Les
soucoupes martiennes ont envahi la terre. Le Dr Clayton Forrester et Sylvia Van
Burren fuient la ferme dans laquelle ils ont trouvé refuge, qui est détruite
par l'envahisseur de la planète rouge.
Il
fallait bien que ça arrive: à force de partir à la conquête de l'espace, il
était inévitable que l'espace finisse par nous envahir. Archétype du récit
d'invasion extra-terrestre, La guerre des mondes d'H.G Wells, dans ses
déclinaisons cinématographiques ne relève pourtant de la science-fiction qu'en
surface. Il s'agit presque toujours de réduire la présence des martiens à un
prétexte permettant la mise en image des angoisses les plus profondes de la société
contemporaine de la fabrication du film.
Maintenant
que nous bénéficions du recul de l'histoire, il y a une certaine ironie dans le
film produit par George Pal. S'il est évident que le péril martien est surtout
symbolique d'une crainte des idées communistes et de la menace ressentie par
les américains face à un colosse politique aux capacités de nuisance au fond
méconnues, c'est sur un plan bien matériel que le cauchemar du film va se
réaliser: cinq ans après sa sortie, les Etats-Unis perdent effectivement la
première bataille de la course spatiale- aussi soudainement que les terriens
sont anéantis par les martiens dans le film.
D'où
une résonance inattendue des plans mettant en scène les soucoupes martiennes:
c'est bien dans l'espace que la grande défaite idéologique de la guerre froide
va se dérouler. Et si l'impact d'un film comme Destination Lune- produit par le
même George Pal- malgré son succès, demeure sans réelle conséquence sur le
genre- celui de la guerre des mondes est énorme. Sans doute parce que son
imagerie repose sur l'angoisse, et n'a pas besoin de s'appuyer sur un
anticipation scientifique, tandis que mettre en scène, dans le même contexte
politiquement informé, un voyage dans l'espace ne peut se faire sans imaginer
les moyens de ce voyage. Quelle que soit la valeur scientifique réelle des
vision des cinéastes, il faut qu'elle donne une impression de cohérence. Peut
importe, au contraire, dans La guerre des mondes que l'on voit les fils
soutenant les navettes martiennes, ou que le principe même d'une vie sur Mars
soit déjà impossible à imaginer.
A
l'image du plan retenu aujourd'hui: ce qui compte, ce n'est pas la crédibilité
de la navette martienne mais celle de la maison qu'elle ravage. Steven
Spielberg, auteur d'une relecture du film d'Haskin qu'il est impossible de ne
pas citer l'a formidablement compris et ne modernise presque pas l'arsenal
science fictionnel du film. La scène équivalente, dans son film, à celui d'Haskin ne cache pas plus son
apparence de décor en studio.
La résolution et l'argument initial sont étonnamment identiques. Par contre, ce que Spielberg accorde avec les angoisses de son époque, c'est la symbolique du film: ainsi, chez lui, les martiens ont toujours été là, caché parmi nous, et n'attendaient que leur "activation" par leur autorité supérieure pour se transformer, de cellule dormante, en engin de destruction massive.
Steven Spielberg n'a pas peur de reprendre à son compte l'esthétique "studio" de Pal et Haskin (la guerre des mondes, 2005) |
La résolution et l'argument initial sont étonnamment identiques. Par contre, ce que Spielberg accorde avec les angoisses de son époque, c'est la symbolique du film: ainsi, chez lui, les martiens ont toujours été là, caché parmi nous, et n'attendaient que leur "activation" par leur autorité supérieure pour se transformer, de cellule dormante, en engin de destruction massive.
Pas
besoin d'actualiser, non plus, cette petite ferme qui semble pouvoir représenter
pour toujours une certaine vision que l'Amérique a d'elle même. On la retrouve
telle quelle dans le Superman de Richard Donner- film qui d'une certaine façon
retourne le principe de La guerre des mondes: pas d'invasion mais une
immigration, puisque le jeune Kryptonien Kal-El est un réfugié- un dissident ?-
accueilli par l'Amérique, par l'Americana
même. il faut dire qu'entre-temps les Etats-Unis ont remporté la guerre... des
étoiles.
Film
lui même revisité, Superman devient Man of Steel sous la caméra de Zack
Snyder, qui mentionne encore la ferme archétypale. L'oeil de Snyder,
particulièrement aiguisé lorsqu'il s'agit de s'approprier une imagerie, biaise
cette fois légèrement notre regard, et peut-être, prend acte d'une altération
de la symbolique de cette ferme américaine. Dans Man of Steel, remplie de
feraille, réduite à des hangars et des champs aux contours indéfinis, elle
n'offre, surtout, aucune protection au jeune Superman encore fragile.
Le
film de Snyder est d'ailleurs le dernier avatar de cette guerre des mondes. Au dissident
héroïque sont cette fois opposés des réfugiés agressifs, prêt à éradiquer les
terriens pour retrouver un espace vital dont le partage est pour eux
inenvisageable. On appréciera donc, en constatant sa perrénité, la puissance de
l'image fondatrice illustré par le plan d'Haskin. Aux martiens interchangeables
auxquels leur pensée collective semble donner un sens du sacrifice permettant
une combativité inébranlable se sont donc substitués aux dernières nouvelles
des immigrants dotés de visages et d'individualités, aux désirs
contradictoires, mais dont certains épousent les mêmes buts que les martiens de
1953: le projet, toujours aussi effrayant et indémodable de voler leur terre
aux américains.
Projet
illustré très littéralement, puisque c'est à une communauté rurale que s'en
prennent les envahisseurs. Avant hier chez Haskin, hier chez Spielberg et
aujourd'hui chez Snyder. Chez lui, d'ailleurs, la ferme n'est plus le lieu ou
l'on peut vérifier la force du lien unissant tous les citoyens américains. Ce
n'est pas la petite exploitation des Kent que ravagent les envahisseurs, mais
un énorme complexe agro-alimentaire, qui, si l'on devine qu'il a payé pas mal
de salaires, ne doit pas être pour rien dans la relative désaffection qui
semble frapper Jonathan Kent.
Par
contre, dans cette charmante ferme, plus proche de la cabane, les héros, avant
que les martiens ne la détruisent, ont pu reprendre des forces, et se préparer
un repas, malgré l'absence des propriétaires, qu'on ne verra jamais. Peu
importe: il ne fait aucun doute qu'ils auraient offert l'hospitalité au couple
de héros venus s'y réfugié, ceux-ci n'hésitant d'ailleurs pas à s'installer
comme s'il était évident qu'on les aurait accueillis. Au passage, le cinéaste
nous rappelle aussi très simplement- et avec une certaine élégance- la fonction
réelle et symbolique de l'endroit: un lieu qui produit de la nourriture donc un
refuge. Les héros choisiront d'ailleurs d'y cuisiner des oeufs. Image prosaïque
du petit-déjeuner archétypal de l'américain travailleur (il a forcément besoin
de beaucoup d'énergie !) et image symbolique de la source de vie à laquelle on
se reconstitue.
Ce
rappel de la valeur du lieu ne va rendre que plus terrible sa destruction
quelques secondes plus tard, dans le plan convoqué ici. Un anéantissement accompli sans passion par
un ennemi totalement inhumain. Bien entendu parce que c'est une machine, mais
lorsqu'on verra plus tard, brièvement des pilotes martiens, ils n'auront pas
plus d'expression- tout juste un geste de peur- et n'ont d'ailleurs pas
vraiment de visages, mais des traits identiques à ceux des pseudopodes mécaniques
sortants de leur vaisseaux ! Il faut voir là bien sûr une illustration
supplémentaire de la peur que suscite la puissance d'uniformisation du système
soviétique, d'autant plus forte pour un pays aimant se penser comme l'espace ou
tous les individus doivent pouvoir se réaliser.
On est à l'opposé, encore une fois, des envahisseurs de Man of Steel, 60 ans (!) plus tard dont les armures-tanks ne laissent apparaître QUE le visage, afin d'y pouvoir lire leurs passions exacerbées. Mais par un pirouette visuelle, le film de Snyder nous renvoie à celui d'Haskin. Lorsqu'il découvre l'histoire de son peuple et de sa planète d'origine, Krypton (la Mars de Superman), c'est à travers un curieux film animé à l'esthétique indiscutablement soviétique !
Le complexe industriel agro-alimentaire a remplacé l'hospitalière ferme. (Man of Steel, 2013) |
On est à l'opposé, encore une fois, des envahisseurs de Man of Steel, 60 ans (!) plus tard dont les armures-tanks ne laissent apparaître QUE le visage, afin d'y pouvoir lire leurs passions exacerbées. Mais par un pirouette visuelle, le film de Snyder nous renvoie à celui d'Haskin. Lorsqu'il découvre l'histoire de son peuple et de sa planète d'origine, Krypton (la Mars de Superman), c'est à travers un curieux film animé à l'esthétique indiscutablement soviétique !
Rappel
inconscient de la force des images de cette guerre des mondes de 1953 qui a su, comme le plan cité aujourd'hui, traduire très directement le choc frontal
des idéologies d'alors par des images lui ayant pourtant largement survécu. Grâce,
sans doute, à la permanence des angoisses de nos sociétés... et à
l'universalité de la magie du cinéma hollywoodien.
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