Attiré dans une station spatiale abandonnée par un signale de détresse s'étant révélé être le chant d'une diva d'opéra, un spationaute, au moment de la rejoindre, découvre qu'il a été piégé: la chanteuse et son palais ne sont que des hologrammes projetés par l'ordinateur central sans doute endommagé. Il tente de fuir, mais autour de lui tout commence à s'effondrer et disparaître.
Pour
donner corps aux rêves et aux cauchemars de la science-fiction, aucun mode
d'expression ne peut concurrencer le cinéma d'animation. Si en occident, ce
médium à l'heure de son industrialisation, n'a guère embrassé ce genre, tenu en
laisse par les modèles hérités de Disney, il en va tout autrement du Japon.
Là-bas, dès les années 50, la rencontre de la bande-dessinée et de la SF, séduit
immédiatement un vaste public, tout naturellement friand par la suite des
déclinaisons animées de ces séries.
Avant les effets spéciaux photoréalistes, ou le succès de La guerre des étoiles,
il existait déjà une science-fiction animée japonaise dotée d'une identité
originale, forte, ne devant presque rien au cinéma hollywoodien de l'époque.
Robots géants ou gentils androïdes étaient alors ses héros dessinés. Fort d'un
succès commercial jamais démenti, la SF dessinée de l'archipel, forte de son audience grandissante, est devenue un continent
créatif, méconnu des seuls spectateurs trop ethnocentrés, et riche de
sensibilités extrêmement diverses. Des aventures de petits robots destinées
aux enfants, aux courts-métrages expérimentaux peu narratifs, les animateurs japonais,
une fois accepté le principe d'œuvrer dans une industrie majoritairement très
pauvre, jouissent d'une liberté totale.
Koji
Morimoto est sans aucun doute un de ces génies dont le bouillonnement créatif
s'accommodera plus ou moins bien des contraintes du support sur lequel
il est invité à s'exprimer, mais qui parviendra néanmoins à chaque fois à
donner le sentiment d'avoir su libérer son imagination sans entraves.
L'industrie dictant ses lois au Japon comme ailleurs, ce n'est pas dans le
cadre des formats de productions les plus classiques que Morimoto trouvera les
terrains d'expression les plus fertiles. Son nom, il faut le traquer au
générique de clips vidéos, de démos de
projets avortés ou d'épisodes complétant des anthologies. C'est justement dans
ce contexte qu'on le retrouve ici, à travers un plan de Magnetic Rose, segment
qu'il dirige pour Katsuhiro Otomo dans le film omnibus Memories.
Morimoto,
comme beaucoup de réalisateurs profondément imprégnés de culture plastique n'a
pas une sensibilité très narrative. Contrairement à d'autres, il ne fait guère
de concessions dans ce domaine, et n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'un prétexte
lui permet de développer une série de visions. Sur une durée trop longue, ses films
risqueraient de prendre des allures de catalogue onirique invertébré. A
l'inverse, libre de choisir, Morimoto trouve naturellement dans le
moyen-métrage l'espace idéal à son inspiration.
L'espace
est justement le décor de Magnetic Rose. Même si l'esthétique de prédilection
de Morimoto est plutôt le cyberpunk. Il parvient ici à mêler les deux. Dans le
plan cité, les étoiles apparaissent à travers les trous du décor qui
s'effondrent. Nous sommes dans une station
dérivant dans l'espace. Au coeur du cadre, un dispositif typique de
l'esthétique cyberpunk: un hologramme. Il est ici réduit à une bulle, mais on
l'aura vu auparavant occuper tout l'espace de l'écran, dissimulant sa nature et
se substituant à la réalité. C'est d'ailleurs ainsi que les spationautes ont été
trompés et, séduits par l'irréel décor d'opéra italien qu'il découvrent à
l'intérieur, se sont laissé aller à pénétrer trop profondément dans un piège.
L'inspiration de Morimoto s'appuie ici sur une très belle association thématique:
au doute sur la réalité typique de l'anticipation cyberpunk s'ajoute la figure
mythologique de la sirène, dont le chant sublime et irrésistible masque la monstruosité.
Cette sirène de l'espace, c'est Eva Friedel, la chanteuse qu'on aperçoit au centre de
l'image, dans une bulle- difficile de ne pas songer aux bulles-à-neiges
souvenir.
Et
c'est justement de souvenir, de nostalgie, et de son revers, la hantise qu'il
est question ici. Un double regard presque imperceptible. Car notre oreille
charmée par le chant résonnant sur la très belle bande originale du film, force
notre regard vers son origine, aimant de la scène, minuscule à l'image, mais occupant son
centre. Et nous devenons incapables de voir le crâne se précipitant vers nous au premier
plan. Pourtant, par la grâce du cinéma d'animation, qui permet de détailler
précisément une silhouette le temps de 4 ou 5 photogrammes, nous ne voyons pas,
mais nous percevons ce squelette de spationaute.
Voilà
comment, en s'appuyant sur les moyens propres au cinéma animé, Morimoto nous
fait entrer, de façon presque subliminale, dans la subjectivité du personnage
prisonnier de la scène. Incapable d'échapper au chant de la sirène, il va
comprendre trop tard, tout en l'ayant senti, le danger qui le guette. Et nous
avec lui.
Ce
danger, à l'image de ce squelette encore prisonnier de son scaphandre, serait
donc la mort ? Pas seulement. Morimoto, jamais discursif, mais dans un grand
geste poétique, enrichit le motif classique de l'espace meurtrier d'autres formes
de menaces. L'oubli, la corruption, l'entropie, et la fatalité.
L'oubli,
à la fois ce qui motive et ce que redoute l'ordinateur à l'origine de
l'hologramme de la diva Eva, visible en robe rouge, dans la bulle au milieu du
plan. Car, on le découvrira plus tard, Eva est morte depuis des années, et
c'est l'ordinateur central de la station qui poursuit la diffusion de son image et de sa voix, de son univers tout entier. Par crainte
que la chanteuse disparaisse à jamais ? parce qu'elle l'a programmé pour le
faire ? nous ne le saurons jamais.
La
corruption, malgré le programme de l'ordinateur, a envahit le monde d'Eva:
fleurs se fanant, des objets perdant de leur substance et traversant les scaphandres des visiteurs, ici le décor qui
s'efface et s'écroule. Cela nous évoque la nature terriblement humaine de
ces souvenirs projetés-pourtant entretenus par des machines: voués à disparaître,
perdant de leur force avec le temps, guettés par l'entropie.
On
reconnaîtra là la patte de Katsuhiro Otomo, ordonnateur du film contenant
Magnetic Rose, et auteur du manga d'où l'histoire est tirée, tout comme on aura
reconnu dans les motifs précédents- la diva, le jeu entre l'illusion et le
réel, celle de Satoshi Kôn, futur réalisateur génial de Perfect Blue, Tokyo
Godfathers ou Paprika. Mais ce plan porte la signature d'Otomo: le décor
s'écroulant sous son propre poids, ces puissantes pulsations le déformant, le
rendant flou, le changeant, on les retrouve dans tous ces films. Pas étonnant
qu'Otomo ai trouvé dans le dessin-animé son mode d'expression idéal, tant son
processus intrinsèque lui correspond: le devenir de tout trait, dans
l'animation est le changement, la déformation, la transformation. Souvenons nous d'ailleurs que les premier cartoons reposaient entièrement sur l'épuisement de
ce principe: personnage étiré, rétréci, compressés, allongés, changés...
Un
ordinateur central s'imaginant doté de conscience, deux spationautes perdus,
dont l'un ne survivra pas, perdus dans l'espace, y découvrant un monde aux
allures de palais de la Renaissance fantasmé, des ballets spatiaux organisés
par une musique classique: il est évident que Magnetic Rose s'est épanoui dans
l'ombre portée de 2001 odyssée de l'espace. Mais Morimoto s'empare du film de
Kubrick comme d'une pièce de répertoire, et en donne une interprétation
magnifique, comme le ferai un grand interprète. Ou une géniale diva.
Quelle fabuleuse mornifle asséna "Magnetic Rose" aux mordus d'animation japonaise en 1995 ! A l'époque, on savait déjà, notamment grâce au clip survolté "Extra" et aux convulsions démiurgiques de son sketch pour "Robot Carnival", que Morimoto était un surdoué accro à la vitesse, aux délires technologiques et au style comme moyen d'expression tout-puissant. "Memories" lui aura permis de se frotter à une sorte de classicisme narratif (un début, un milieu, une fin), en une tentative pleine de brio mais restée malheureusement sans lendemain. Ici, il transcende littéralement le manga d'Otomo en l'imprégnant d'une mélancolie inattendue et d'une sensibilité très "vieille Europe", à laquelle font superbement écho les envolées "pucciniennes" de Yoko Kanno. En bref, Chef Pierrot, le vieux Van Cleef opine avec vigueur du menton à la lecture de ce beau brin de papier.
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