La féline (Cat People)- Jacques Tourneur- 1942- Etats-unis
VS.
La féline (Cat people)- Paul Schrader- 1982 Etats-unis
Double Programme le samedi soir, comme l'an dernier ! Cette fois, on voit double. Chaque semaine, on se recolle devant deux films d'affilée, l'un étant toujours le remake de l'autre, et l'un des deux nous provenant, évidemment, de l'inénarrable an 82. On démarre les miches à l'air et les pieds dans le sang avec La féline et La féline.
VS.
Sur le même principe que les agressions animales de 2011, nous passerons les films et leur remakes au tamis d'un questionnaire identique chaque semaine, donc voici les questions:
1.Mais pourquoi il voulait le refaire, ce
film, il est pas bien ?
2.C'est pas vrai. Ils ont changé la
fin ?
3.Et ils ont pris qui, pour le refaire ?
4.Franchement, les effets spéciaux ils avaient pas l'air vieux ?
5.Ça m'a donné envie de revoir l'autre,
non ?
6.Et la scène là, il y est aussi dans
le nouveau ?
7.Alors c'est lequel que tu préfères ?
8.Et ils pensaient que ça allaient
marcher ?
1. Mais
pourquoi il voulait le refaire, ce film, il est pas bien ?
Chef de gare : Je crois que les cols blanc de la Universal, qui avait récupéré le catalogue RKO, avait envie de faire un beau cadeau au film de Jacques Tourneur. Du coup, il lui ont offert un pur lifting made in Los Angeles, pour ses quarantes ans pile poil. Mis à part ce sentimentalisme bien compréhensible de la part des exécutives déjà redoutables de l'époque, le remake de La féline s'intégre à un ensemble de classiques du studio dont Universal cherche à produire des nouvelles versions. Nous parviendrons, finalement, The thing, de John Carpenter, remake de La chose d'un autre monde, de Howard Hawks et Christian Nibly, puis La mouche et La mouche, de David Cronenberg et Kurt Neumann. L'un des deux est un chef d'oeuvre, l'autre un excellent film, et le troisième...le troisième, c'est La féline de Paul Schrader.
Matthias :
On peut en effet se poser la question de l'opportunité d'un remake
de ce film de 1942, aux ambitions très « raccords » à
l'époque. Un tel chantier n'est d'ailleurs pas sans rappeler la mise
en route du remake de King Kong en 1976, d'après le film de
1933, produit à l'époque par la même RKO – c'est peut-être là
le destin de la RKO que de devenir un réservoir à remake...
Toutefois,
on peut supposer que ces deux remakes ont pour origine un peu les
mêmes raisons : la charge érotique détournée du film original
peut en 1982 désormais « s'expliciter », le parfum de
souffre entourant le succès de l'original – pour La Féline,
un micro-film au maxi-box office – devant être le garant d'un
nouveau succès scandaleux. C'est sans compter sur l'époque : si le
code Hays en vigueur en 1942 corsetait un cinéma qui devait déployer
des trésors de mise en scène pour insuffler une forme subversive au
désir, en 1982 les limites de la représentation du désir et du
sexe à l'écran se sont très largement déplacées – peut-être
est-ce d'ailleurs là l'échec a priori du film de Schrader : si un
baiser suffisait à transformer une femme à l'écran dans les années
40, on peut désormais « la faire coucher » avec
n'importe qui, tout le monde s'en fout... De là à trouver un autre
motif de transgression, et bien, pourquoi pas l'inceste entre frère
et soeur ? Seulement, on sent bien que Schrader, ça, il y croit
beaucoup moins... Comme si la jalousie, le désir sexuel ou l'envie
de meurtre n'était plus des sujets transgressifs !
3.Et
ils ont pris qui, pour le refaire ?
Matthias : Devant la caméra, il a donc été rajouté un personnage, Paul, le frère de Irena, incarné par Malcom Mac Dowell, décidément habitué aux rôles de frère incestueux, ou encore aux ultra-violents sexuellement perturbés. Convier l'interprète de l'Alex d'Orange mécanique ou du Caligula porno-péplum de Tinto Brass, n'est évidement pas un geste anodin : toute la charge « dérangée » du film est incarné par cet acteur aux yeux exorbités et à la bouche tordue durant tout le film, figure prétendument transgressive, en réalité pantin correspondant aux nouveaux poncifs du genre à Hollywood, cette machine à tout récupérer, et à tout dévitaliser... Ce que Schrader devait penser comme l'élément subversif de sa nouvelle version vient donc en réalité renverser ses valeurs : son Cat people est finalement incarné par un cabot...
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Et dire qu'il a même pas eu l'oscar. |
2.C'est
pas vrai, ils ont changé la fin ?
Matthias :
Et ça dit tout ! Et ils ont changé le début aussi. La Féline
de 1942 nous raconte l'histoire d'une émigrante, isolée, mais
tentant de s'intégrer à un monde qui n'est pas le sien, parce
qu'elle cherche à fuir définitivement l'univers archaïque dont
elle est issue – la Serbie de 1942 est un peu décrite comme la
Serbie de ce fameux roi Jean, roi moyenâgeux, qui réprimait au nom
du Christ les orgies et sabbats diaboliques de « Cat people ».
Toute cette histoire, digne de l'évocation dans Bram Stoker's
Dracula par exemple, des récits légendaires d'Europe de l'est,
est celle qui fonde le récit du film de Tourneur : Irena est une
jeune femme entre deux continents, entre deux époques, entre deux
rationalités, celle du mythe religieux et celle de la science
moderne de l'esprit, la psychiatrie et ses débordements encore très
étranges comme l'hypnose – l'image peut-être la plus fantastique
du film, avec l'ovale blanc du visage de Irena circonscrit dans
l'obscurité.
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Irena... plongée dans l'hypnose. Poésie incomparable de la lumière chez Tourneur. |
De cette histoire de l'émancipation impossible d'une
jeune femme dans un monde qu'elle croyait accueillant, nous passons
avec Schrader à une intrigue autour de la figure de l'inceste : la
malédiction, qui ouvre le film dans des couleurs très Fantasy
new-age - décidément l'une des tendances lourdes de cette année –
est toute « rationalisée » : Paul et Irena appartiennent
à une race qui ne peut se mélanger au reste du monde, ils doivent
donc coucher entre eux pour se reproduire et au passage assouvir
leurs besoins sexuels. Irena se refusant à son frère – on la
comprend...- Paul se trouve donc transformé en un Jekyll/Hyde tout
ce qu'il y a de plus classique. Cette histoire-là, on nous l'a déjà
racontée...
Quant
à la fin, donc, en 1942, dans un ultime geste tout à fait dans le
propos du film, Irena avant de mourir, ouvre la cage qui retient la
panthère qu'elle vient visiter chaque jour au zoo sans trop savoir
pourquoi, tandis qu'en 1982, c'est la même Irena qui se retrouve
enfermée sous sa forme de panthère dans cette cage, par son amant,
conservateur du zoo... Tout est dit.
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séquence onirique du film de Jacques Tourneur: Le rêve de la femme panthère. |
Chef
de gare : Effectivement. Revenons aussi sur le début du
film, que tu évoques. L'ouverture de Tourneur est magnifique. Irena
est en train de dessiner la panthère. Elle est donc présentée
comme une personne non seulement créative, mais à la créativité
alimentée par de puissants tourments intérieurs: on découvrira que
son dessin s'inspire certes de la panthère qu'elle a sous les yeux,
mais en la plaçant dans une scène imaginaire, sorte d'auto-portrait
fantasmé. La jeune femme est agitée: elle n'est pas satisfaite de
son dessin, et sa frustation va jusqu'à dechirer la feuille de son
carnet. Elle la jette vers la poubelle, mais le papier tombe à côté.
Apparaît Oliver- il ramasse le papier et le place dans la poubelle.
Sans mot dire, il pointe du doigt à l'intention d'Irena le panneau
invitant à ne pas laisser de détritus. Oliver est donc représenté
comme un vecteur de l'ordre- son geste vers le panneau- mais aussi
comme un homme presque bon, prêt à prendre sur lui la réparation
de la faute de l'autre. Pour Irena, il est donc aussi un facteur
d'intégration. En une scène, sans avoir besoin de recourir à une
imagerie sexuelle, Tourneur esquisse toute la relation d'Irena et
d'Oliver. Voilà une idée extrêmement élégante, subtile du
cinéma. Il me semble déloyal de reprocher à Schrader la
sur-figuration sexuelle de son film- après tout pourquoi pas ? Mais
au fond, il ne la dépasse jamais. Il semble que se qui l'interesse
au fond soit de film Nastassia Kinksi se déshabillant- à tous les
sens du terme. Même si cette ambition se traduit bien timidement
dans le film. On a vue des metteur en scène pousser autrement plus
loin dans leur retranchements leurs comédiennes.
Et
le parcours des personnages et la vision morale de Schrader relèvent
aussi d'un conformisme que le cinéma fantastique que j'aime malmène
ou à tout le moins interroge. Et le point d'interrogation, ça ne
fait pas partie du repertoire de ponctuations de Schrader. En fait,
le film de Tourneur, 40 ans avant est bien plus moderne.
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Schrader: La femme en cage. |
4. Franchement,
les effets spéciaux ils avaient pas l'air vieux ?
Mattias :
L'autre raison accessoire à tous ces remakes du fantastique des
années 30 et 40, c'est bien entendu le sentiment de nouveauté
apporté par les effets spéciaux, un classique du genre pourrait-on
dire. Et là, bien évidemment, 30 ans après, on rigole un peu...
Après le loup-garou de Landis, la panthère de Schrader... Là
encore, probablement quelque chose d'intéressant aurait pu émerger
d'une association de la sexualité explicite – la nudité frontale
de Kinski, les scènes de sexe – et la métamorphose monstrueuse,
rendue possible par les effets spéciaux de 1982, mais il semble bien
que Schrader se contrefiche de la manière dont il filme cette
séquence de transformation. Il fallait cette scène, c'est comme
inscrit dans le cahier des charges de la production de ce remake, il
la fait. Voilà. En miroir, la métamorphose tout en ombres chinoises
du film de Tourneur prend une intensité qui prouve bien que le
cinéma ce n'est décidément pas de la technique...
![]() |
Reprise du motif pictural de la séquence de l'hypnose: le halo autour du visage. La béatitude de la terreur ? |
![]() |
La même séquence chez Schrader: trouvez la différence, vous aurez compris la valeur ajoutée en 1982. |
Chef
de gare : D'autant plus que cette transformation de Simone
Simon, on est jamais sûr d'y avoir assisté vraiment. Celle de
Schrader, il faudrait tourner le dos à l'écran pour ne pas la voir
! Et on le sent tellement malheureux de devoir enlaidir la Nastassia
qui lui vrille la tête et le reste qu'il en oublie qu'il y avait
effectivement là l'occasion d'un moment vraiment subversif. Car à
vouloir figurer ce que le film de Tourneur ne fait que sous-entendre,
Schrader se prend sacrément les pieds dans le tapis. En 1942, Oliver
finit par comprendre- et dire- que ce qu'il éprouve pour Irena,
c'est un pur désir sexuel, inimaginable pour l'époque de fonder une
relation de mari et femme sur une telle pulsion. C'est cette prise de
conscience qui lui fait renoncer à Irena- soit son propre sentiment
et pas la nature de la féline, qu'elle soit fantasme et réalité.
C'est aussi la force du film de Tourneur que de pouvoir jouer à la
fois sur le sous entendu, et en même temps poser avoir un vrai point
de vue sur les personnages. En 1982, pour Schrader, c'est évidemment
de la sauvage panthère qu' Oliver est amoureux, au point de vouloir
lui faire l'amour aussi. Mais là où justement, dans cette scène de
transformation, il pourrait ce confronter figurativement - puisque
c'est son unique mode de représentation- au désir d'Oliver pour du
laid, Schrader baisse les bras et fond au noir
6.Et la scène là, il y est aussi dans
le nouveau ?
Chef
de gare : Malgré
ce qu'affirme Schrader, je trouve qu'il y a plus d'une scène de son
film a s'inspirer de celui de Tourneur. Mais bien sûr, Schrader
pense à la scène citée le plus directement, la fameuse baignade
d'Alice- plus connue sous le surnom de "scène de la piscine".
Dans le film de 1942, elle se distingue à la fois comme sommet
d'angoisse dans le récit, mais aussi comme accomplissement plastique
de tout le projet esthétique de Tourneur, et enfin parce qu'elle est
un concentré parfait de l'art de ce cinéaste, un moment de cinéma
qu'on pourrait presque isoler du récit pour montrer de quoi est
faite la touche si particulière de Tourneur.
Que Schrader ai éprouvé le besoin de la reprendre à l'identique
est étrange- elle n'est absolument pas nécessaire à son film, qui
établit bien et sans ambiguité la réalité de l'étrange
malédiction d'Irena, et qui ne traite pas la rivalité entre celle
dernière et Alice, là ou la jalousie des deux femmes est un des
aspects les plus forts chez Tourneur. On croirait presque que
Schrader a voulu parodier la scène, d'ailleurs, lorsqu'on comprend
que son seul apport est de filmer Alice seins nus dans la piscine !
Matthias : La scène
d'ouverture du film de Tourneur est reprise un peu plus tardivement
dans le récit dans celui de Schrader. Et là aussi, la comparaison
est cruelle... En 1942, Irena dessine cette panthère par
fascination, autant que habitude – elle est styliste, dessiner,
c'est son métier, les robes des femmes comme les robes de fauves.
Elle n'hésite pas à jeter ses croquis, et c'est d'ailleurs ce geste
qui lui donnera l'occasion de rencontrer Olivier dans une scène qui
commencera par se passer longuement de dialogues – une scène de
séduction quasi-animale pourrait-on dire. Chez Schrader, cette scène
du croquis est reprise, mais n'a comme seule fonction que de
« glamouriser » la belle Nasatassja Kinski – qui n'en a
d'ailleurs pas besoin – Irena se transforme en femme-enfant oisive,
vaguement artiste, un peu illuminée – voire littéralement
lorsqu'Oliver la « débusque » devant la cage aux
panthère, en pleine nuit, dans un zoo baigné de ténèbres et
qu'illumine donc seulement cette femme seule occupée à dessiner.
Schrader ne semble finalement avoir qu'un seul projet avec ce film,
qui certes ne rejoint pas du tout celui de Tourneur : s'ébahir de la
beauté presque coupable de son actrice principale – son amante
durant le tournage du film. Revoir à ce propos la dernière scène
de sexe du film, sado-maso très vaguement assumé. Certes, cela
aurait pu être intéressant, mais en fait, ça ne l'est pas. C'est
que probablement les producteurs du film n'avaient pas tout à fait
la même idée de ce que devait être un film d'horreur. Un exemple
flagrant de malentendu entre ceux qui font le film : un genre de
Panthère-garou de New Orleans, ou un Portier de nuit animal ?
Chef
de Gare : Je ne suis pas
certain de ce malentendu. Schrader dit que le film est sorti tel
qu'il le voulait, et qu'en allant voir une des premières séances
avec Brucheimer, assis derrière deux teenagers
qui s'exprimer Oh my
god ! Devant la
scène bondage, ils se sont dit « Oh, on est peut-être allés
trop loin là » Je crois qu'au contraire c'est un de ces films
de réalisateur star ou où lâche la bride à un talent
qui a une vision,
comme on dit à hollywood.
8.Et
ils pensaient que ça allaient marcher ?
Chef de gare : Faut croire
! Jerry Bruckheimer, déjà le goût de la flambe, a quand même fait
cracher 18 millions de dollars à la Universal pour le trip
porno-soft de Schrader. Presque le double de E.T ! Ils ont dû
faire un peu la tête en voyant les recettes- moins de la moitié du
budget, et se dire que ce n'était peut-être pas une bonne idée que
de se passer totalement de projection test. Le parfum des 70's
aromatise encore le film de Schrader, et on semble encore croire à
la possibilité de succès surprise de films dans lesquels les
cinéastes s'abandonnent avec la bénédiction des exécutifs à leur
lubies personnelles. Nul doute que le film de Schrader fait partie de
ceux qui ont précipité la chute des auteurs rois, dont le coup
d'envoi est généralement attribué à La porte du Paradis de
Michael Cimino l'année précédente. Schrader ne s'en remettra pas
et ne retravaillera jamais avec un studio, jusqu'à la débandade
finale de L'Exorciste: au commencement- dont sa version,
pourtant achevée ne sortira pas et sera entièrement refaite par
Renny Harlin. Difficile à croire, et pourtant c'est possible:
Schrader subit un sort encore pire que celui qu'il a infligé à
Tourneur, son film étant remaké en direct sans même être
montré au public ! Ironie du sort, ou vengeance occulte des
héritiers de Tourneur, 22 ans après ? En tous cas, gare: Remake
bien qui sera remaké le dernier !
7.Alors
c'est lequel que tu préfères ?
Matthias :
Comme s'il pouvait y avoir
le moindre doute... Si l'original de Tourneur est évidemment un chef
d'oeuvre, le voir ou le revoir ne peut que le confirmer, celui de
Schrader, non seulement est un mauvais film, mais plus grave, il est
raté – et ça, c'est coupable, parce que tout de même lorsque
l'on a cette matière sous la main, rater un film à ce point là...
Dans ces early eigthies où
l'Amérique après près de vingt ans de doutes, et conséquemment
d'ouverture au monde, se referme tout à coup, revient précisement à
une mythologie nationale typique des années 40, pleine de certitude,
sur la morale, le bien, le mal. L’Amérique renoue avec le
puritanisme étroit mis à mal par les contre-cultures des deux
décennies précédentes. La
féline fournit une matière
dont un tel sujet pourrait être le coeur : comment la bête enfermée
en nous peut se manifester, voire être apprivoisée ? Une image
littérale du la dualité du désir, du mystère de la sexualité, de
la complexité de l'amour. A la place de ce programme dérangeant,
nous avons finalement droit à l'érotisme tout à fait convenu des
podium de mode – il faut voir certaines scènes où, nue, Kinski
semble défiler devant
le spectateur...
Finalement le puritanisme
s'accommodera sans aucun problème d'une marchandisation du sexe, qui
lui permet surtout de le maintenir là où il doit être. La fin
d'une certaine utopie...
Chef
de gare : Le film de Tourneur est un envoutement, un chef d’œuvre dont les images te hantent pour toujours et dont une part de la fascination s'exerce par des moyens difficiles à circonscrir par les mots.
Je n'ai pas un point de vue si radical que Matthias sur le film
de Schrader. C'est un film encore largement ancré dans les années
70. Schrader fait le film, mauvais ou bon, qu'il a besoin de faire
avant de prendre en considération les attentes du studio ou du
public. Mais il sacrifie aussi à des conventions du genre : la
scène de la piscine, les moments gore, le suspens qu'il essaye de
construire dans certaines scènes. On sent qu'il rêve d'un parcours
semblable à des cinéastes dont il est l'ami ou le scénariste. Je
crois qu'il y a un vrai désir subversif de Schrader envers son
sujet, qui le fait envisager son film non plus comme le horror movie
de genre envisage au départ mais comme un auteur. Et ce dérèglement
du programme, ce geste artistique, le studio le soutient. Mais
Schrader est tellement imprégné du calvinisme de son éducation (il
y a même une peinture de la cène dans le bureau de l'hotêl de
passe bon sang!) qu'on sent bien que pour lui, filmer Oliver qui
attache Irena, c'est le summum de la déviance. Or finalement, le
traitement des personnages et le déroulement du film ne dépassent
jamais le dogmatisme de la vision de Schrader, et au contraire, le
renforce. Oliver n'est jamais déstabilisé dans son identité par
son désir pour Irena, il finira par la domestiquer, avec son
consentement. La monstruosité possible- et donc la menace du désir
féminin n'est en fait jamais représentée, et même, au fond,
n'existe pas dans le monde de Schrader. Le traitement des personnages
masculins est vraiment éloquent. Dans le film de 1942 Oliver quitte
Irena avec une lucidité impitoyable, et pour moi, Tourneur est avec
Irena contre Oliver, où en tout cas, il regarde Irena avec
empathie, pas avec désir. Schrader lui qui est saturé de désir
pour Kinski finit par la montrer dans une cage, après que toute
consentante, elle aie satisfait Oliver. La fin qui devrait être
amère est au contraire une sorte de triomphe de la vision morale de
Schrader. Au bout du compte, tout est retombé en place :
l'homme est marié devant dieu, la femme pécheresse est en cage.
Rien, dans ce qui s'est produit, n'a dérangé les frontières
intérieures d'Oliver, ni d'Irena, ni de Paul, ni d'Alice. Les image
de Schrader sont sans mystère comme les petites peintures
sulpiciennes dont il parsème ses décors. Ce sont des images qui ne
suggère jamais rien et qui ne montrent que ce que la caméra filme.
Dans La Féline il y a beaucoup de nudité et aucun érotisme.
Cela
étant bien dit, je regarde le film de 1982 avec un certain plaisir.
J'aime la séquence générique. Le désert rouge passion qui dévoile
les crânes et les ossements, Eros et thanatos ! Ça n'est pas
bien subtil mais le symbolisme de l'illustration me flatte l'oeil
tout comme les décors de la nouvelle Orléans et les beaux
Matte-paintings de Syd Dutton (le zoo, l'arbre au début ). Mes
oreilles, elles, sont flattées par la musique de Moroder, et la très
bonne chanson de Bowie. J'aime des détails saisis au vol et vivants
comme la conductrice du taxi qui a deux paires de lunettes l'une sur
l'autre ou l'orang-outang qui regarde un soap à la télé. Et
évidemment, même si je suis totalement insensible à la plastique
de Nastassia Kinski, Schrader finit par attraper quelque chose
d'elle, à la fois fragile et conquérant qui provoque parfois cette
émotion que seules les images d'une actrice prise dans le regard
d'un cinéaste peut procurer.
Pour
moi le film a un pied dans les années 70- c'est la volonté de
traiter une relation sulfureuse, Schrader veut refaire Le dernier
tango à Paris (Scarfotti, le directeur artistique l'a été sur
le fil de Bertolucci) plutôt que La Féline, et le studio est encore
prêt à miser gros sur les délires d'un auteur. Avec l'autre pied
dans les années 80- la musique de Moroder et de Bowie, la photo de
John Bailey - Schrader se mesure aux cinéastes tellement décriés
venus du vidéo-clip et de la publicité. Mais il n'a le talent
ni d'un Adrian Lyne ou d'un Alan Parker, et encore moins celui d'un
Tony Scott qui signe cette année là un chef d'oeuvre cruel et
authentiquement érotique, Les Predateurs. On en reparlera.
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