Wallace
et Gromit viennent d'arriver sur la Lune pour un pic-nic. Wallace s'amuse avec
son ballon, qu'il jette en l'air... et ne récupère jamais, gravité oblige !
Nous en sommes déjà à trois
explorations lunaires, au moins deux martiennes, plus quelques-unes d’astres
plus lointains et franchement nébuleux. Tous ces voyages comportent leurs lots
de surprises et d’extravagances, parfois sous le couvert de représentations
prétendument
documentées, mais dont la partialité laisse
d’abord
sa place à l’imagination,
et au souci de raconter une histoire… Ainsi
en va-t-il de La Femme sur la Lune de Fritz Lang, dont le crédit
au générique
d’éminents
scientifiques et ingénieurs de l’époque, n’empêche pas l’hypothèse farfelue d’une atmosphère « lunienne » sur
la seule face cachée du satellite, avantage cosmologique d’abord
dicté par
des impératifs de récits. De la même manière, si le Professeur Manfeldt projetait ce voyage
sur la Lune, c’était à des
fins toutes prosaïque, mais sa soif de l’or
- minerai prétendument en forte concentration sur le
satellite - avait le grand mérite cinématographique de permettre un antagonisme
structurant le récit.
Bien sûr, vingt années plus tôt, les fantaisies de Méliès
ne s’encombraient
pas de telles considérations, et la référence à Verne,
nous l’avons remarqué plus tôt dans ce mois, relevait bien pus de l’argument
commercial que de la « rigueur » scientifique
propre à l’auteur
nantais. Toutefois, Le Voyage dans la Lune apparaît
plus comme le moment « archéologique » du
film de science-fiction consacré aux
voyages spatiaux que comme son modèle. Nous l’avons également souligné dans ces colonnes, ce sous-genre de la
science-fiction est comme sorti tout casqué de
la tête
de Lang, et c’est au cinéaste allemand que l’on
doit la majeure partie des codes qui depuis la fin des années
20’ structure
ces films, jusque dans ce rigorisme scientifique tout relatif.
Avec Une grande excursion,
nous semblons comme faire retour à ces
débuts
fantasques d’un genre dont les conventions se sont très
vite cristallisées, voire fossilisées, autour de la prétention
à relater
l’hypothétique
et « acceptable » voyage
interstellaire. Nous savons également que cette ambition, en fait, relève
le plus souvent sinon de la mystification – Lang,
Cordero ou Pichel ne sont pas blâmables quant à la sincérité de
leurs opinions « positivistes » - tout au moins du malentendu :
la réalité de
ce cinéma se situe le plus souvent non dans le point de
vue sur les espaces infinis des galaxies, mais d’abord sur le regard porté vers
les individus et leurs trop humaines limites… Dans tous les cas, toutefois, il s’agit
d’un
cinéma
sérieux,
pour le moins, dans lequel le ciel au-dessus de nos têtes
ne trouve comme miroir rien de moins que le fond de notre cœur,
que celui-ci soit empli d’amour, de peur ou de noblesse.
Pour ma part, j’estime profondément cette gravité
de la science-fiction, comme l’un de ses fondements – sans
jeu de mot aucun… Ce
genre nous entraîne vers les mystères du Cosmos, et tente de les relier à nos
propres énigmes. Il y a quelque chose d’éminemment
spirituel dans ce genre, et sa forme cinématographique si elle retranche le plus souvent
l’épaisseur
intellectuelle de ces spéculations, y ajoute toutefois une dimension
plastique et sensible, qui contribue de la fascination pour le genre. La volupté ressentie
à la
vision d’Une Femme sur la Lune ou de 2001, l’Odyssée de l’espace,
participe de l’entremêlement de ces divergences consubstantielles à la
science-fiction.
Mais si tous les possibles sont soutenables dans
le genre, comment se fait-il alors que le rire y soit si peu présent ?
S’il
était
supposé chez
Méliès,
il est possible qu’il ne fut néanmoins que rétrospectif : comment a pu être
reçu
un tel film, alors que le « 7ème art » était
tout juste naissant, et encore assez loin de toute légitimité,
voilà une
question qui demeure. Si le film de Nick Park fait retour à ce
cinéma,
c’est
toutefois qu’il aura trouvé dans une modalité proche de ce cinéma encore jeune, quelque chose qui se prête
tout à fait
à sa
propre considération du genre.
De la même manière que le Chef de gare nous expliquait au sujet
de La Guerre des mondes que l’angoisse provoquée par le récit et sa mise en image ne relevait pas
strictement du souci « science-fictionnel », Nick Park réalise
avec son film d’animation une œuvre dont l’humour, s’il repose foncièrement sur les codes propres à la
science-fiction, n’a pas le souci du genre. Et c’est
plutôt
là une
forme de respect. Park a initié son
projet lors de sa scolarité. Le film fut réalisé en
bonne partie dans des conditions que l’on pourrait qualifier d’amateures – en
tout cas, dans une pauvreté certaine,
dont les moyens effectifs au fond ne son pas très loin des origines du cinéma.
Il était
toutefois au départ prévu de composer une sorte de parodie de l’univers
de Star Wars, totem obligé de la fantaisie spatiale en ces années
80’.
Mais finalement, c’est autre chose qu’est devenue cette inaugurale aventure de Wallace
et Gromit – quelque
chose qui n’est pas une parodie, qui n’a pas
besoin d’être une parodie. Cette évolution,
à la
fois respectueuse du genre et le déconstruisant cependant, rend compte du génie
de l’animateur,
dont ce plan est l’un des parfaits exemples.
Il faut situer tout de même
l'action de cette scène dans le récit imaginé par
Nick Park. Wallace vient d'arriver sur la Lune, grâce
à la
fusée
qu'il s'est construite, et que l'on aperçoit en arrière-plan. S'il s'est fendu de ce voyage interplanétaire,
c'est pour une raison aussi simple qu'absurde : alors qu'il voulait prendre une
collation, il s'est rendu compte qu'il n'avait plus de fromage ! Et tout le
monde sait bien que la Lune est entièrement constituée de fromage... C'est sur la base de cette
"évidence" que Nick Park embarque son
personnage et son chien pour un voyage extraordinaire - qui a néanmoins
toutes les apparences de la ballade du dimanche ! C'est dans cette tension
entre l'exceptionnalité de
la situation et la tradition des codes du genre que l'animateur fabrique sa déconstruction
des canons du genre. Et nous fait rire, surtout...
Il est toujours difficile de
"commenter" un effet d'humour, puisque son explication a
naturellement tendance à vider
l'effet de sa substance. Je n'essaierai donc pas d'expliquer ce qui peut être
drôle
dans ce plan - et franchement si vous ne le saisissez pas, je ne peux rien pour
vous... - mais plutôt de voir en quoi Park joue avec les codes du
genre, et fabrique un moment qui utilise pleinement les moyens du cinéma.
L'étrangeté du
plan, formidablement construit, avec sa trajectoire des deux personnages qui le
traversent obliquement, se constitue sur un effet de familiarité en
rupture paradoxale avec ce que l'on attend habituellement d'une telle scène.
Wallace et Gromit sont sur la Lune comme ils sont dans un jardin public : les vêtements
de Wallace, les sacs en osier, le ballon, l'ensemble des accessoires vient se
superposer à un
environnement qui suppose ordinairement plutôt scaphandres et engins sophistiqués.
Mais c'est surtout un pur effet de cinéma qui fabrique comme la synthèse
de cette "collision d'univers" propre à l'humour absurde de l'anglais : lorsque Wallace
s'amuse machinalement à lancer
en l'air son ballon, celui-ci s'élève dans le ciel, quitte le plan... et ne
redescends jamais, faible apesanteur oblige. Ce qui est drôle,
et signifiant, n'est pas tant cette évasion hors de la gravité de
l'objet que l'on imaginait retomber au sol, c'est plutôt
l'attente de Wallace - et de nous autres spectateurs - et la surprise de
constater que dans cet univers théoriquement étranger, et pourtant si familier, quelques
traces des habituels codes de la science-fiction continuent d'opérer.
L'humour fonctionne par la surprise, et la surprise ici consiste finalement à accepter
de ne pas l'être : après tout l'on savait bien que sur la Lune, un tel
geste, pourtant tout à fait
improbable - qui joue à la
balle sur la Lune ? - reste possible. C'est toute la force de ce hors-champs
qui, s'il fait disparaître la balle du regard du spectateur, la fait
aussi disparaître du champs de vision de Wallace, que de
permettre ce redoublement de la surprise
: nous sommes surpris - et nous nous en amusons - d'être
surpris. Pur effet de cinéma, donc, qui fabrique l'humour actif du plan :
si toute l'étrange familiarité de la situation n'a pas à être
soulignée et participe d'un univers où tout
est possible, le non-respect des règles de la gravité est impensable ! Voilà bien
littéralement
formulé le
paradoxe de ce film qui se joue là de
l'habituel sérieux du genre.
Maintenant, si vous voulez vraiment
rire, voyez ce film - il y est aussi question d'un four qui dresse des
contraventions aux fusées mal garées sur la Lune, et que cette activité n'empêche
pas néanmoins d'apprécier le ski alpin...
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