La navette Columbia vient à la rescousse de la navette Churchill, en perdition à la suite d'une mission d'exploration dans la queue de la comète de Halley durant laquelle son équipage a découvert à bord d'un immense vaisseau extra-terrestre trois corps humanoïdes - dont celui d'une très belle jeune femme - en état d'hibernation dans des caissons en cristal.
Non, je ne me suis pas trompé lors de la capture de l'image du jour ou de son insertion dans les pages de notre blog. Non, le plan que je vais commenter aujourd'hui ne vous est pas présenté à l'envers. Ou plutôt, faut-il peut-être imaginer que c'est tout ce Lifeforce qui est un film à l'envers, une oeuvre des "antipodes", dans laquelle, à l'instar des peuplades médiévales dont on pensait qu'elles peuplaient le dessous de notre Terre plate, l'on marche littéralement sur la tête...
Je continue ici mon exploration de ce cinéma entre deux époques, avec un film très typique d'un certain régime des années 80'. Nous avions eu l'occasion d'évoquer ce passage d'un cinéma de la marge au coeur de l'industrie hollywoodienne lors de nos pérégrinations autour de l'année 1982, il y a trois ans maintenant. Ce Lifeforce, grosse production Cannon, studio pourtant habitué aux budgets minimaux, en représente sûrement l'un des meilleurs exemples. A la manoeuvre, en plus des camelots Globus et Golan aux finances, l'on trouve surtout Dan Alien O'Bannon au scénario, et Tobe Massacre à la tronçonneuse Hooper à la mise en scène. Que ces deux signatures, déjà révérées lors de ces early eighties, aient pu se retrouver embarquées dans une telle entreprise en dit long sur le regard rétrospectif le plus souvent porté sur la décennie précédente : le cinéma de genre, s'il connut un déploiement inédit lors de ces années, n'a cependant jamais complètement rompu avec ses origines triviales, dans lesquelles le cocktail très pulp à base de sexe et de sang demeure central. Lors de cette première moitié de la décennie 80', ce cinéma fait retour à sa source, porté par d'éternels garnements, ceux-là même qui viennent de prendre pour un temps le pouvoir à Hollywood, et que les écrans de fumée de la "culte attitude" ont fini par maquiller en auteurs intransigeants, mais que ce Lifeforce démasque sans complexe.
De quoi est-il question dans ce film à la narration finalement assez classique ? De vampires, et même, implicitement, du plus célèbre d'entre eux, Dracula, mais dans un environnement qui relève à la fois des derniers grands succès du genre, Superman 1 & 2, Alien, The Thing, mais aussi d'une imagerie de série B, comme "déniaisée" au contact du cinéma des années 70', et qui peut laisser libre cours à sa pulsion érotique et néanmoins morbide : le célèbre vampire s'incarne ainsi cette fois dans le corps d'une très jeune femme, la sculpturale Mathilda May, qui va longuement et complaisamment se promener dans son intégrale nudité durant tout le film, traitement impensable dans un film de genre à destination du "grand public" encore dix ans auparavant. Le vampire a laissé sa place à la vamp, le riche costume aristocrate à la nudité provocante, la Transylvanie à la comète de Halley. Si le récit retrouve les éléments classiques du roman de Stoker, et accessoirement de Colin Wilson dont le scénario est directement tiré, ceux-ci se trouvent à la fois subvertis en une inversion dont le propos vise à renouveler le genre, vieux procédé de scénariste en manque d'inspiration, mais aussi amplifiés en faisant retour aux émotions propre au genre, en le déshabillant littéralement, sans crainte d'afficher frontalement ce que l'on sait que le spectateur vient chercher en réalité dans ce type de divertissement obscène.
Toutefois, quelque chose de cette grossièreté permet sans doute de débarrasser l'image de ses afféteries les plus hypocrites. Lifeforce nous raconte exactement ce qu'il nous montre, et c'est là sans doute son plus grand mérite : l'image ne cache rien, elle n'est pas à décoder, elle s'assume comme l'expression, même pauvre, de sa propre force. Le cinéma, c'est l'image, et seulement l'image, pas ce qu'il y aurait derrière, car il n'y a rien derrière elle. Ce "retour à la surface", s'il fait fi d'une certaine histoire du 7ème art, reconfigure le cinéma de genre en medium mainstream et pourtant excentrique, paradoxe qui lui rend une vitalité dont ce Lifeforce apparaît comme une parfaite illustration. Nulle exégèse dans cette manière d'envisager le cinéma, il s'agit d'abord de savoir faire feu de tout bois, pour fabriquer des images fortes, qui impressionneront le spectateur et justifieront les quelques dollars dépensés pour assister à une séance du samedi soir, que viendra remplacer la prochaine séance. Un cinéma sinon sans histoire, tout au moins sans mémoire.
Dans la "queue de comète" de ce cinéma des années 70' qui retrouve la vivacité de ses origines foraines, l'on trouve donc ce vaisseaux intersidéral en forme d'artichaut, au sein duquel reposent des monstres fort séduisants. L'envers d'un certain cinéma bien ordonné, dont ce plan, avec son pilote issu de minorités qu'il s'agit maintenant d'enfin exposer, pourrait apparaître comme le manifeste. Les quelques mots "historiques" que prononce le pilote lors de ce très bref plan sont éloquents quant à cette "pirouette" esthétique : "Houston, we have a problem" - en effet, l'image est à l'envers, et il semblerait que personne ne s'en soit aperçu pourtant. Les quelques minutes qui se sont écoulées depuis le début du film nous ont déjà présentées comme une version accélérée d'Alien : la découverte, puis l'exploration de l'astronef extra-terrestre, et le premier contact avec les créatures de l'espace, et surtout cette fameuse "space girl" qui pourrait être une Hélène Ripley débarrassée de ces affectations, assèche la capacité dramatique du récit. Maintenant que tout est dit, en effet, nous avons un problème : comment tenir la centaine de minutes qu'il nous reste à assumer ? Ne reste plus qu'à persévérer dans ce chemin de l'image pour l'image, en surface. Toute situation va désormais se décliner plastiquement sur le registre du fétiche percutant : les effets spéciaux, au côté de la nudité, trouvent là toute leur place. Des corps, magnifiés, affreux, retournés, excitants, et rien que cela, voilà ce que l'on retrouve avec ce cinéma impur, qui a pris acte que l'érotisme tout autant que la terreur se fonde d'abord et avant tout sur l'image et rien d'autre.
L'on pourrait imaginer facilement le remake d'un tel film aujourd'hui, tant ses motifs continuent d'entrer en résonance avec nos icônes contemporaines. Une certaine imagerie, aujourd'hui très présente sur les networks télévisés mais aussi et surtout sur internet, se trouve déjà dans ce Lifeforce aux collisions plastiques significatives : la femme nue en public, l'attaque due hordes de mort-vivants, le dessèchements jusqu'à l'explosion des visages et des corps, la peur panique du virus, le mysticisme vaguement gothique etc. Voyez par exemple la série The Strain par Del Toro... Mais la simplicité formelle du film de Hooper, son dépouillement, même à 25 millions de dollars !, s'origine dans le genre dès son apparition sous sa forme la plus populaire, lorsqu'il s'agissait de substituer à la pauvreté des conditions de production la profusion des motifs et des enjeux. Rien de bien neuf sous le soleil finalement, même après le bouleversement des années 70'. Au fond, la vraie "révolution" du plan du jour n'est pas tant le retournement de l'image - peut-être simple prise en considération d'un renversement qui permet surtout de revenir au formes originales de ce genre de cinéma - mais certainement beaucoup plus le fait que le pilote de la navette Columbia peut désormais être issu des "minorités visibles", terme signifiant s'il en est au cinéma...
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