LA FEMME CACHEE
LA DERNIERE LICORNE (The last unicorn)- Arthur Bass Jr. et Jules Rankin-1982- Etats-Unis, Royaume Uni, Japon, République Fédérale d'Allemagne
Si
le temps qui passe creuse les visages des vedettes et lie leur
jeunesse à une époque de gloire fatalement destinée à passer, les
dessin-animés semble échapper au ravages du temps et bénéficier
d'un attrait intemporel. De génération en génération, la
placidité de Droopy, la témérité de Mickey, la malchance de Wile
E. Coyote produisent les même effets et s'attachent toujours autant
de public. Plus destinés aux adultes les Simpsons ont
dépassé leur 20ème année de diffusion consécutive sans jamais
avoir eu à opérer de changement esthétique majeur.
La
dernière licorne, long métrage animé par celluloïds, produit
en 1982 dégage donc un charme sans âge, intact, sans doute
identique à celui qu'aurait eu le film fabriqué 10 ans plus tôt ou
plus tard.
Pourtant,
si on se penche sur ses conditions de production, nul doute que nous
avons là un pur produit de ce monde des deux blocs que nous
évoquions hier. En témoigne en premier lieu le financement,
fragmenté entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et la
République Fédérale d'Allemagne.
Nous
sommes encore à l'époque où, d'un point de vue commercial, il y a
les long-métrages Disney d'un côté, et tout le reste de l'autre.
Il était alors possible, pour un jeune spectateur (ce que j'étais)
d'aller voir tous les films d'animations distribués- ils étaient
presque tous destinés aux enfants. Et bien souvent c'est la
ressortie d'un film Disney qui attirait le plus de spectateurs.
La
solution de la co-production, comme à la grande époque du cinéma
populaire, est alors une bonne alternative pour faire exister des
films. Le montage consiste généralement à séparer la conception
de la fabrication proprement dite. Aux producteurs/réalisateurs de
concevoir le film, de dessiner le storyboard, d'engager un musicien
et des comédiens de doublage. Puis un studio est engagé pour
l'animation et la fabrication des éléments nécessaires au
tournage. Et les clivages politiques de l'époque transparaissent
dans ces associations, à priori purement financières. En France,
Jean image travaille avec Moscou et René Laloux, sympathisant du PCF
travaille avec la Corée du Nord, la Tchécoslovaquie et la Hongrie
communistes. Nous reparlerons d'ailleurs de lui dans une prochaine
chronique.
Des
collaborations inimaginables pour Jules Rankin et Arthur Bass,
américains œuvrant de l'autre côté du rideau de fer. Les
associations sont souvent difficiles à reconduire et les films
demeurent souvent des prototypes sans descendances mais eux ont,
réussi à mettre en place un système de fabrication efficace aussi
bien pour des séries télé (Kid Power, Thundercats) que des
longs-métrages (The Hobbit, Le vol du dragon ). C'est grâce
à un studio Japonais, Topcraft, créé en 1972, que Rankin/Bass
pourront maintenir une production constante et homogène. La
Dernière Licorne est leur œuvre la plus ambitieuse et la plus
aboutie.
Rankin
et Bass, après avoir utilisé à leur début l'animation image par
image se tournent, au moment de produire la série télé Kid
Power vers l'animation en dessins sur celluloids, plus économique
et plus rapide. Outre pacifique, le Japon a une tradition dans le
domaine, inaugurée dans les studios Mushi Productions de Tezuka,
aussi efficace que déjà décriée, pour fournir des kilomètres
d'images plus ou moins animées dans des délais imbattables. Rankin
et Bass vont bientôt devenir les commanditaires presque exclusifs de
Topcraft. La dernière licorne ne sera d'ailleurs pas
distribué au Japon. Mais si l'on se penche sur leurs réalisations,
on peut comprendre pourquoi.
La
référence de Rankin et Bass, pour leurs productions médiévales
fantastiques réalisées par Topcraft est de tout évidence
l'illustration européenne du XXeme siècle. On songe, en voyant les
personnages et les arrières-plans de La dernière licorne à
Aubrey Beardsley, à Arthur Rackham, à Kay Nielsen. De ces
inspirateurs, Tsuguyuki Kubo tire des personnages étrangement
inadaptés à leur exploitation. Leurs silhouettes longilignes et
pleines de cercles quasi fermés sont enrichies d'une multitudes de
traits rendant la multiplication des dessins nécessaires à
l'animation sans doute plus que fastidieuse pour les animateurs.
D'autant plus que plutôt que d'opter sur une animation fondée sur
une alternance de stations immobiles ponctuée par des mouvements
brusque, et de jouer avec les déplacement de la caméra et
différents effets statiques (changements de couleur par filtres
etc...) à la manière de la plupart des autres studios, les
animateurs de Topcraft optent pour une animation constamment en
mouvement « à l'occidentale ». Le résultat à l'écran
est souvent bien malheureux, sans vigueur, sans rythme, sans poids.
Mais les qualités de La dernière licorne sont ailleurs.
Illustration de Kay Nielsen |
Dans
son histoire d'abord. Rankin et Bass ont un goût prononcé pour une
Fantasy, qui n'est pas encore la coqueluche des studios et des
éditeurs- ils n'ont pas encore réussi à industrialiser les
recettes du succès du Seigneur des anneaux. Au cinéma, les
difficultés à matérialiser les créatures et les mondes
fantastiques du genre rendent très périlleuse la crédibilité d'un
long-métrage ne fleurtant pas avec le second degré. Un film de John
Milius s'apprête à changer la donne, mais lorsque les Rankin et
Bass achètent les droits du roman de Peter S.Beagle, le dessin-animé
semble être la seule voie viable pour un film médiéval fantastique
ambitieux.
Peter
S. Beagle, qui adaptant son scénario, ne fait pas de concession à
son récit. Ne cherchant pas à adhérer à une formule plus
conventionnelle en alternant soigneusement les scènes courtes, aux
tonalités variées pour maintenir l'attention du public. Les
réalisateur n'hésitent pas à faire apparaître des personnages le
temps d'une seule scène (la bande de Jingly Jack), à basculer dans
un fantastique grotesque (Schmendrick coincé entre les seins énormes
d'une femme arbre rose!), à désamorcer des effets d'attentes (la
confrontation avec le méchant roi Haggard se solde... par
l'installation des héros dans son château, à son invitation !)
ou à ne pas conclure toutes les intrigues plus ou moins initiées
(on peut se demander quelle est l'utilité de Schmendrick à partir
du moment ou la troupe arrive au château.)
Illustration d'Aubrey Beardsley |
La
licorne est bien entendu une image virginale de la jeune fille- et
elle est associée à une série de symboles visuel féminins :
la forêt luxuriante aux eaux dormantes où elle vit, mais aussi le
cycle des marées commandant à l'apparition de ses soeurs. Le
premier homme qu'elle rencontre, le magicien Schmendrick- il est
maladroit, c'est une sorte de puceau en magie- va, littéralement, la
transformer en femme. A partir de ce moment, le récit confronte la
licorne devenue humaine à une série de personnages masculins
répondant chacun à un régime de désirs différents.
Le
taureau de feu, d'abord, qui poursuit les licornes- incarnation
limpide du désir dans sa forme la plus pressante. « Il vient
quand c'est l'heure, ni avant, ni après »dit un personnage-
autant dire que La licorne n'a aucun contrôle sur ce désir qui ne
demande pas la permission.
Le
prince Lir, lui, doit écrire un poème à la belle pour lui demander
de l'aimer. C'est le désir rassurant, celui qui se propose.
D'ailleurs, lorsque Lir se montre plus brutal, et terrasse un dragon
pour offrir sa peau à la jeune femme, elle le repousse.
Enfin,
la figure d'Hasggard, le vieux roi, incarne le désir devenu stérile.
Son château, tout en tours verticales de roches grises, qui abritent
un trône surmonté d'un crâne, se caractérise en une opposition
limpide à l'espace naturel de la licorne, la forêt vue au début.
Le
film n'essaye jamais de donner artificiellement chair à ces
archétypes- les dialogues dans une langue aussi ornementée que les
silhouettes des personnages traduisent leurs doutes intérieurs
plutôt que des échanges destinés à nous les rendre vivants.
La dame à la licorne- tapisserie du XVeme siècle- musée du moyen-âge, Paris. |
C'est
ce ton qu'on appréciera de bout en bout, d'un très beau générique
voyant des créatures magiques se figer pour se fondre dans l'arrière
plan (magnifique image littérale : mourir pour un dessin-animé,
c'est quitter le celluloïd pour rejoindre le décor peint et
condamné à l'immobilité) et finir par constituer la célèbre (et
attendue ici) Dame à la licorne de Cluny, à un final
accompagné d'une autre citation picturale, cette fois Les chevaux
de Neptune de Walter Crane.
Ayant
retrouvé ses sœurs, la licorne redevient cheval et repart dans son
royaume. Le prince Lir, qui était prêt à sacrifier pour elle
demeure seul en son château, avec le vieux Hasggard, en attendant,
sans doute, de régner à son tour.
Rares
sont les conteurs a refermer leur récit sans marier prince et
princesse. Peter S.Beagle, Rankin et Bass osent le faire. En 2012,
Blanche-Neige et le Chasseur, de Rupert Sanders se conclura
aussi par l'image d'une jeune reine couronnée laissant
son promis repartir sans elle. Ce film, qui met aussi la psyché
féminine au cœur de son imagerie partage plus d'un point commun
avec La dernière Licorne. Ne l'y aperçoit-on pas, inchangée,
dans son sanctuaire, où Blanche-Neige se réfugie ? Le film
emprunte aussi beaucoup à
l'imagerie popularisée par Peter Jackson avec Le Seigneur
des Anneaux. Le réalisateur vient de réaliser une adaptation du
Hobbit...déjà porté à l'écran par Rakin, Bass et Topcraft
en 1977.
Que
leur œuvre soit devenue aujourd'hui assez confidentielle, et que
d'autres cinéastes effacent leurs pas, ne doit pas nous faire
oublier qu'ils furent les premiers à invoquer sur les écrans
dragons, hobbits, magiciens, troll et licornes.
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