LE CROISEUR DE L'OUBLIE
A l'aube des années 80,
en France, un frisson passe. Un frisson descendu de l'espace, qui
soulève l'échine de tous les accros de S.F de l'hexagone. Quelques
courts-métrages, un long du jeune Luc Besson, les films de René
Laloux... La science-fiction française est-elle en passe d'enfin
devenir un genre populaire auprès du public et des producteurs ?
Beaucoup l'espèrent. On a déjà évoqué ici l'influence de la
revue Metal Hurlant, qui est alors le paratonnerre des orages
qui se lèvent dans la tête et sous les pinceaux de dessinateurs
revenus de l'espace. Accueillis pas Dionnet et manœuvre, ils vont
développer une vision de la SF qui, si elle s'abreuve comme partout
au succès de Star Wars n'en demeure pas moins autrement plus
libre et folle. De la folie qui transpire des pages de Druillet et
Moebius, pères fondateurs dont l'inconscient a été rejeté par la
revue Pilote et vient habiter dès le premier numéro les pages de
Metal. L'un comme l'autre ne doivent rien à Georges Lucas.
Pourtant, la SF, circa 1982, c'est bien sûr La guerre des
étoiles et L'Empire contre-attaque, dont le succès est
inégalé, et la formule émulée partout, avec plus ou moins de
fidélité et de précision. Cette année là, un anglais n'en fait
qu'à sa tête, et tourne avec Harrison Ford comme s'il ne s'était
jamais rien passé dans un galaxie lointaine, très lointaine, où il
a pourtant pêché sa vedette. Ridley Scott, lucide, le regrettera,
et y verra une des raisons de l'insuccès de Blade Runner. Le
réalisateur sera d'ailleurs un des premiers à puiser dans le vivier
des Humanoïdes associés, en demandant quelques recherches
graphiques à Moebius pour Alien, puis en reconnaissant
l'influence de ses planches de The long Tomorrow, mettant en
scène un privé du futur et paru dans le journal sous la plume de
Dan O'Bannon (scénariste de... Alien !). Pour le grand public, il
semble déjà impossible d'accepter qu'Han Solo puisse être autre
chose qu'une silhouette sympathique de contrebandier de l'espace
vaguement canaille. Si Scott ne parvient pas à imposer une image de
la SF divergente du canon de Lucas, imaginez les autres.
animatique vidéo (projet de Minje Chung, étudiante) à partir de la bande-dessinée
de Moëbius et O'Bannon.
Justement, ils imaginent
les autres. Ils rêvent pas mal, beaucoup sur le papier, presque
jamais sur grand écran. Les italiens, avec trois bouts de ficelle et
un érotisme absent de la galaxie lointaine, ont produit Star
Crash, qui ramène Star Wars à son origine, le Flash
Gordon de la Universal.
On pourrait dire d'ailleurs que les films produits par Georges Lucas
ne sont pas grand chose de plus qu'une nouvelle version du serial
avec Buster Crabbe revu par le génial art director Ralph Mc
Quarrie...et une petite pointe de Mézières, peut-être ?
Mézières à propos des emprunts de La guerre des étoiles.
L'inventeur de Valérian,
avec Pierre Christin, est un souvent considéré comme une des
grandes influences de Lucas. Quoiqu'il en soit, la rumeur persistante
et entretenue par les créateurs eux-même du pillage par l'inventeur
de La guerre des étoiles d'une bande-dessinée français de
10 ans antérieure est un des symboles les plus parlants d'un
sentiment d'injustice quand à la reconnaissance d'une
science-fiction qui pourtant, semble avoir apporté du sang neuf à
un genre dont les standards repris par Lucas sont vieux de 40 ans.
Sentiment sans doute d'autant plus fort que pour les créateurs
publiant dans Metal Hurlant, le cinéma continuent à poser
des lapins. Innombrables sont les rendez-vous manqués. Même si,
rétrospectivement, il faut réévaluer certaines productions, pour
les auteurs, à l'époque, le sentiment que le chemin des salles
obscures est maudit domine : du Dune avorté de
Jodorowsky et Moebius, au montage financier de Gandahar, que
René Laloux abondonne, en passant par un dessin animé de
long-métrage américain portant le titre de la revue mais
artistiquement consternant et n'impliquant pas les français les
expériences, quand elles ont lieu, sont loin d'être à la hauteur
du talent visible sur le papier.
Le parcours de Stéphane
Drouot, d'une certaine façon est peut-être une image parfaite et
terrible de ces difficultés et de la relation compliquée de la
scène française avec le cinéma américain de l'époque. Pendant 5
ans, dans son propre appartement, Drouot filme Star Suburb,
finalement proposé au public en 1982. S'il bénéficie du soutien du
producteur Ulysse Laugier, le jeune cinéaste doit tout de même
travailler dans des conditions matérielles proches de l'abandon. Et
c'est, tout symboliquement, littéralement, Star Wars qui fait
rêver Star Suburb. Mais à la guerre du titre américain, le
titre français substitue la banlieue. Une substitution qui
cristallise ce qui sépare cette SF à la Métal Hurlant du
modèle Space Opera.
Dans une banlieue
spatiale qui paraît sans fin, une jeune fille, Mireille, rêve à un
univers jumeau de Star Wars, et se verrait bien en Princesse
Leia. Tourné dans un scope très large, le film pervertit l'usage
habituel du format, destiné au spectaculaire et au grandiose pour au
contraire insister sur l'enfermement et le banal. L'espace est cher,
pour les producteurs, mais aussi pour les habitants de la banlieue de
étoiles. Entassés dans un appartements, ils doivent se tortiller
autour de la table pliante de la cuisine pour pouvoir jeter un regard
par la fenêtre. Un univers qui a tout de la prison, filmé en noir
et blanc, complètement contemporain de celui de Blade Runner.
Les mêmes vaisseaux publicitaires géants sillonnent les allées
entre les barres d'habitations et vendent du rêve. Un jeu
radiophonique est proposé à Mireille- lui donnant immédiatement
l'impression d'être l'élue de quelque divinité à la marque
déposée. Un situation qui rappelle celle de Julie Christie, déjà
banlieusarde désespérée du futur dans le Farenheit 451 de
Truffaut. Farenheit 451, un des ancêtres de cette SF des
années 70 que Drouot n'a pas oublié. Quelques passages à la
couleur, très subtils, symbolisent les moments ou Mireille est
traversée par l'espoir d'échapper à son aliénation. Le jeu avec
la voix de l'animateur radio, et du vaisseau spatial l'abritant-
limité à une maquette- repose sur un hors-champ dicté par
l'économie mais servant le propos du film. Le travail sur le son est
d'ailleurs remarquable.
Il est toujours facile de
comparer un film et son contexte de production, ou avec lavie de son
auteur. Mais dans le cas de Star Suburb, c'est tellement
signifiant, qu'il est difficile d'écarter par principe cette
lecture. Cette jeune fille coincée dans un décor exigu, qui rêve
de Star Wars c'est autant l'image du cinéaste français
aspirant à la réalisation d'un film de science-fiction, que celle
de Stéphane Drouot lui-même, qui hélas, ne sortira jamais de la
prison de sa psyché, puis de sa maladie.
Décédé cette année,
séropositif, personnage apparemment complexe, mais auquel beaucoup
semblaient attachés- parmi lesquels Lucile Hadzihalilovic et Gaspar
Noé (qui lui ménage une apparition dans Irréversible)
Stéphane Drouot ne parviendra jamais à faire financer le long
métrage qu'il rêvait de faire. Les propositions qui lui sont faites
ne l’intéressent pas, et il s'enferme de plus en plus, jusqu'à
une disparition qu'aucun média ne relie, hormis quelques blogs
amateur, dont le notre. L'année où Star Suburb est terminé,
Luc Besson voit la sortie au cinéma de son premier long-métrage, Le
dernier Combat. Fan de S.F, Besson fait partie des auteurs de
cette génération qui réussiront à percer et prospérer au cinéma.
Mais il ne reviendra à la SF que bien plus tard, en partie pour
rendre justice à la SF à la française des années 80. Il embauche
entre autres Mézières, Moebius, Vatine, pour aboutir au désastre
artistique du Cinquième Élément. Récemment, en tant que
producteur, Besson est reparti dans l'espace en finançant et en
écrivant Lock Out. Issu lui aussi des pages de Metal,
Marc Caro se souvient avec une juste nostalgie de cette époque.
En remplacement de notre précédente vidéo, maintenant disparue dans l'enfer de la toile, cette entretien avec Caro dans lequel il mentionne Metal Hurlant, et revient sur la santé des productions de science-fiction en France.
Il a connu de beaux
aboutissements dans les années 90 avec Jean Pierre Jeunet, avant de
tenter le voyage en Amérique à ses côtés pour Alien Résurrection, tentative intéressante et ratée inversant le
mouvement habituel : cette fois ce sont les canons américains
qu'il faut adapter à l'esthétique marquée des auteurs français.
Le duo qui s'est rencontré en 1974 a été l'auteur, en 1981, d'un
court métrage marquant, Le bunker de la dernière rafale, en
noir et blanc (comme Le dernier combat et Star Suburb),
déploie une esthétique à l'opposé du clinquant du Soap Opera
hollywoodien. On y fait la guerre sous terre, sans trop savoir
pourquoi, au rythme d'une musique sourde bien loin des fanfares à la
Williams. Caro continuera sa route seul, travaillant à différents
postes artistiques sur différents films, clips, courts-métrages. Il
parviendra finalement à tourner un long-métrage de SF bien dans
l'esprit Metal, Dante 01 (2008). Moebius disparaitra
avant d'avoir pû mener à terme son projet d'adaptation d'Arzach,
et sur un dernier rendez-vous raté, Thru the Moebius strip
(2005). La dernière participation de Druillet à une production
audiovisuelle est sa direction artistique pour la version télévisée
des Rois Maudits. Il aura été lui aussi à l'origine d'une
série animée à demi satisfaisante, édulcorant son univers à
destination des enfants, Bleu L'enfant de la terre (1986).
Successeurs de cette génération, des cinéastes comme Philippe
Leclerc (Les enfants de la pluie, 2003), Christian Delaporte
(Kaena, 2003), Franck Vestiel (Eden Log, 2007),
Christian Volckman (Renaissance, 2006), Antoine Charreyron
(The prodigies, 2011) ou Xavier Gens (The divide, 2011)
poursuivent la route, souvent fragile, d'une science-fiction
imaginative mais s'éloignant de l'infantilisme du genre à
l'américaine. On aimerait voir aussi, un film de SF signé de Jan
Kounen, évident héritier de l'esprit des Humanos, accompagné de
ses complices chroniques Stan et Vince, d'ailleurs auteurs d'un court
métrage au titre sans ambiguité, Metal Brutal.
Pour tous ces
films, les succès publics sont rarissimes, et les expériences
demeurent souvent orphelines. Malgré cela, il y plus de films
entrepris qu'il y a trente ans, et le titre Metal Hurlant,
vient d'être donné à une série TV anthologique ambitieuse.
Stéphane Drouot fit partie des maudits de cette histoire de la SF
cinématographique française. Qu'il ne fasse pas partie des oubliés.
Stéphane Drouot filmé par Gaspar Noé. Un plan fixe bouleversant.
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