Class of 1984, Mark L. Lester, Canada, 1982
L'intérêt des produits d'exploitation
c'est qu'ils mangent à tous les râteliers : en fonction des récents
succès, on retrouvera un peu de ceci et un peu de cela pour un public
dont on suppose qu'il ne sera pas très regardant sur l'originalité,
tout préoccupé d'abord qu'il est de retrouver les motifs qui lui
avaient procuré satisfaction dans les films "copiés-collés". Cette manière de
faire du cinéma consiste donc à réaliser principalement des
sortes de remakes en direct, souvent dans l'immédiate exploitation
d'un succès, parfois, lorsque les plagiaires sont particulièrement
doués, c'est-à-dire réactifs et clairvoyants, antérieurs même
au produit dont ils sont dérivés. Ce procédé est typique d'une
certaine industrie du cinéma caractérisée par son sens de l'abattage
: faisons vite, beaucoup, et à moindre frais - on parviendra
toujours à retomber sur nos pieds. D'une certaine façon, ce
« process » industriel incarne l'exacte inverse de
l'Hollywood d'aujourd'hui où tous les œufs sont mis dans le même
panier, et où l'on ne produit finalement plus que quelques films par
an, qui coûtent des centaines de millions de dollars, et qui n'ont
pas le droit à l'erreur. La stratégie gagnante obligée - et qui
parfois entraine dans sa chute des studios entier... Ce Class of
1984, film canadien, appartient à cette manière à la marge
d'Hollywood de faire du cinéma.
Cette industrie cinématographique
du « faire vite, à faibles coûts, sans se soucier de
standards de qualités qu'on laisse à d'autres, pour éventuellement
ramasser très vite un maximum de pognon », m'apparait
littéralement comme une attitude punk. Que
l'on s'entende : je n'ai aucun mépris pour cette
manière de faire du cinéma, bien au contraire. Si les majors
hollywoodiennes étaient d'abord attachées à produire des œuvres
rigoureuses et exigeantes, sacrifiant parfois leur possible
rentabilité à la volonté artistique, ça se saurait ! D'une
certaine façon, ces producteurs de série B travaillent dans une
marge, qui loin de voler quoi que ce soit à Hollywood, lui rend
justice. C'est aussi avec ces soutiers de la pellicule que le cinéma
américain s'est parfois – souvent ?- renouvelé, cette industrie
subalterne pouvant même apparaitre à certaines époques, comme le
département « research et development » de l'Hollywood
conventionnel. Souvenons-nous ainsi d'un Roger Corman, et de ses
productions surfant en permanence sur la dernière mode, et des
studios duquel sont pourtant issu un certain nombre des grands
réalisateurs américain, du Nouvel Hollywood notamment.
Ainsi ce Class of 1984 emprunte
à de nombreux films de genre des années précédentes, avec un sens
affirmé du shake-up, tant il est vrai que Lester semble
prendre son sujet au sérieux. Une fois encore, c'est donc avec
respect que j'aborde ce film, à la fois patchwork d'œuvres de
référence, et rien que ça, cela semblerait intéressant dans le
cas de notre Train Fantôme, mais aussi film connu pour être resté
dans les mémoires comme l'un des premiers traitant, dans le genre,
de la question de la violence dans le système éducatif américain.
Lorsque l'on sait que ce système est l'exact reflet de la violence
sociale qui existe dans la société américaine, et que ce sujet a
régulièrement été traité par le cinéma américain depuis au
moins Blackboard Jungle, tourné en 1955, on est curieux de
voir comment le genre, dans sa frange la plus marginale, a pu s'en
saisir. C'est aussi que ce cinéma vénal par nature dit souvent
quelque chose de son époque, souvent malgré lui, et c'est vraiment
le cas de ce Class of 1984.
A quels genres ce film emprunte-t-il ?
S'il est dans ces pages, c'est pour son argument très vaguement
d'anticipation. Nous sommes donc en 1984, soit deux ans après la
sortie du film, cette fameuse année 1982, comme, l'année d'avant,
avec John Carpenter et son New York 1997, nous nous situions
seize ans après la sortie. Il faut croire qu'en ces early
eigthies, il y avait un goût de l'avenir proche, qui semblait
décidément particulièrement incertain... Le film de Lester
apparait comme une lointaine prequel du film de Carpenter : la
criminalité a explosé dans les lycées américains, avant que
quelques temps plus tard, ces jeunes voyous devenus criminels
aguerris, ne viennent peupler l'île de Manhattan, transformée en
bagne à ciel ouvert, dans lequel ne règne plus que la loi du plus
fort.
C'est une constante lors de ce début
des années 80 de voir dans la mégalopole de la côte est comme le
symbole d'une nouvelle Babylone, repaire de tous nos maux. Certes
l'état de décomposition sociale de la ville à la fin des années
70, l'arrivée massive du crack et la corruption généralisée de
l'administration civile ne pouvaient que générer cette image de
ville dantesque, dans laquelle venait se perdre la civilisation.
Class of 84 ne se passe pas pourtant à New York, mais dans
une grande ville qui n'est pas nommée, qui n'est même plus
nommée pourrait-on dire, et dont la parenté avec la Big Apple
est pourtant évidente.
Ainsi le film, par quelques cartons
explicatifs, s'ouvre-t-il sur le mode de la ville corruptrice –
contre la campagne authentique, d'où est issu l'enthousiaste
professeur de musique nouvellement nommé dans ce lycée urbain. Ce
trajet du héros américain depuis sa terre qui ne ment pas
jusqu'à la Cité dépravée est un thème classique du cinéma
américain, et notamment du western. Nous avons déjà souligné
comment ce thème reprenait une vigueur nouvelle à l'aube de ces
années 80 à propos du genre de l'Héroïc Fantasy, nous voici dans
le même mouvement – ici, mais aussi, donc l'année précédente
avec New York 1997 de Carpenter. Mais Lester n'est pas
Carpenter, et la critique du monde moderne n'est certes pas la même
que celle de l'auteur de The Thing. C'est qu'il y a d'autres
origine à ce film « collages ».
Un autre sous-genre est apparu durant
la seconde moitié des années 70, subordonné à un renouveau du
polar, dont Clint Eastwood et son Dirty Harry constitue le haut du
panier, le film de voyous, "punk" en anglais. "Make my
day, punk" est déjà devenu une réplique culte, en ce qu'elle
promet violence jouissive pour le spectateur, au dépens de ces
personnages de garnements. Déjà avec l'Inspecteur Harry était
célébrée une forme de justice expéditive à l'égard de jeunes
gens dont le spectateur suppose – parce que le metteur en scène
l'induit - qu'ils sont irrécupérables. Certes, dans les films de
Harry, c'est toujours un peu plus compliqué que ça, et les punks
en question permettaient surtout de faire signe afin de faire
valoir l'inspecteur Harry, qui apparaissaient alors d'autant plus
cool...
Toutefois cette figure du cinéma
américain a connu une postérité toute surprenante : ces voyous se
caractérisent la plupart du temps par leurs bonnes humeur sadique
permanente, par une insouciance qui confine a la bêtise, par des
comportements de brutalité physique dans tous leurs rapports, même
entre eux. L'important est que rien n'est à sauver chez ces jeunes
gens qui sont d'authentiques pervers sadiques – ou du moins des
caricatures de pervers sadiques la plupart du temps... Ces figures,
issues d'un contresens de l'Alex d'Orange Mécanique de
Kubrick, ont donc connu une grande postérité dans le cinéma de
genre américain, même le plus mainstream : ainsi dans Retour
vers le futur, le personnage de Biff tourmente dans toutes les
dimensions temporelles le pauvre Michael J. Fox – déjà tourmenté
par ses ainés dans ce Class of 1984. Nous pouvons aussi citer
Robocop et son groupe de psychopathes rigolards et imbéciles,
mais aussi enfin, pour marquer la postérité de cette figure du
punk, la méchante et ricanante fille du roi dans le très mauvais
Conan de Nispel. Si ces personnages ont ainsi traversé les
décennies, c'est qu'ils sont pratiques : contrairement à l'Alex de
Kubrick, qui faisait l'objet d'un traitement social, ces personnages
ne sont jamais traités que d'un point de vue psychologique. Ils sont
mauvais, irrécupérables socialement, donc a éliminer purement et
simplement. Ainsi dans ce Class of 1984, le professeur de
musique est-il très vite en butte à la violence, d'abord
provocante, puis réellement furieuse d'une bande de cinq
adolescents, dirigé par Stegman, le plus intelligent d'entre eux –
c'est pas très dur...- qui prend en grippe cet enseignant dont les
valeurs semblent d'acier trempé.
Les vexations dont fera l'objet le
héros du film, se transformeront bien vite en atteintes beaucoup
plus directes, vol, dégradation, puis agressions physiques, jusqu'à
l'innommable – du fait notamment de l'inertie de toutes les
autorités auxquelles s'adresse le prof : collègues, principal du
lycée, police, parents d'élève... No one is innocent, dans
ce film, et pour survivre aux punks, il semble falloir devenir punk
soi-même dans l'Amérique des années 80...
En effet, en 1982, la même année
donc, sort la suite d'Un justicier dans la ville, avec Charles
Bronson, fameux film sur l'autodéfense racontant comment un père se
venge des violeurs de sa fille. Cette série de films fait suite à
un genre très particulier, le rape and revenge qui a fait
florès dans les années 70, dans un certain cinéma d'horreur. Les
films de ce genre, foncièrement malsains, mettaient en scène un ou
des personnages féminins aux prises avec un groupe d'hommes qui
finissaient par les violer, dans des scènes longuement et
complaisamment insupportables, avant que ces jeunes femmes ne se
ressaisissent et ne se vengent, souvent abominablement, de leurs
tortionnaires, dans des scènes à la violence forcément jouissive
pour les spectateurs qui avaient assistés quelques minutes plus tôt
à des scènes de viol d'une rare cruauté. Pensons ce que l'on veut
de ce genre, ce n'est pas le sujet ici de commenter l'un ou l'autre
des films qui ont fait sa réputation, mais reconnaissons au moins
que ce genre avait le mérite de mettre le spectateur en situation
inconfortable, et par ailleurs de faire de personnages féminins
outragés des vengeresses plus impitoyables encore que leurs
bourreaux. Les victimes de l'ordre patriarcal devenaient celles-là
même qui allaient le corriger,
littéralement. Avec Le justicier dans la ville,
tout cela est bien fini : on garde la complaisante scène de viol,
mais la fille reste une victime, et c'est le père, Bronson, qui
rétablit la justice à coup de fusil à pompe. Il y a bien là comme
la réaffirmation du système patriarcal puritain : non, le sexe
n'est jamais libérateur !
Dans Class of 1984, c'est bien
ce genre qui est a l'œuvre car le personnage principal, tout pénétré
qu'il est par les principes de l'éducation, de l'ordre et de la loi,
finira par agir sans scrupules aucun lorsque sa femme sera violée
par ses tourmenteurs. Bien entendu, on pense là à un autre film,
bien plus marquant dans l'histoire du cinéma, le Straw Dogs de
Sam Peckinpah, qui date de 1971, et qui avec Orange Mécanique et
Délivrance de John Boorman, a marqué les esprits pour sa
violence et son ambiguïté. Oui, mais c'est que dans ces films, il y
en avait de l'ambiguïté... Là, vraiment, on ne peut qu'être
d'accord avec ce pauvre professeur, parfait en tout, contre ces
voyous, affreux, sales et méchants, dealers, proxénètes, violeurs,
n'en jetez plus ! On sent Lester pénétré de son sujet. Il semble
vraiment penser que ces jeunes sont le mal quand le professeur
incarne le bien. Nous sommes là dans la plus pure tradition
puritaine, avec toute la caricature et le manichéisme que cela
suppose. Une fois encore, on pourrait penser que je prends un peu
trop au sérieux un film qui est d'abord d'exploitation, mais ce ton
de sérieux existe dans le film. Et tant mieux, parce qu'au fond,
c'est bien par là seulement qu'on peut accorder un peu de crédit à
ce film réactionnaire.
Toutefois, si nous sommes donc dans la
réaction la plus positive, il demeure quelque chose de surprenant
dans ce cinéma : une forme de fascination tout à fait évidente
pour ce que l'on prétend dénoncer. Le mouvement punk, né quelques
années auparavant, et qui revendiquait ce No Future propre à
l'époque, a vraiment fait peur, croit-on comprendre, et cette peur a
provoqué une véritable fascination. C'est qu'il est pratique de se
camoufler derrière la dénonciation pour se comporter enfin comme
ces voyous qui ne respectent rien. Ainsi peut-on se livrer à des
« exactions cinématographiques » que les bonnes mœurs
réprouvent habituellement. Une pratique typique de cette manière de
s'encanailler assez habituelle dans le cinéma de genre.
Deux scènes, qui mettent en jeu
l'avilissement de femmes, sont assez représentatives de cette
manière de faire. Dans la première, le chef de bande, Stegman, en
échange de sa dose de drogue, soumet une jeune junkie à la
prostitution – en l'occurrence du spectateur, puisqu'il lui est
ordonné de se déshabiller devant nous. La jeune droguée se livre
donc à un rapide strip-tease, dans une scène de nudité, dont le
contrepoint sera la manière qu'aura Lester de filmer le viol de la
femme du héros, qui restera finalement très chaste à l'image –
même si la sauvagerie des personnages est largement soulignée. L'on
peut représenter à l'écran la nudité d'une junkie, victime
quasi-consentante selon le regard de Lester, quand le calvaire de la
bourgeoise femme du professeur doit rester respectable, selon les
conventions visuelles. Nous sommes alors très loin d'Orange
Mécanique, ou de Straw Dogs, dont la violence consistait
précisément à rendre le spectateur sinon complice, du moins voyeur
complet des exactions d'Alex et ses Droogies.
![]() |
Une image kubrickienne qui met le spectateur autrement plus mal à l'aise que la molle complaisance de Lester ci-dessus |
Si cette différence de mise en scène
dit quelque chose du rapport de Lester à ces personnages, et au
« monde » qu'il filme, c'est surtout le dernier plan qui
nous renseigne sur la substance de son projet, et qui compose la
seule véritable idée de mise en scène d'un film à la grammaire
toute télévisuelle. Andy, le héros, et Stegman finissent par
s'affronter sur le toit du lycée, durant le concours symphonique
auquel participe la classe du professeur. Tandis que l'orchestre des
lycéens achève les dernières mesure de sa partition, et
qu'éclatent les applaudissements d'une audience enfin conquise, le
corps de Stegman traverse la verrière qui domine la salle – Andy a
vaincu lui aussi, le « vilain » Stegman vient de chuter
depuis le toit dans la salle de concert. Son corps s'est emmêlé
lors de la chute aux nombreuses cordes qui surplombe le dôme de
verre de la salle de concert, et c'est littéralement pendu qu'il
apparaitra aux spectateurs du concert, dans une fin aussi
spectaculaire que symbolique. A la fin, les voyous n'ont que ce
qu'ils méritent : la corde, au vu et au su de tous.
![]() |
A quand le rétablissement de cette belle tradition de la pendaison publique ? |
Le dernier carton qui conclue le film,
et nous indique que Andy ne fut jamais inquiété, nul témoin ne
s'étant manifesté, enfonce le clou : face à la violence,
n'hésitons pas à user des mêmes méthodes. D'une certaine façon,
ce film nous renvoie à ce que l'on disait de l'Héroïc Fantasy,
mais au premier degré : si vous voulez être civilisé, n'hésitez
pas à être barbare. Voici le discours déjà commun en 1982 et qui
aura en Amérique une véritable postérité, quand il s'agira de
pratiquer la « guerre de prévention ». Ce cinéma
célèbre la Réaction la plus extrême, qui se complait largement
dans la mise en images de sa propre violence, mais qui a toujours
autant de répugnance à envisager certaines représentations en
dehors d'un pur cadre de répression. Le projet exactement inverse,
une fois encore, de films comme Orange Mécanique, Straw
Dogs ou Delivrance, ou plus « proche » de
nous, d'un film comme The Loveless, qui la même année, sur
un sujet comparable, parvenait à dire quelque chose de l'Amérique
qui dépassait sa seule morale étriquée et majoritaire.
"I am the future", ne cesse
de chanter Stegman à l'intention d'Andy : non, le futur c'est le
retour à l'ordre ancien. Oui, le futur c'est bien la loi du plus
fort. Et tant mieux, semble nous dire Lester...
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