LE FREAK, C'EST CHIC
Frère
de Sang (Basket Case)-Frank Henenlotter-1982- Etats-Unis
Le
cinéma d'horreur, cette année-là, est à la veille de sa
récupération hollywoodienne. Steven Spielberg, qui s'apprête en un
seul film à définir ce cinéma fantastique familial qui reste
encore aujourd'hui le symbole absolu des années 80, produit en même
temps Poltergeist, pur film d'épouvante pourtant nanti d'un
gros budget et destiné à un large public( il est classé PG ), qui
sort sur 890 écrans. Soit seulement une centaine de moins qu' E.T,
pour un budget équivalent. Le succès du film valide la démarche
des studios, qui vont désormais aborder l'horreur comme un genre
tout public, auquel on peut consacrer des budgets confortables.
Les
projets des maîtres d'Hollywood, Frank Henenlotter s'en tamponne le
coquillard.
Pour
ce plan comme les autres, Henenlotter ne savait même pas ce
qu'il avait filmé. D'autant moins que sans argent, la pellicule stagnait
parfois des mois au labo sans être développée. Des anecdotes
hallucinantes, pour un film qui n'est pourtant jamais réductible à
son origine trash et bricolée. C'est toute la force et le charme du
cinéma de Henenlotter. Il y a chez lui un amour candide du cinéma
d'horreur, qu'on pourrait comparer à celui de Joe Dante, mais qui
s'exprime sans aucune recherche de confort de production. Le hasard
fait naître Henlotter à quelques blocks de la 42eme rue, et
il ne cherchera jamais son bonheur ailleurs. Il s'est habitué aux
habitants du coin. « il y a quelques règles basiques à
respecter : ne jamais s'asseoir avant que vos yeux se soient
habitué à l'obscurité » voilà le conseil que le réalisateur
peut prodiguer après ses années de cinéphilies furieuse passée
dans les salles d'exploitation de 42nd
street. Dès qu'il peut, le jeune Franck sèche la high-school
pour se précipiter à un double ou triple programme. Ce cinéma
d'exploitation qu'il découvre l'éblouit et les salles qu'il
fréquente jusqu'à leur disparition une par une sont sa caverne
d'Ali Baba son Eldorado. Il garde de ces années 70 un souvenir plus
qu'ému, d'autant plus touchant qu'il est lucide. « C'est le
repère des prostituées et des clochards les plus affreux que je
connaisse. Horrible. »
La 42 ème rue, avec les cinémas d'exploitation chers à Frank Henenlotter, en 1982. |
Et
pourtant, son New York natal, il ne le quittera jamais, et les
clochards et les laissés pour compte vont naturellement se retrouver sous la
caméra de Frère de Sang, et avec quelle tendresse. Celle
qu'on éprouve pour cette vieille femme paranoïaque laissant Duane,
franchement débarqué en ville comme deux ronds de flanc. Celle qui
lie une pute au grand cœur au héros, celle, amusée, avec laquelle
on observe le tenancier de l'hôtel Broslin monter et redescendre
sans cesse les étages de son établissement pourri au gré des
scènes de paniques et des crises d'hystérie de ses locataires. Le
film, dans ces moments là, est plus proches de Muppets- le film
que de Hairspray. Tendresse, surtout, pour le monstrueux
Belial qui est le « cas du panier » du titre original.
Avec
ses proxénètes, ses voyeurs et ses hoboes, résidents d'un
hôtel miteux, ou secrétaires pour des médecins au pratiques
douteuses, avec sa caméra tremblotante, et son approche documentaire
par la force des choses, Frère de sang n'en demeure pas moins
un film de monstre classique. Produit 20 ans plus tôt en Angleterre,
en couleurs flamboyantes, l'action aurait pris place dans un village
prussien reconstitué en studio peuplé de cochers veules, de
taverniers lâches et de villageois vindicatifs. Filmé 50 ans plus
tôt, dans un noir et blanc classieux, nous aurions assisté à la
destinée mi-pathétique, mi-repoussante de Frank et son frère
monstrueux fatalement condamnés à mourir dans l'incendie de
laboratoire d'un savant fou.
Les
seuls feux qu' Henenlotter peut se payer pour son final sont ceux
dessinant l'enseigne à laquelle sont suspendus Duane et Belial,
feux de néon du Broslin Hotel,. Peu importe. La foule, vue en
plongée est la réplique de celles, anonymes qui réclament toujours
la destruction des monstres. Elle l'obtiendra.
Avant
cette fin sans issue, nous aurons découvert, au fil d'un récit
impeccablement construit, le lien fusionnel qui unit Duane et Belial.
Leur visite à New-York n'a qu'un but : assouvir le désir de
vengeance de Belial, qui veut tuer les médecins qui l'ont laissé
pour mort des années auparavant. Car pour sa famille, Belial était
un parasite qui interdisait à son frère siamois de vivre une vie
normale. Révélée en un flashback cauchemardesque, qui fait la
lumière sur toute la première partie du film, l'enfance, puis la
séparation au cours d'une opération sanglante et clandestine des
siamois expose avec limpidité les liens à la fois monstrueux et
banals qui unissent les personnages. Bélial, qui est une sorte de
gnome hideux, sans jambes, avec une bouche garnie de dents pointues,
est privé de l'usage de la parole, mais n'en a besoin pour
communiquer avec Duane. Ils ont conservé un lien d'empathie totale,
l'un ressentant la moindre émotion de l'autre quelle que soit la
distance qui les sépare. Henenlotter n'élude pas l’ambiguïté de
leur relation. Belial, présenté comme un handicapé éprouve des
désirs semblables à ceux de son frère, mais leur accomplissement
lui sont inaccessibles. Duane, en retour, se sent tour à tour
coupable de les éprouver puis revolté par l'injustice de cette
dépendance aliénante. L'attirance de Duane pour une secrétaire
médicale engageante va cristalliser ces sentiments et pousser les frères de sang à
un inévitable fratricide. Il y a dans ce récit à la simplicité
classique des échos à de grandes figures fantastiques mythiques :
Jeckyll et Hyde, évidemment, mais aussi Frankenstein et
sa créature. La modicité du budget oblige à une économie de
moyens qui en fait, sert le film en lui donnant cet aspect primitif
auxquels son sujet et son déroulement renvoient.
C'est
le paradoxe de ce film que de proposer sous un vernis formel à
priori complètement contingent de l'époque du tournage et des
contraintes matérielles un récit à la force indémodable,
dégageant un malaise bien plus fort que celui que peuvent provoquer
les images presque documentaires saisies dans les ruelles sordides du
New-York de 1982. Henenlotter restera toujours conscient de ses
qualités, et on les retrouvera dans tous ces films suivants, qu'ils
tourne lorsque c'est possible. Pour le dernier, il a attendu 16 ans.
Je suis bluffé, je pensais être le seul à avoir vu ce film qui m'avait presque traumatisé gamin (un soir sur la tsr) et touché à la revoyure en dvd. Je n'ai pas encore visionné les deux suites...
RépondreSupprimerMoi non plus, et je pense que ça attendra un peu...C'est tellement frais Frère de Sang, comment pourrait-on retrouver pareille innocence dans les deux autres ?
RépondreSupprimerPar contre j'ai de très bons souvenirs de Frankenhooker, bien délirant, mais que je n'ait pas revu depuis, ce qui doit faire... 20 ans. La vache.