mercredi 21 octobre 2015

21/31 : Capricorne One, Peter Hyams, USA, 1978. De 1h04'29''à 1h05'35''





Les trois "astronautes" de la mission Capricorne One, imposture médiatique, viennent de s'emparer du jet qui devait les livrer aux autorités secrètes responsables de la mission, après qu'officiellement les trois hommes furent déclarés morts. Après avoir conféré entre eux, les astronautes décident de se séparer afin de se donner un maximum de chances d'échapper à leurs mystérieux poursuivants. 


La décennie 70' est restée dans l'histoire américaine comme celle du soupçon. Dans une certaine mesure, nous ne sommes toujours pas sortis de cette époque, celle qui a vu vaciller les valeurs sur lesquelles l'Amérique triomphante d'après-guerre, et avec elle tout l'Occident libéral, ont soumis le monde entier à leur définition du progrès. Tout un cinéma a prospéré sur ce sentiment de la défiance généralisée, nous l'avons déjà évoqué au cours de ce mois, jusqu'à constituer l'ennemy within comme figure principale de l'industrie hollywoodienne, usine d'un rêve qui a fini par confiner au cauchemar, ultime obsession d'une civilisation qui ne sait plus quoi faire de son aspiration au progrès. 

Ce littéral déboussolement ordonne ce Capricorne One, où le renversement des valeurs tient lieu de critique d'un système dont on finit par ne plus très bien savoir si ceux qui y participent ne pourraient également être ceux qui le sapent. L'expression ultime d'une société dont le corps démocratique finit par s'abimer dans la méfiance de tous contre tous. 

Dans l'histoire de la science-fiction au cinéma, nous l'avons mentionné à de nombreuses reprises, le film de Kubrick 2001, l'Odyssée de l'espace s'apparente à une balise vis-à-vis de laquelle tout le cinéma qui suit eut à se situer. C'est oublier toutefois qu'une autre odyssée spatiale fut révélée la même année, en 1968, un an avant le fameux légendaire pas d'Armstrong sur la Lune : La Planète des singes, de Franklin Shaffner, dont la star Charlton Heston allait incarner pour les trente années suivantes au cinéma, mais aussi dans la société civile, une certaine idée de l'Amérique en guerre contre elle-même, soucieuse d'abord et avant tout de sa survie face à la possible supercherie d'un système toujours soupçonné d'appartenir, de fait, au camp d'en face. 

La légende urbaine qui voudrait que le voyage sur la Lune n'ait pas eu lieu, et que les images que l'on nous a servies lors de la fameuse nuit du 21 juillet 1969, ait été tournées par Kubrick himself, devenu maître de la mystification spatiale, 2001 oblige, rejoint ce sentiment de l'inversion des valeurs propre au récit de Pierre Boulle : si l'Amérique elle-même constate que sa plus grande réussite sur la Russie soviétique n'est peut-être que le produit de sa capacité à fabriquer du mensonge, alors comment peut-elle se regarder autrement que comme l'authentique, et secrète, vaincue de l'Histoire ? Tout se passe comme si la réalité n'avait comme propos que de souligner la plus grande force de la fiction : l'Amérique avant toute chose est un mythe, et un mythe doit se passer des faits pour conserver toute sa vigueur.     

Quand Hyams s'empare de cette théorie du complot pour composer son Capricorne One ;il s'amuse bien entendu de ce qu'il sait être foncièrement une histoire de mise en scène, et fabrique un récit paranoïaque dont le propos tient d'abord à faire retour vers l'épopée mythique des pionniers, seule balise authentique de l'Amérique "éternelle", celle de la conquête de l'Ouest ou de l'Espace, traitées ici en écho l'une avec l'autre. La mission Capricorne One, premier voyage habité vers Mars dégénère donc très vite en feuilleton médiatique chimérique, la fusée n'ayant jamais transporté aucun astronaute autrement que depuis les studios de télévision secrètement installés dans le désert de l'ouest américain. Lorsque la réalité apparaîtra aux trois membres de l'équipage abuséà l'instar du peuple américain, la solution pour rétablir la vérité, et remettre le monde "à l'endroit", c'est-à-dire mettre fin à l'illusion pourtant honorée par tous comme l'expression de leur propre supériorité, reviendra à reprendre la route des premiers pionniers, et faire le trajet vers l'ouest promis, cette fois sous la menace de l'ennemi ultime, celui qui nous gouverne et par-là même, nous berne. Une réaffirmation libertaire du Héros américain, dont l'intégrité réside d'abord et avant tout dans son individualité.

Le plan qui nous intéresse nous présente ainsi le moment où les trois astronautes, étant parvenus à se saisir de l'avion qui devait les mener à leur perte et à le faire atterrir en plein "wilderness" californien, décident de se séparer pour multiplier leurs chances d'échapper à leurs poursuivants. L'échange des trois hommes, chacun occupant une portion égale du plan, laisse finalement la place à un travelling arrière qui souligne la situation nouvelle : trois individus, en tenue d'astronautes qui s'éloignent chacun dans une direction différente vers les immensités désertiques d'un paysage sur lequel repose l'"astronef" abandonné. Tout se passe comme si ces étendues arides s'apparentaient à une autre planète, hostile, qu'il s'agit de (re)conquérir. Quelque chose du traditionnel Space Opera se retrouve ici : ces trois courageux "explorateurs", à l'instar des héros du film de Shaffner, s'engagent dans une aventure qui va les mener à constater l'inversion d'un monde, celui pour lequel ils pensaient s'être engagés, et qui vient de se retourner contre eux. Ils sont désormais seuls, et plus seuls que jamais, puisque c'est même cette solitude définitive qui va leur permettre de dérouter les "créatures" anonymes qui vont maintenant les harceler. 

Toutefois, la ressource sur laquelle peuvent compter ces "découvreurs" d'un genre nouveau, c'est la vérité, celle que leur existence même vient confirmer : non, ils ne sont pas morts lors de la rentrée de leur fusée dans l'atmosphère terrestre, ils sont bien vivants, et cette seule survivance suffit à rétablir les grandes certitudes. La grammaire qui s'annonce là est bien celle du "survival", ce type de narration qui a envahit tout le cinéma américain depuis l'aube de ces années 70', et qui mêle dans le même récit le point de vue immersif de celui dont on suit l'épopée, et la description paranoïaque d'un monde familier devenu soudainement inhospitalier. La déclinaison de tout drame se fera désormais sur le mode binaire du "vivre ou mourir" : toute valeur, morale, politique, esthétique se trouve subsumée dans cette alternative élémentaire, toute darwinienne. Il y a les forts et il y a les faibles, et tout est dit. Rappeler à cette occasion que le troisième "grand" film de l'année 1968 fut La Nuit des morts-vivants de Romero permet d'enfoncer le clou : au-delà de la robinsonnade telle que l'évoquait hier le Chef de gare, le survival se distingue par l'altération d'un environnement connu dont la face cachée nous est tout à coup révélée - et avec elle, tout ceux qui peuplent cet environnement. Capricorne One se situe comme à la jonction de ces trois oeuvres phares du cinéma de genre, et en fait une forme de synthèse, projet esthétique beaucoup plus que politique. Hyams a compris son époque, sa confusion, sa quête impossible de simplicité, cette tautologie qui voudrait qu'un Héros est ce qu'il est, parce qu'il est un héros. La survie devient alors le seul motif digne d'attention, et le cinéma retrouve sous sa couche sophistiquée de délire paranoïaque la rengaine du bon vieux Western. 

Le travelling qui achève le plan, avec en amorce cet avion qui nous indique le sens à suivre, dévoile comme la boussole à laquelle tente de se raccrocher le bon sens américain. Des trois directions qu'empruntent ces héros abandonnés, c'est celle qui mène à l'ouest qui conclut le plan, avec cet homme seul au milieu des éléments : si l'Amérique a perdu le nord durant cette décennie trouble, il est temps désormais pour elle de retrouver ses origines, et de se débarrasser des imposteurs. A l'image d'un certain Ulysse, il y a bien longtemps... L'Amérique, d'abord, est un mythe, vous dis-je, nom de Zeus ! 



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