The Thing- John Carpenter- 1982- Etats-Unis
VS.
The Thing- Matthijs Van Heijningen jr.- 2011- Etats-Unis-Canada.
Double Programme le samedi soir, comme l'an dernier ! Cette fois, on voit double. Chaque semaine, on se recolle devant deux films d'affilée, l'un étant toujours le remake de l'autre, et l'un des deux nous provenant, évidemment, de l'inégalable an 82. Cette semaine, on continue à se méfier les uns des autres avec la barbe et l'anorak dans The Thing et The Thing.
VS.
featuring:
1.
Mais pourquoi il voulait le refaire, ce film, il est pas bien ?
Matthias: Si en 1982, les
executives américains mettent en chantier les remakes de films
datant de quarante ou cinquante ans, c'est qu'ils supposent qu'il y a
là une matière comme « endormie », et cette idée
s'accommoderait très bien d'une histoire comme celle de The
Thing, qui ne demande qu'à être remise en route. Les
exemples de La Féline ou de The
Thing illustrent parfaitement cette démarche : quel
spectateur de 1982 a vu ou a simplement en tête le fait que ces
films sont des remakes ? Très peu d'entre eux, ce n'est pas le
propos – il s'agit de faire du neuf avec du vieux en évitant de
faire référence au vieux. Un lifting, une remise à la mode, en
quelque sorte.
Il
en va tout autrement en 2011. Le remake de Matthijs van Heijningen ne
peut se dispenser de la référence au chef d'œuvre de Carpenter,
vieux de trente ans. Dans l'intervalle, nous pouvons donc constater
avec un certain plaisir qu'une histoire du cinéma populaire a
désormais intégré la mémoire d'un certain public, auquel ces
remakes sont également adressés – en plus du public à pop-corn
qui vient consommer de la pellicule... Cette manière de refaire des
films que le spectateur a donc en tête a trouvé l'une de ses
premières occurrences avec le succès mondial du King
Kong de Peter Jackson, film en forme de mise en abyme du
premier King Kong, un film RKO encore une fois !, à la fois
hommage, commentaire, modernisation du film de Schoedsack. Avec la
mise en chantier quelques temps plus tard de Prometheus,
que nous avons déjà évoqué jeudi dernier, prequel d'Alien
par son créateur même, Ridley Scott, le projet d'un remake/prequel
de The Thing, film
devenu culte en 30 ans, devient imaginable. C'est qu'au simple
projet d'actualisation, le prequel vient ajouter une dimension
nouvelle à l'œuvre originale, dimension évidemment jouissive pour
les innombrables fans de l'œuvre de référence : nous allons vous
expliquer l'origine de l'histoire que vous vénérez. Cette promesse
d'un éclairage sur les zones d'ombres du film original, est à la
fois le cœur du projet de ces prequel, dans le même temps tout de
même qu'il est aussi ce qui vient nier l'œuvre d'origine. Une sorte
d'antithèse pourrait-on dire : vous voulez savoir d'où vient la
Chose ? Vous voulez savoir ce qu'est ce double visage carbonisé
abandonné dans la neige et que MacReady et ses compagnons
découvraient au début du film ? Vous voulez ôter tout mystère à
la charge du film de Carpenter ? Suivez-nous, et entrez dans le The
Thing version 2011...
Le chef de gare: Plus concrètement j'ajouterais qu'avant le remake de King Kong, il y a quand même eu un certains nombres de fils refaits - et même pas mal de films de Carpenter, puisque The Fog, Halloween et Assaut ont déjà eu droit au leurs. Ce qui est peut être différent dans le cas de cette vague de remakes récents, c'est qu'on commence à voir des nouvelles versions de films des années 80. Ces films qui étaient méprisés à l'époque sont aujourd'hui l'objet d'une reconnaissance critique nouvelle via une génération de critique et de cinéphiles, dont nous sommes, qui sont entrés en cinéma comme en religion avec La guerre des étoiles - à l'époque ça ne s'appelait pas encore Star Wars ! Ces films regardé avec une certaine nostalgie sont devenu un mausolée sacré,et chaque fois qu'un de ces remakes est annoncé, on se sent plus ou moins heurté. The Thing, en l'occurrence, s'attaque à un gros morceau, puisqu'il s'agit d'un pur classique. Mais pour Hollywood, et c'est aussi la beauté de la chose, rien n'est sacré. Je pense que si ce n'est nous, nos enfants verront un remake de La guerre des étoiles !
Pour The Thing, Je pense que le projet est devenu valide à partir du moment où les producteurs du remake de Dawn of the dead (Zombie/ l'armée des morts) sont entrés dans l'affaire. Ce remake de Zack Snyder a été un gros succès, et a été plutôt bien reçu par la critique, et adoubé par les "fans". Il a dû paraître logique d'enchaîner avec The Thing, autre grand film fantastique de l'époque.
Matthias :
Nous sommes donc à nouveau en 1982, et les plans d'ensemble qui
ouvrent le film nous rappelle en tout point l'ouverture du film de
Carpenter. Un blanc immaculé dans lequel un véhicule, petit point
lointain, vient laisser sa trace dans la neige. Nous sommes très
vite à bord de ce « camion des neiges », en compagnie
d'un groupe de scientifiques norvégiens, qui parlent dans leur
langue – et sont donc sous-titrés dans la version originale du
film, véritable rareté dans le cinéma américain, dont on peut
supposer qu'il classe ce film directement dans la catégorie du
« film d'art », signe une fois encore de l'ambition qui
est celle, toute estimable, de van Heijningen. Un signal sonore en
forme d'écho emplit le petit véhicule, et tandis qu'à l'avant les
deux chauffeurs à l'allure de bons gros bûcherons vikings se
racontent une histoire drôle, à base d'inceste, à l'arrière l'on
est attentif à l'origine du signal sonore, là juste sous nos roues,
ou plutôt sous nos chenilles... Tout à coup, le véhicule
s'effondre sous son poids dans une crevasse : c'est ainsi que
quelques mètres plus bas, il découvre, dans les entrailles
phosphorescente de glaces de ce sous-sol sombre quelque chose,
mais nous ne saurons pas quoi... Pas encore. En fait, ce n'est pas
très grave, puisque nous savons déjà ce qui se trouve enfoui sous
la neige.
Cette
scène d'ouverture renvoie bien entendu à la scène du film de
Carpenter où l'équipe d'américains découvrent l'immense soucoupe
volante, prise dans une crevasse à ciel ouvert, mais rappelle plus
précisément la scène du film de Nyby, de 1951 donc, où la même
équipe américaine, trouve quelque chose sous la glace et
tente d'en extraire la forme humanoïde repérée à ses côtés.
C'est que si le film de van Heijningen est un prequel
du film de Carpenter, d'une certaine manière, il est beaucoup plus
proche, dans sa narration, du film de 1951.
A
la suite de cette découverte, les Norvégiens, peuple européen à
la limite de la civilisation... font appel à une jeune paléontologue
américaine – ce qui nous vaut une séquence hors du strict espace
Antarctique – qui vient les rejoindre pour examiner la Chose qu'ils
ont découverte.
On
notera là l'une des grandes « évolution » de ces
différentes versions du même film : la place des femmes. En 1951,
celles-ci sont des secrétaires qui servent le café aux hommes de la
station, en 1982, elles ont tout simplement quitté le film pour
laisser les hommes se battre entre eux, tandis qu'en 2011, non
seulement l'une d'entre elle est devenue une scientifique reconnue
que l'on vient recruter jusque dans son laboratoire, mais encore elle
va vite devenir le personnage principal de cette histoire, le
MacReady contemporain, dont il reconnu par les autres qu' « elle
est intelligente ! », avec toutefois une pointe de dépit dans
la voix : s'il s'agit de combattre la Chose et son emprise, la femme
elle est d'ores et déjà parvenue à imposer son autorité à des
hommes qui toutefois n'en semblent pas si heureux...
Le
film de Carpenter, nous l'avons dit, traitait d'un conflit au sujet
du pouvoir entre semblables, des hommes virils à la force toute
masculine. Le film de Nyby traitait exactement du même sujet, mais
entre deux autres catégories de mâles : le soldat et le
scientifique, celui qui a la force et celui qui a la connaissance. Je
vous laisse deviner qui parvenait à « vaincre » en
1951... En 2011, la prise du pouvoir par cette femme, scientifique,
se fait au motif non de sa force, mais de sa capacité à transformer
un rapport de force en rapport de coopération – nous sommes bien
passés dans une autre époque : lors de la scène « des
dents », équivalente à la scène du test sanguin de 1982,
Kate, l'héroïne, contrôle l'ensemble du test, et le partage des
membres de la base entre suspects et alliés. Et le premier d'entre
ces hommes inquiets à être disculpé est Lars, le seul
desNorvégiens à ne pas parler anglais. Ainsi l'allié sur lequel
Kate fonde son pouvoir est celui qui lui est le plus dissemblable :
le gros et poilu Lars – qui sera tué par les américains au début
du Carpenter - qui se lie contre toute attente à cette jeune femme
avec laquelle il ne peut pas communiquer : la confiance, motif qui ne
va cesser d'être éprouvé tout au long du film, trouve ici l'une de
ses expressions. Le film de 2011 n'est pas un film paranoïaque, son
sujet est tout autre. Mais quel est-il ?
Le
chef de gare: Pour moi il est inexistant. Je ne vois pas de sujet
dans le film de 2011, mais plutôt une série de motifs d'origine
psychologiques, choisis pour le confort intellectuel et affectif du
spectateur. Nous avons le capitaine d'industrie cynique et sans cœur
(obligatoire dans l'entertainement post Madoff), les pilotes et
techniciens bourrus, mal dégrossis, mais fidèles et courageux, d'où
se détache forcément un mâle alpha un peu plus futé et tiré
d'une page de Men's Health magazine. D'ailleurs, ce grossissement du
trait psychologique entre en contradiction complète avec le film de
1982, et rejoint, effectivement le cinéma tel qu'on le pratique en
1951, et dont les rapports humains, aujourd'hui, ne peuvent guère
que provoquer des sourires. Et encore... dans le film de 1951, il y a
de la tension sexuelle et des sous-entendus salaces plus piquant que
la pauvre blague par laquelle Van Heijningen nous accueille. Ici, la
femme n'est jamais envisagée comme un objet sexuel, et même pas, en
fait, sexué. Ce qui fait expliquer sa présence par la seule
nécessité statistique. On se retrouve au bout du compte, avec
le cliché que Carpenter voulait éviter il y a 30 ans. La baroudeuse
à la Ripley, qui sort le lance-flamme pour faire le
nécessaire quand le moment est venu.
2.C'est
pas vrai. Ils ont changé la fin ?
Matthias :
Ben
non... Le projet, évidemment excitant, est d'essayer d'être raccord
le plus possible au film de Carpenter. Donc la fin du film de 2011
doit précéder le début du film de 1982. Et là, on peut dire que
Matthijs van Heijningen s'en sort plutôt bien, mais d'une manière
relative
quant
à son œuvre : lorsque en guise de générique final, la pulsation
grave de Capenter/Morricone résonne tout à coup, alors que
l'hélicoptère parvient à la base norvégienne, quelque chose nous
saisit : nous allons assister maintenant au film, au vrai ! Les deux
derniers rescapés, au comble de la panique, alors qu'un chien vient
de fuir de la base en ruine, se ruent à nouveau dans l'hélicoptère.
Les derniers plans sont identiques
aux
premiers du film de Carpenter, dans un geste à la fois de vanité et
de modestie qui dit toute l'ambition du film.
A
ce moment-là, l'inquiétude est à sa comble, nous voilà vraiment
mûrs pour un film qui s'appelle The Thing...
Le
chef de gare: ... Et en même temps, ils ont
quand même carrément changé la fin, puisque le film de Van
Heijningen se termine comme celui de Carpenter par la confrontation
de deux survivants, et le spectateur avec eux, se soupçonnant l'un
l'autre d'être une chose. Mais le film de 2011 décide que
l'ambiguïté totale de la fin de Carpenter ne sera sans doute pas
satisfaisante pour les spectateurs contemporain, et qu'il faut tirer
les choses au clair. Sans bavures: Carter est une chose, Kate s'en
sort... là on contredit totalement le film de 1982. D'autant plus,
on pourra y revenir, qu'il me semble que le film de Carpenter, c'est
aussi l'histoire d'une contamination rendue possible par la
prolifération de montages parallèles, et que la victoire de la
chose à la fin est totale, puisque Mac Ready et Childs décident de
rester ensemble, et qu'il n 'y a donc plus de montage alterné
possible. Le film de 2011 nous dit le contraire: à la fin,
l'humanité à gagné, puisque malgré le raccord avec le début du
film de Carpenter, Kate, de son côté rejoint la base des russes, et
peut-être, parviendra à mettre la chose en échec. L'inverse de ce
que dit la fin, littéralement apocalyptique, du film de 1982.
3.Et
ils ont pris qui, pour le refaire ?
Matthias :
Un parfait inconnu, Matthijs van Heijningen Jr.,
apparemment néerlandais – et tout de même il y a quelque chose
d'un peu européen dans ce film – et probablement un peu « petits
bras » pour imposer sa vision aux producteurs américains. Et
l'on sent bien d'ailleurs ce conflit entre une vision qui à mon sens
fonctionne dans la première partie du film, lors de l'exploration de
la crevasse où repose la soucoupe ou du premier examen de la Chose.
Nous ne sommes pas loin de l'économie narrative du film de Nyby, où
l'on suppose un vrai mystère – et accessoirement en 2011, où l'on
présage de la promesse de découvrir, enfin!, les raisons de cette
Chose. Très vite, nous ne verrons finalement qu'un film de monstre
parmi d'autres, certes relativement tenu, assez beau plastiquement,
mais le programme plus ambitieux de cet affrontement entre un groupe
de norvégiens, nouveaux explorateurs rustres et sévères, d'un
continent inconnu, un peu à la manière des Vikings d'avant Colomb,
et un groupe d'Américains qui finiront par prendre le dessus et
affirmer leur hégémonie politique et culturelle, et détruire par
là le projet même de collaboration portée par l'héroïne. Ce
film, il existe certes en filigrane, mais van Heijningen finit
lui-même par être la victime de cette Chose sans cesse évolutive
qui s'appelle Hollywood...
Le chef de Gare:
C'est clairement un projet de producteurs, ce The Thing 2011.
En 1982 aussi, mais Carpenter avait vraiment envie de faire le film,
qu'il a d'ailleurs repris des mains de Tobe Hooper après que le
succès de The Fog et Halloween l'ai rendu crédible
auprès des créanciers d'Hollywood. Carpenter, lui avait depuis
longtemps manifesté son interêt pour l'histoire, et le film de
Nyby, dont on aperçoit un extrait à la télé dans Halloween !
4.Franchement,
les effets spéciaux ils avaient pas l'air vieux ?
Matthias :
C'est bien entendu l'une des attentes du fan du Carpenter que de se
demander comment il vont à l'ère du numérique traiter des effets
spéciaux qui sont restés mythiques. Essayons d'en dire un mot de
ces fameux effets d'animatronique, dont l'aspect baroque
contrastaient avec l'univers très classique du film de Carpenter. La
Chose est donc un métamorphe, entendez par là qu'elle a la capacité
à sa transformer à son gré, en l'occurence en prenant la forme de
son hôte, celui qu'elle envahit puis gouverne – encore une
question de pouvoir. Cette pouvoir particulier de l'imitation, il
n'en est encore nullement question dans le film de Nyby, en 1951. La
Chose ressemble à être humain, mais tient au moins autant du
végétal, et n'est finalement qu'un monstre parmi d'autres, à
l'allure vaguement agressive – entre le Frankenstein incarné par
Karloff et un radis géant – tandis que chez Carpenter, l'horreur
provoquée par la Chose n'a pas tant à voir avec son côté
monstrueux, ça l'Alien de Scott nous a déjà fait le coup trois ans
plus tôt, qu'avec son atroce capacité à démultiplier ses
formes, à partir de sa copie humaine. Et cette évolution en direct
depuis l'Homme, classiquement admis comme le sommet de la chaîne
évolutive, vers la bête, mi-insecte, mi-carnassier, c'est tout le
programme du film de Carpenter. L'homme, voire le mâle, est voué à
se détruire lui-même, incapable qu'il est de dépasser ses
contradictions, quand la Chose a la capacité à réagir, à
s'adapter à l'avenant : le corps dont elle vient de prendre
possession est brûlé, qu'à cela ne tienne : la tête – d'origine
humaine – se décroche pour rouler au sol, et de là s'enfuir en
mutant en une forme d'araignée qui s'esquive discrètement, à
l'insu des personnages, mais non des spectateurs – ce mouvement de
la transformation est ce qui provoque l'horreur, dont la technique
pré-numérique de l'animatronique n'a jamais si bien portée son nom
: l'essence de l'horreur visuelle, c'est son âme, son anima, qui la
mets en mouvement, caractère particulier du cinéma. Il est notable
à ce sujet que les apparitions et transformations de la Chose sont
filmées en pleine lumière, plein cadre, absolument pas dans la
pénombre évocatrice typique de films comme Alien ou comme...
The Thing version 2011, dont le monstre numérique n'a
finalement plus grand chose à voir avec le bestiaire « boschien »
du Carpenter, mais beaucoup plus avec les monstres de fantasy,
rapides, efficaces, armés de
mandibules ou de tentacules acérées – un peu à la manière dont
les Zombies depuis 28 jours plus tard ont totalement changés leurs
représentations dans le cinéma populaire. Les effets spéciaux du
Carpenter ne visait pas cette performance du monstre, mais bien son
horreur, qui la rapproche paradoxalement d'une forme de beauté, pour
le moins d'une esthétisation du
répugnant, et partant de la mort, lorsque MacReady par
exemple découvre dans la base l'un des Norvégiens suicidé, et dont
le froid environnant a figé l'instant de la mort, dans une sculpture
à la fois macabre et néanmoins fascinante – d'autant que l'on ne
sait pas encore ce qui s'est passé à ce moment-là. Cette ambiguïté
des effets spéciaux du film de Carpenter dit quelque chose de notre
rapport à ce cinéma, quand van Heijningen se contente de rattacher
son film à une tradition du monstre dans le noir, qui surgit de sa
boite comme le diablotin que l'on ne parvient plus à prendre au
sérieux.
Le
chef de gare: C'est exactement ça: van Heijningen fait un film
de monstre. C'est très symptomatique du glissement de beaucoup de
films d'horreur, d'ailleurs, vers le film d'action. Ce qui n'est pas
dû seulement à un progrès technique permis par l'apparition des
effets numériques. Déjà Predator proposait cette hybridation.
Dans The thing, il me semble que c'est une perversion profonde du
projet de Carpenter. Tu disais justement combien les créatures, avec
Carpenter sont aussi belles. Là encore, pardon d'y revenir,
je crois que ce n'est pas tant dû à l'aspect des créatures qu'au
regard que Carpenter induit envers elles. Par la force des choses-
c'est à dire les limites techniques- les créatures possèdent
souvent une partie immobile dans le plan, parfois très
majoritairement (à tel point que certains morceaux des créatures
étaient fabriqués en fibre de verre) induisant une immobilité de
la caméra qui nous met dans un position de contemplateur des
créatures. C'est d'ailleurs un peu le ton du film. Il y a ce refus de developper les personnages qui sont quasiment sans personnalité et sans "profondeur", il y a cette caméra de Carpenter qui scrute sans compatir, et peut aller jusqu'à se mettre à hauteur de regard de la créature. il y a ce refus total de sentimentalisme, illustré par trois moments que j'adore. Le premier, c'est l'annonce du délais avant la fin de l'humanité, que Carpenter ose filmer sur un écran d'ordinateur. impossible de faire plus froid. Ensuite c'est Blair qui réagit non pas en devenant triste, mais en devenant fou. Enfin, c'est l'absence totale d'émotion de MacReady quand il tue un humain non infecté par la chose. La musique de Morricone va d'ailleurs dan ce sens, et ne joue jamais la carte de l'effet dissonant appuyé pour souligner l'horreur. On n'en dira pas tant de celle de Beltrami, qui contient aussi de beaux passages, pour le film de van Heinjningen. Il y avait pourtant des compositions de ce genre chez Morricone, qu'on entend sur le disque, mais que Carpenter a écarté. Il y a aussi un orgue d'église, et quand tu parles d'images "boschienne" je crois que c'est tout à fait ça. The Thing est un film apocalyptique. Il y presque une dimension religieuse- tu n'es pas d'accord je crois- qui me rappelle décidément Prince des ténèbres- et on pourrait voir l'arrivée de la créature comme la manifestation de la fin des temps- inévitable, quand on y songe, puisque Blair comprends qu'elle ne peut pas mourir. Je trouve que The Thing, de Carpenter, est un film d'un nihillisme incroyable.
Tu dis que les créatures sont montrées en pleine lumière mais
j'ai eu moi l'impression contraire. Elle m'ont semblées souvent
dévoilées dans une pénombre qui laisse travailler l'imagination et
rend incertain le contour réelle de la chose. Celles du film de
2011, virevoltantes et exposées sous toutes le coutures impliquent
un autre regard: cette caméra tremblotante et paniquée, qui ne nous
laisse pas tellement d'autre alternative que le point de vue de la
proie. Par contre, la plus belle idée du film de van Heisjningen
concerne les effets spéciaux. lorsqu'elle pénètre dans le
vaisseau, Kate découvre une étrange colonne, dont la fonction
restera un mystère, composée de polygones crénelés, semblables
aux pixels apparaissant sur les images dont la définition est
mauvaise, et qui sont typiques de l'image numérique. Cette image
nous fait entrevoir ce qu'aurait pu être la mise en scène du film,
sous la caméra d'un cinéaste contemporain de la trempe de
Carpenter. Il y a là une grande idée visuelle qui est évidemment
aussitôt abandonnée. Tu dis aussi que l'aspect de la créature
tranche avec l'esthétique de Carpenter. ça me semble très juste et
d'ailleurs, on verra une créature beaucoup plus "Carpenterienne"
dans la cuve de Prince des Ténèbres. Je crois que l'aspect de la
créature, une fois trouvée l'idée de son pouvoir d'imitation
n'avait plus tellement d'importance pour Carpenter, tant le coeur du
film est ailleurs, certainement pas dans le surgissement des
bestioles. D'ailleurs, les concepteurs du film était dans une
impasse, quand à savoir quel forme lui donner, et c'est Rob Bottin
qui a eu cet éclair de génie de répondre: "elle va ressembler
à n'importe quoi" Et là encore, le film de Van
Heisjningen se prend les pieds dans le tapis, puisqu'à la fin, il
donne un visage à la créature ! Ce que Carpenter, en fait, avait
l'intention de faire avec un monstre qui aurait intégré, très
reconnaissable, le visage de Blair.
Il est stupéfiant que
Carpenter réussisse cette gageure, d'ailleurs, de ne pas amoindrir
la force de suggestion du film en montrant les monstres. Pour parler
encore une fois de montage-à mon avis la grande qualité de
Carpenter portée ici jusqu'à un niveau éboulissant- je crois que
la fascination produite par le film réside dans l'absence de raccord
entre la créature copiée et la créature copiante. C'est à dire
qu'on doit accepter l'idée que la chose peut être un des
personnages interprété par un acteur, et dans ce cas sa faculté
atteint le mimétisme: la créature imite la voix, le caractère, la
façon de parler etc... mais avant, la chose est un magmat
caoutchouteux de formes fondues les unes dans les autres. Et il est,
en fait, impossible de croire que l'un puisse devenir l'autre, ce qui
créer un sentiment assez fascinant, même si le film de Carpenter
n'aurait pas été gâché par une métamorphose plus détaillées.
Et là, je reconnais au film de van Heisjningen l'intelligence de ne
pas avoir cédé à l'envie de le faire.
5.Ça
m'a donné envie de revoir l'autre, non ?
Matthias :
La vraie réussite du film de Matthijs van Heijningen, comme je l'ai
déjà dit, ce sont ses cinq dernières minutes, qui donnent la
furieuse envie de reprendre le film de Carpenter là où on vient de
le laisser – et ça après tout, c'est peut-être le plus bel
hommage qu'il pouvait lui rendre.
Le
Chef de Gare: je suis d'accord avec toi, mais je n'en tire pas
les mêmes conclusions. Effectivement, quand les plans repris à
l'identique de 1982 arrivent, on se dit que quelque chose se passe
enfin, et quie le cinéma reprend les rênes. le problème, c'est que
ce sont des images de Carpenter, pas de Van Heijningen, et oui, ça
donne envie d'enchaîner avec une énième nouvelle vision du film de
Carpenter. Ce The Thing 2011 n'a rien de honteux. Face à ce type de
produit, il y a deux réactions possibles: soit on accepte les
conventions, celle du genre, celles de l'époque, et on consomme ce
qu'on nous propose.Pour l'amateur de film de monstre, le buffet est
garni, mais pas indigeste. Ou alors on peut aussi rejeter toutes ces
conventions, et se désespérer de l'industrialisation d'un genre qui
aboutit à des films comme celui-là. Il y a tout ce que j'aime dans
The Thing (2011), mais aussi tout ce que je déteste: un
sentimentalisme forcé, une valeur ajoutée psychologique à tous
personnages, des scènes d'horreur qui deviennent des scènes
d'action, un propos consensuel, une volonté affichée, comme pour
Zombie/Dawn of the dead/l'armée des morts de gommer tout discours
politique du film. Tu évoquais L'invasion des profanateurs de
sépulture, Abel Ferrara, un auteur, en avait fait un très beau
remake, largement oublié aujourd'hui, qui ne courbait pas l'échine
devant les standards de l'époque. Clairement, Van Heijningen n'est
pas de cette trempe. Son film n'a absolument rien à dire, et presque
rien à raconter. D'ailleurs, son ambition revendiquée, c'était de
faire un fil dont les évènements pourraient permettre de faire
raccord avec les images que Carpenter filme dans la base détruite
des Norvégiens. Pourquoi il y a la hache avec du sang dans le mur,
d'où viennent les grenades etc... On est vraiment dans
l'anecdote, et du coup, on aboutit forcément à un film anecdotique.
Même si la fabrication technique de son film est très honorable, et
possède toutes les qualités formelles que tu évoquais. Je l'ai
regardé sans déplaisir, avec une part de mon cerveau qui rejetait
totalement le film.
6.Et
la scène là, elle y est aussi dans le nouveau ?
Matthias :
Il y a évidemment un petit jeu qui peut consister à
comparer les scènes « similaires » : la découverte de
la soucoupe volante, la scène du tests, les transformations, les
scènes de destruction, la fin... Nous avons un peu évoqué déjà
ces différentes scènes. Je me contenterais donc de gloser encore un
peu sur le projet lui-même, en fonction des modifications qu'il
apporte par rapport au film original. Dans les trois films, le
comportement des personnages face à la menace me semble être le
même : nous sommes en présence de scientifiques, ou de soldats, qui
ont pour point commun de ne jamais refuser ce qu'ils ont sous les
yeux. Ils sont là pour comprendre et s'adapter, exactement comme la
Chose elle-même. Jamais dans ces trois films, il n'est fait
référence à une puissance strictement fantastique ou surnaturelle.
Si les créatures de Carpenter notamment, mais celles de Matthijs van
Heijningen également, peuvent évoquer du Lovecraft, jamais il n'est
fait référence à un outre-monde. Ce « rationalisme »
du récit est éloquent : nous ne sommes jamais dans un film
puritain, où la Chose viendrait punir de quelque faute les pauvres
personnages. Cette dimension très rationnelle des différents
récits, soulignée dans le Carpenter par l'unique référence à
Dieu en forme de remarque ironique de MacReady à l'un de ses
camarades - « Trust God » -, nous permet de saisir
quelque chose des époques auxquelles ont été tournées ces
différentes versions de la même histoire, même si à la version de
Nyby, nous pourrions presque préférer le Profanateurs
de sépultures de Siegel. Après la menace venue du ciel,
mais vaincue par l'armée contre les scientifiques qui voulaient
l'examiner – cette opposition du savant contre le soldat deviendra
d'ailleurs un motid récurrent du cinéma de science-fiction –
après la dislocation de la communauté de l'intérieur que la Chose
ne vient que révéler, nous avons droit dans la version de 2011 à
un affrontement tout ce qu'il y a de plus pragmatique : les savants
de van Heijningen ne se suspectent les uns les autres que lorsqu'ils
ont de sérieuses raisons de le faire, le groupe n'est mis en danger
que par la volonté tout à fait affirmée d'une Chose à la
stratégie délibérément retorse – presque terroriste pourrait-on
dire – qui ne finit par triompher qu'en s'expatriant. L'ambition
d'offrir au monde un résultat
encore inouï est certes battu en brèche, mais les fondamentaux sont
sains : à la fin l'ordre règne, la Chose semble vaincue. Il ne nous
reste plus qu'à faire à nouveau attention à ce qui vient du ciel,
que ce soit une soucoupe volante ou un hélicoptère.
Le
Chef de Gare: Watch the skies
! oui, si on se fie à la mise en garde sentencieuse du film assez
bonhomme de Nyby. Pour revenir un peu plus précisément à la
question, les emprunts de Van Heijningen au film de Carpenter sont si
nombreux que le film relève du remake déguisé plutôt que de la
prequelle. On retrouve telle quelle, en apparence, la scène de test,
dans laquelle il s'agit de débusquer la chose et surtout d'exacerber
la tension entre les personnages. C'est une scène essentielle dans
le film de Carpenter, c'est un passage obligé pour Van Heijningen.
Chez Carpenter, la scène est le basculement du film, d'un point de
vue thématique. Pour moi, The Thing (1982) c'est l'histoire d'un
changement de point de vue. Ceux que l'on peut regarder comme des
semblables deviennent des objets indéterminables. Et dans le film,
littéralement, le monstre c'est quelque chose qu'on ne sait pas
comment regarder, ce qui se traduit par cette idée de prolifération
des formes, la créature pouvant être chez Carpenter, tout à la
fois. Voilà ce qu'accomplit de plus monstrueux la chose: nous rendre
incapable de savoir si ce qu'on regarde existe ou pas. En somme,
anéantir l'altérité. C'est d'ailleurs la nature de la chose: la
destruction de la communauté n'est qu'une conséquence de son
pouvoir d'indistinction des choses. Et je reconnais là un trait
typique de Carpenter, l'individualiste forcené. il se passe en
quelque sorte le même phénomène dans Prince des Ténèbres, qui
est presque un remake (déjà !) à petit budget de The Thing.
La
mise en scène de ce passage du test est révélateur des différences
entre les deux films. Carpenter construit la scène admirablement.
Ces cadrages sont nets, tenus, et quand il insère les portraits des
personnages, filmés en légère plongée, accusatrice (de quoi ?
D'être encore humain ou de ne peut-être plus l'être ?) Et ensuite,
quand la créature se découvre, la caméra ne bouge pas, ce sont les
personnages qui s'affollent. Chez Van Heijningen, la caméra
tremblotte tout le temps, et ça change tout. C'est un point de vue
qui cherche à forcer l'empathie avec les personnages, en nous
mettant d'emblée du côté de l'humanité. C'est une caméra un peu
compatissante, qui semble émue par la situation. Bien sûr, ce n'est
pas un vrai choix du réalisateur, c'est un choix dans l'air du
temps. Mais c'est d'autant plus signifiant, sans doute. On pourrait
se faire une reflexion similaire à ce qu'on constate en musique: on
va cherche aujourd'hui à fabriquer un son sale et "vivant"
alors qu'il y a 30 ans c'est ce qu'on évitait. Carpenter, pour moi,
c'est aussi la recontre avec Dean Cundey, son chef opérateur, et
l'emploi de la steady cam, qui permet le déplacement de l'opérateur
aux cotés des comédiens, mais sans donner l'impression que la
caméra est confiée à l'un d'eux. Il est passionnant de voir a quel
point une image tremblée, comme si la caméra était maladroitement
tenue, par quelqu'un qui ne serait pas un technicien, mais un acteur
de l'histoire, est devenu la norme de la mise en scène américaine-
jusqu'aux films d'animation ! C'est un point de vue étranger à
celui de Carpenter. Et je trouve que la mise en scène du test
sanguin, mais aussi de tout le film est certainement un des moments
ou l'instinct de réalisateur de Carpenter est transcendée par la
rencontre avec son sujet. Autre passage extraordinaire chez
Carpenter, absent chez Van Heijningenn ces plans mettant en scène le
chien. Chez Carpenter, ils sont filmé à sa hauteur. nous sommes
presque de son point de vue. Il y a une image magnifique, à un
moment: le chien s'avance, et juste derrière le profil de son
museau, il y a un profil d'homme, mais en ombre. avec cette image,
Carpenter révèle, pour moi, qu'en fait, il filme du point de vue de
la chose. je trouve qu'au bout du compte, son film raconte l'opposé
de celui de Van Heijningen, qui rejoint Nyby, et va même plus loin.
Tu as raison de donner de l'importance à l'adjonction du personnage
féminin, puisque dans le film de 2011, c'est elle qui sauve
l'humanité !
7.Alors c'est
lequel que tu préfères ?
Matthias :
Le chef d'oeuvre de ces
trois films est évidemment celui de Carpenter, même si je n'ai pas
envie de détester celui de van Heijningen. Il y a dans ce film une
ambition contrariée me semble-t-il, qui rejoint bien le propos même
du film. Cette blague « incestueuse » en guise
d'ouverture raconte un peu tout. Sur un mode que l'on peut déplorer
– encore ce foutu second degré – quelque chose d'essentiel est
dit : le projet même de faire un remake sous forme de prequel est
forcément incestueux, de la même manière que cet Chose dont la
ressemblance avec nous a pour corolaire notre destruction, dit
quelque chose de la vanité à vouloir toujours faire mieux, à
toujours vouloir être aller plus haut, plus loin, plus fort. Si le
film de Carpenter est aussi une longue réflexion sur l'impasse de la
volonté de pouvoir, le film de van Heijningen dit quelque chose de
l'impasse d'un monde qui voudrait s'en passer. Peut-être dans ce cas
ne sommes-nous condamnés qu'à répliquer éternellement des
figures qui n'ont plus ni consistance, ni enjeux – des figures
dégénérées, débiles, impuissantes, qui ne laissent que le
souvenir de leur lointains aïeux.
Le
chef de gare: Je t'avouerai que
le film de van Heijningen me semble dire surtout des choses
sur l'état du cinéma hollywoodien. Le reste est tellement
générique, où directement greffé du film de Carpenter que je
n'arrive pas à voir un vrai propos dans le film de 2011. Tu as
raison quand à l’ambiguïté du projet. Il s'agit exactement comme
pour Alice in Wonderland, de proposer "la même chose, mais pas
pareil" !, c'est à dire des suites ou des préquelles (de la
nouveauté donc) qui sont en fait des remakes déguisés (les
scènes marquantes, les personnages restés en mémoire, les
maquillages célèbres, voir certaines répliques des films d'origine
sont ramenés) et qui parfois porte exactement le titre de
l'original. Le ver est dans le fruit dès le début, en plus, dans le
cas de The Thing. Quand on a vu le film de Carpenter, on comprend
très bien, à postériori ce qui s'est passé dans la base
Norvégienne: exactement la même chose que dans la base américaine.
Ce que le film de van Heijingen confirme... Je ne te surprendrais pas
en te disant combien je déteste l'idée d'un film qui se construit
en allant planter ses caméras dans le hors-champ de l'autre. Ridley
Scott, avec la même commande, s'en est sorti avec une tout autre
classe. D'ailleurs je ne vois pas d'ambition dans le film de 2011,
qu'elle soit contrariée ou pas. L'idée de départ, raconter les
évènements de la base norvégienne, où en dire plus sur les
origines de la chose, n'a pas de sens. Dans le film de Carpenter, le
monstre est accessoire. Ce qui est important, c'est ce qui va arriver
à ce groupe d'hommes là, et comment petit à petit, il vont devenir
incapable de se regarder, c'est à dire de se distinguer les uns des
autres. Le film traduit d'ailleurs plastiquement ce projet, d'une
façon magnifique, en faisant progressivement disparaître les
personnages sur le décor enneigé, blanc sur blanc. Ce n'est pas un
film sur des mecs en anorak qui essaient d'empêcher une bestiole
lovecraftienne véloce de se carapater ! Le film de Carpenter
est un chef d'oeuvre du cinéma fantastique. Le film de Nyby une
curiosité dont le seul interêt aujourd'hui me semble historique. Le
film de Van heisjningen est un accident industriel.
8.Et
ils pensaient que ça allaient marcher ?
Matthias :
J'en sais rien ! Et puis, j'm'en fous.
Le
chef de gare : j'te le dis quand même : nan, ça a pas
marché.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire