Le Palomino,
astronef d'exploration spatiale, est attiré
vers un trou noir tandis qu'il inspectait l'épave du Cygnus, vaisseau fantôme orbitant à sa proximité.
Certaines théories
physiques prétendent aujourd'hui proposer des
alternatives à cet objet cosmique d'abord
conjecturel, puis devenu aussi mythique que "réel"
à partir de ses premières observations durant les années
70, le Trou noir. L'une de ces théories propose de substituer à
la dénomination "trou noir" un terme qui a connu dans
le cinéma de science-fiction des quarante dernières
années une postérité tout à fait inédite : "l'étoile
noire". Que serait cette étoile particulière ?
De la même façon, elle est un objet issu de
l'effondrement d'une étoile massive. N'allons pas plus loin,
le reste est affaire de physiciens - et nous parlons ici de cinéma...
Si j'ai eu envie de commencer mon
commentaire du jour par cette petite mise au point, c'est d'abord pour rappeler
qu'il y a quelque chose de commun entre ces mots de l'astrophysique et ceux de
la science-fiction - et que parfois, la première, sans même se
soucier de le faire, nous évoque la seconde... Car si quelque
chose est certain à propos de ce Trou noir très
daté, c'est son "sous-texte" - ou
"sous-film" si cela peut exister - éloquent au sujet des étoiles
d'Hollywood.
Le Trou noir a toutes les
apparences du film "marin", et même "sous-marin", pour
continuer avec les palimpsestes. La première référence évidente de ce film, aux multiples précédents,
c'est bien entendu 20.000 lieux sous les mers, le roman de Jules Verne,
encore lui !, mais aussi et surtout le film du même nom de Fleischer, avec Kirk
Douglas, produit en 1954 sous l'égide Disney. Des fonds marins aux
espaces interstellaires, des sous-marins aux vaisseaux spatiaux, il y a là
un changement d'époque, qui rend évidemment
plus cruel encore le naufrage que connaît durant ces années
70' l'un des plus grands studios du cinéma américain avec ce film au budget titanesque.
Nelson n'est certes pas Fleischer, même si tous deux appartiennent à
la catégorie des faiseurs - mais le premier s'est d'abord illustré
dans la série télé, quand le second nous a tout de même
laissé Soleil Vert ou Le Voyage fantastique ! - mais
surtout Maximilian Schell, Anthony Perkins ou Ernest Borgnine apparaissent là
comme les acteurs de seconde zone qu'ils étaient - hélas -
devenus : nous sommes bien loin du casting de dream team des Douglas,
Mason et Lorre qui peuplait de leur éclat de stars internationales le
Nautilus disneyien. C'est que dans l'intervalle, le studio à
la souris s'est abimé dans les obscurités
d'une tempête que pas plus que les autres grandes majors de son époque
il n'avait vu venir...
Le plan à
commenter ce jour nous présente un vaisseau comme emporté
dans les remous inéluctables
d'un tourbillon que l'on devine sans pouvoir le voir. Ce tournoiement structure
l'image : celui qui conduit vers l'arrière-plan cette boite de conserve à
trois pattes, astronef bien chétif pour affronter les dangers sidéraux,
mais aussi celui, majestueux et régulier de ce fameux trou noir, dont
les disques d'accrétion ne sont pas sans évoquer
les bras d'une galaxie spirale. On ne peut ici tout à fait
se sortir de ce paradoxe, essentiel au cinéma : le trou noir n'existe que parce
qu'on ne le voit pas. Ou plutôt, on ne l'aperçoit
que par l'effet qu'il produit sur son environnement - et ces effets sont
majeurs, et de l'ordre du "très visible", puisqu'il aspire
proprement tout ce qui passe à sa portée. Un monstre d'une certaine façon,
un ogre cosmique, qui se renforce de sa propre avidité !
Le mouvement sur lequel repose la
force dramatique du plan relève donc du suspens : il est bien
possible que le Palomino et ses sympathiques astronautes disparaissent de notre
horizon dès les premières minutes du film ! Nous savons
qu'il n'en sera rien. C'est que ces hardis explorateurs, avant de se laisser
happer par cette monstruosité physique ont rencontré
un autre trou noir, l'un de ceux, toutefois, dont on pourrait dire :
"ce n'est pas un trou noir, c'est un vaisseau intersidéral"...
Celui-ci, baptisé Cygnus, du nom de la constellation où
fut formellement observé le premier trou noir de l'histoire de
l'astronomie, tout le monde le pensait disparu corps et âmes,
et c'est une première surprise de l'apercevoir d'abord
comme la silhouette fantôme d'une tache de ténèbres
sur le fond cosmique. Ce bâtiment nous est apparu comme une absence
d'image, quelque chose qui ne pouvait se voir que par la présence
de son environnement : l'exact définition d'un trou noir - et en
l'occurrence un effet de mise en scène tout à fait remarquable et franchement inquiétant.
Bien entendu, lorsque le minuscule
Palomino est passé sous sa coque, et que la majestueuse
musique de Barry a retenti, l'on ne pouvait pas ne pas penser à
un autre fameux télescopage spatial de deux vaisseaux
dont l'un finissait par engloutir l'autre - mais tout ceci s'était
passé il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très
lointaine... Notre plan intervient juste après cette première
rencontre, au moment même où les scientifiques du Palomino
comprennent que le Cygnus se tient précisément en "équilibre"
sur le trou noir - équilibre qu'eux ne parviennent pas à
conserver. Leur mouvement dilatoire pour tenter d'échapper
à l'inexorable force d'aspiration a quelque chose de l'esthétique
même du plan, et de la séquence qui le précède
immédiatement :
Nelson - s'il y est pour quelque chose...- pose son action dans registre
précis, un premier vaisseau, monumental et olympien, est
capable de demeurer hors de portée du trou noir, quand un second, petit
et grotesque, inexorablement est emporté dans la tourmente. Même
si le Palomino parvient à e sortir de ce mauvais pas, la messe
est dite : le seul développement possible du récit
ne pourra avoir lieu que dans la tension entre ces deux "trous
noirs", le Palomino est insignifiant en tant que tel.
L'on ne peut s'empêcher
tout de même de voir dans ce petit astronef comme l'image de ce qu'étaient
devenus les studios Disney à l'aube de ces années
80. La décennie qui se ferme pour eux avec ce film a été
pour tout le cinéma hollywoodien une période
trouble, durant laquelle le divertissement de masse propre à
cette industrie s'est trouvée mise à mal par quelques trublions que
personne n'avaient vu venir... Ces deux trous noirs, ces deux motifs d'une
image noircie, oblitérée pourrait-on dire, n'ont cependant
pas tout à fait le régime : le Cygnus, précis
dans sa forme, même absente, apparaît
comme la trace d'un passé grandiose, vis-à-vis
duquel on était partie prenante, quand le trou noir, le
"vrai", invisible en tant que tel, mais brouillon et agité,
semble l'image d'un avenir confus et indistinct, et forcément
dangereux. C'est aussi que ce film se construit, même
esthétiquement, à partir de deux balises, qui sont à
la science-fiction comme les deux bornes de ce fameux cinéma
américain des années 70' : d'une part 2001, L'Odyssée
de l'espace, dont la séquence finale est presque une reprise
intégrale, et bien entendu, La Guerre des étoiles,
dont "l'ombre portée" plane sur chacune des séquences.
Que les executive de Disney
ait pu imaginer un tel grand écart, dramatique et plastique, nous
raconte l'affolement dans lequel s'est débattu le studio pendant un temps,
courant après sa grandeur perdue, à l'image de la différence
entre ce Reinhardt, digne héritier de Nemo et de ses desseins démesurées,
et pourtant immobilisé par sa propre ambition, et cette équipe
de "pros" dont la veulerie le dispute à l'amertume, et que ne pourra sauver que
le courage et l'humour d'un petit robot...
Et pourtant ! On peut aussi voir
dans la reprise en main du Cygnus par l'équipage du Palomino, non seulement la mise au pas d'une certaine idée du passé, éventuellement
idéalisée, mais aussi et surtout la capacité
qu'ont les studios à se ressaisir lorsque les
circonstances le nécessitent. En cette fin des années
70', le temps des démiurges est terminé,
celui des pionniers comme celui des nouveaux venus. L'ambition n'est plus de
mise, et ce Palomino entre deux mondes finit tout de même par
choisir de se laisser glisser vers l'ogre qui veut l'avaler. La période
de transition doit s'achever, c'est sa définition même :
si s'effondrer sous son propre poids est le destin des étoiles
supermassives, c'est aussi celui de quelques studios qui toutefois "too
big to fall" finissent par absorber, pour continuer de demeurer, toute la
"matière" environnante. Que près de trente ans plus tard, le prochain
Star Wars s'ouvre sous la signature Disney raconte quelque chose de cette inéluctable
altération propre au cinéma américain, dans lequel les étoiles
finissent toujours par retrouver leur place.
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