impression d'un enregistrement
"sur le vif". On remarque un très léger travelling vers l'avant, mais
c'est principalement le mouvement des objets à l'intérieur du cadre qui crée
une sorte de montage sans coupe. Ainsi, d'un plan presque moyen du vaisseau USS
Kelvin, on passe à un gros plan de son réacteur, puis à la faveur d'une accélération,
à un plan d'ensemble nous donnant une idée de sa situation spatiale et de sa
taille en regard de celles du Narada. La lumière, sans cesse changeante, joue
le jeu de ce montage "à vue": une explosion efface l'arrière plan,
privilégiant la description du seul Kelvin, puis se disperse pour révéler
l'arrière plan, et permettre de rendre lisible-quoi que presque subliminale-
l'image des deux vaisseaux face-à-face. Ces lumières vont d'ailleurs
constamment baver dans l'objectif-même s'il n'y en a pas- et les techniciens
des effets spéciaux vont s'appliquer à reproduire les multiples aberrations
photographiques qui se produiraient avec de vrais objectifs. Plus ou moins
exposé, le plan passe sur-exposition à une sous-exposition, l'ensemble saisi à
contre-jour.
L'audace
apparente de ce traitement de choc- qu'on songe un instant à la manière dont
Robert Wise filmait l'Enterprise 30 ans plut tôt !- n'est qu'apparente, et
Abrams fait au contraire le choix du consensus. Au fond, il n'a pas d'autre choix.
Dès le départ, l'entreprise de revitalisation de la série impose d'énoncer
clairement, par des moyens plastiques, à quel point Star Trek est devenu
moderne. Mais en 2009, être moderne, c'est être post-moderne. C'est comme ça
qu'Abrams s'impose.
Cinéaste
sans aucune personnalité, l'objet de son cinéma est toujours le cinéma
lui-même, et le film n'est jamais conçu qu'en fonction de l'effet qu'il
produira sur le spectateur, puisque Abrams est avant tout un spectateur sur
lequel on a produit de l'effet. Rien d'étonnant à ce qu'il soit
fondamentalement incapable de concevoir un projet indépendant d'un film
pré-existant. Dans Super-8, qu'il a écrit et qui est le seul de ses films à ne pas
appartenir à une "franchise"[2],
ce qui semble être le seul élément vraiment personnel du récit concerne un
adolescent... qui ne vit qu'à travers sa caméra et son projet de film !
Il
ne s'agit donc jamais, pour Abrams, de s'approprier un film, mais au contraire,
de "rendre" Star Trek aux spectateurs. Autrement dit, les choix de
mise en scène d'Abrams ici ne sont compréhensibles, et ne font véritablement
effet qu'en réponse à la façon dont on s'attend à voir filmé un Star Trek. Tout
est affaire ici de contre-pied, de "twist", et la seule nécessité qui
produise du récit et de la mise en scène est l'étonnement du spectateur qui
doit être permanent. Pas un moment de répit n'est possible. Il faut créer une
"immersion" ininterrompue, car le cinéma à grand spectacle semble
redevenu plus que jamais une attraction de fête foraine. Pourquoi choisir un
cadrage, alors, puisqu'au sein du même plan on peut montrer le vaisseau sous
tous les angles ? Pourquoi décider d'un éclairage, alors que dans le feu de
l'action des éclairs zébreraient l'image en tous sens ? Pourquoi s'en tenir à
une image fixe alors qu'un cadre tremblotant donne tellement mieux l'impression
d'y être ?
Tous
les moyens sont mis en œuvre pour que nos sens soient puissamment captés. Peinant à saisir touts les détails d'une
image sans cesse changeante on est avant tout impressionné par ce qu'on ressent.
Là
où Abrams va marquer sa différence, c'est qu'il veut aussi que notre cœur y
soit. L'immersion ne saurait être que sensorielle, il faut qu'elle soit aussi
sensible. Non par choix du réalisateur, mais par principe, parce que tel est,
pour Abrams, la nature du contrat passé avec le spectateur. Du cinéma XXL, où
toute retenue serait synonyme de vol.
Et
pour nous émouvoir, Abrams a un allié de taille, un collaborateur privilégié,
son musicien attitré Michael Giacchino.
Le
cinéaste se permet donc un joli choix. Sur le plan, mais aussi sur toute la
séquence, les effets sonores sont quasiment absents, au profit de la musique,
mise en avant. Pour le coup, voilà un choix à la fois totalement conventionnel,
et presque à rebours de l'air du temps. Qui n'aurait pas, sur la même scène,
joué l'habituelle surenchère dans laquelle les explosions et les coups de
matraque des percussions se disputent la surdité du spectateur ?
Ici,
non seulement la musique emmène presque seule le plan, mais on lui permet même
de prendre le contre-pied de l'image. Au chaos des effets lumineux et des
mouvements répond une musique élégiaque, dévolue pratiquement aux seules
cordes. Abrams laisse faire son musicien, se plaçant, encore une fois, dans une
position de spectateur de son propre plan...
D'ailleurs,
il y a de quoi être ému: Kirk père, ne pouvant rejoindre sa femme, doit choisir
le prénom de son fils venant de naître alors qu'il s'apprête à se sacrifier, et
qu'il ne peut rejoindre femme et enfant.
Un
père pilote, séparé par une situation dramatique, à laquelle il ne survivra
pas, de sa femme enceinte, un père qui ne verra pas la naissance pourtant
imminente de sa progéniture. Voilà qui devrait rappeler quelques souvenirs au
amateurs de sagas spatiales dynastiques...
Or
dans la Revanche des Siths, justement, Georges Lucas avait laissé son monteur
assembler une belle séquence reliant deux personnages séparés par la grâce du
montage.
Une
séquence muette, portée par la seule musique de John Williams...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire