LA CONQUETE DE L'OUEST
1982 ?
Vraiment ? Dès le début du film de Liu Chia Liang, on comprend
que personne n'a osé le mettre au courant. Jamais sorti des studios
de la Shaw, (1) le réalisateur continue donc d'allonger sa filmographie
de 1975, année de sortie de son premier film, The Spiritual Boxer
comme si le monde se réduisait à Clearwater Bay.
Car rien ne distingue
Les 18 armes... des films qu'il tournait 5 ans plus tôt. Mais
dire de Liu Chia Liang qu'il n'est jamais sorti des studios de la
Shaw est à peine une image. Formé par son père, Liu zhan, au
Kung-Fu depuis qu'il a 9 ans, il apparaît à ses côtés dans la
série Huang Fei-hong sur laquelle il est directeur des
combats dès ses 12 ans. De fil en aiguille, intégrant les plateaux
hong-kongais, Liu Chia Liang finit par être nommé lui aussi
directeur des combats sur la plupart des films de Chang Cheh à
partir de 1965. Jusqu'au tournage de Marco Polo, en 1975, que
Liu Chia-liang quitte pour partir tourner son propre film.
C'est que la prise de
pouvoir des directeurs de combat est en marche. Le succès des films
de kung-fu les a progressivement amené à tenir un poste décisif et
la réussite de ces films repose souvent sur leur travail. Les
tournages à l'économie, les scènes étant souvent filmés à une
seule caméra en une prise unique, imposent aux directeurs de combat
de penser non seulement la chorégraphie des affrontements, mais
aussi leur mise en scène. L'importance prise par ces combats dans
beaucoup de récits fragilise la position des réalisateurs jusqu'à
la rendre dans certains cas dispensable. Entre 1975 et 1978, Liu Chia
Liang, Samo hung ou Yuen Woo Ping vont signer leurs premières
réalisations, The spiritual boxer, Iron fisted monk, Drunken
Master. Tous des succès. Et des films avec un humour étonnant,
contredisant en apparence le respect de la tradition incarné par ces
réalisateurs/acteurs/cascadeurs qui sont parfois, comme Liu Chia
Liang, des descendants directs des maîtres du monastère Shaolin.
La Kung-fu comedy est
en plein essor, et Liu Chia Liang va lui offrir quelques joyaux, à
commencer par ce premier film, The spiritual boxer à
l'argument pseudo-fantastique, qu'on retrouvera dans Les 18
armes..., qui met en scène le même genre de personnages. Un
spiritual boxer, c'est un pratiquant cherchant l'invincibilité
par le Kung-Fu, la pratique de rituels magiques...et surtout pas mal
de poudre aux yeux. Car il s'agit avant tout pour Liu Chia Liang de
montrer le parcours édifiant de personnages se détournant de la
fausse voie dans laquelle ils se sont engagés pour embrasser la
pratique du vrai Kung-fu. Dans les deux films, la position du
réalisateur est tout aussi ambiguë que lorsqu'il fait du rapport
presque sacré du maître et de l'élève un sujet de comédie. Car
il y a un plaisir, une sympathie et une habilité évidente à nous
faire rire en mettant en scène des faux maîtres, des boxeurs ivres,
ou des docteurs charlatans. Mais dans le même temps, il dit ne le
faire que pour que nous désapprouvions le comportement de ces faux
combattants tellement attachants. Cette envie de gagner sur tous les
tableaux est parfaitement résumée dans cette scène centrale des 18
armes... .
Une scène centrale
par sa position dans le métrage bien plus que par son intérêt
narratif. Pour offrir à Alexander Fu Sheng, tempérament comique du
Kung-fu, sa grande scène de spiritual boxing, Liu Chia Liang
va faire de sacré détours. Le fil conducteur du récit, dont les
développements sont pour le moins baroques repose sur la traque d'un
maître, Lei Gung, par des disciples de Yi Ho, la société qu'il a
fui, désespéré par l'impureté du kung-fu qui y est valorisé. Ne
sachant exactement où chercher, les poursuivants sont mis sur une
fausse piste : ils entendent parler d'un puissant maître,
attrapant des poignards volants avec les dents et lançant des boules
de feu, entre autres pouvoirs remarquables. Persuadés qu'il s'agit
de Lei Gung, ils retrouvent le charlatan en pleine démonstration
publique. Comme souvent, il s'agit de se faire un peu d'argent facile
en abusant de la crédulité des quidams du coin. Le personnage de
Fu-Sheng nous a été présenté indépendamment de l'intrigue
principale- Liu Chia Liang s'y attache bien plus que de raison mais
il quittera le récit après cette scène pour n'y plus revenir- nous
savons donc que ses adversaires sont en fait, ses complices. Dans
cette mêlée jouissive, Liu Chia Liang se moque sans doute un peu de
lui-même. Tous ces trucs que sa caméra nous dévoile (les effets
pyrotechniques, les fausses blessures des armes tranchantes, les
décharges « d'energie », les trucages gore ) ce
sont aussi des trucs de cinéma, des effets auquel le réalisateur a
recours lui aussi. Cette ironie sympathique est sans doute
l'expression par Liu Chia Liang de sa dévotion à la pratique
martiale, dont la représentation cinématographique ne saurait être
l'aboutissement, pour orthodoxe qu'elle soit.
Propagandiste infatigable de la vertu martiale, Liu Chia Liang, et c'est sa signature, n'a jamais cessé de prêcher pour une représentation sans effet de manche des arts martiaux à l'écran. Tout l'arsenal que Wuen Yoo Ping va populariser dans ses chorégraphies n'ont pas droit de cité sur les plateaux de Liu Chia Liang. S'il fera des compromis inévitables, le cinéaste est tellement attaché à sa vision du cinéma d'arts martiaux qu'il se disputera violemment sur le plateau de Drunken Master II, qui aurait pû être son magnifique chant du cygne, avec Jackie Chan, au sujet d'un câble qu'il refuse d'utiliser pour souligner la puissance d'un coup de pied à l'écran. Une dispute qui aboutira au retrait du cinéaste, et conclura tristement sa participation à la dernière œuvre remarquable de sa carrière.
Propagandiste infatigable de la vertu martiale, Liu Chia Liang, et c'est sa signature, n'a jamais cessé de prêcher pour une représentation sans effet de manche des arts martiaux à l'écran. Tout l'arsenal que Wuen Yoo Ping va populariser dans ses chorégraphies n'ont pas droit de cité sur les plateaux de Liu Chia Liang. S'il fera des compromis inévitables, le cinéaste est tellement attaché à sa vision du cinéma d'arts martiaux qu'il se disputera violemment sur le plateau de Drunken Master II, qui aurait pû être son magnifique chant du cygne, avec Jackie Chan, au sujet d'un câble qu'il refuse d'utiliser pour souligner la puissance d'un coup de pied à l'écran. Une dispute qui aboutira au retrait du cinéaste, et conclura tristement sa participation à la dernière œuvre remarquable de sa carrière.
Mais en 1982, c'est
encore lui qui fait la leçon, et se permet même de prendre
gentiment de haut celui qui lui a ouvert les portes du succès. A
l'issu de son affrontement, Fu Sheng se retrouve les vicères à
l'air (un de ses trucages!), et se promène comme si de rien n'était
le ventre en sang et la tripe pendante. Une pique cinglante, à n'en
pas douteux, à une figure de style typique de Chang Cheh,
l'éventration d'un combattant, tourné ici en dérision.
Le film, très
relaché dans sa narration- nous sommes très loin de la linéarité
du récit de vengeance typique- relie plus ou moins logiquement les
morceaux de bravoure martiaux. Et là, le bonheur est total.
Avec d'abord deux
affrontements caractérisés par l’exiguïté de leur terrain :
un grenier dans lequel les combattants ne tiennent qu'accroupis puis
ensuite une ruelle haute et étroite.
Ruelle où, pour se
cacher d'un troisième, deux combattants se dissimulent en hauteur,
appuyant leurs jambes de chaque côté de la chaussée ! Les
choses se compliquent encore lorsqu'il doivent cracher sur le chapeau
du moine en contrebas pour imiter la chute de gouttes d'eau: leurs
corps empêchent les gouttes du linge qui sèche de tomber, et
l'interruption du son de leur impact sur le sol fait tendre l'oreille
au disciple.
On aura aussi vu, au début du film, des disciples montrer leur dévotion en s'arrachant les testicules et les yeux ! Leurs maîtres possèdent d'ailleurs le pouvoir de les manipuler comme des marionnettes en tripotant à l'écran des poupées de paille dont les comédiens reproduisent le mouvements à l'arrière plan.
Des idées à la fois poétiques, folles mais évidentes
à l'écran qui justifient à elles seules la vision du film. Sans compter ce feu
d'artifice final reconnu par les amateurs éclairés comme un des
sommets du ciné kung-fu.
Un morceaux de
bravoure dépassant le quart d'heure dans lequel le maître exilé,
Lei, affronte le meneur de la secte, en utilisant l'une après
l'autre les 18 armes légendaires donnant leur titre au film, et dont
apparaît le nom à chaque fois que les combattant s'en saisissent à
l'écran. L'aboutissement logique d'une lutte de conceptions
opposées. Car quand Liu Chia Liang filme des combats, ce ne sont
jamais des hommes qui s'affrontent, ce sont des idées. Ici, une
vision matérialiste du Kung-Fu, dont la conséquence est un rapport
fanatique des maîtres envers les disciples. Opposée à la
compassion et au respect dû à la vie défendus par Lei. Le kung-fu
enseigné à Yi Ho est triplement corrompu : D'abord son
obsession pour l'invincibilité du corps en fait une pratique
oubliant que le perfectionnement technique et physique n'a de sens
que s'il permet une dynamique spirituelle, à même d'instaurer pour
l'individu un rapport vertueux avec le monde. C'est un kung-fu
purement matérialiste.
Ensuite, c'est un
enseignement dévoyant la relation du maître et de l'élève, en
remplaçant le respect par la dévotion fanatique, allant jusqu'au
sacrifice personnel de l'élève.
C'est donc aussi,
enfin, un abus de pouvoir là ou devrait s'instaurer une relation
pédagogique menant à l'émancipation de l'élève.
Son crédo, Liu Chia
Liang le défendra jusqu'au bout, avec une intégrité sclérosant
son art lorsque vient le temps de la chevalerie en apesanteur de Tsui
Hark, et que sonneront les sirènes hollywoodiennes. Le cinéaste
mordra même la main tendue par Jackie Chan. Et ne retrouvera un peu
de son inspiration que lorsqu'il lui sera permis, occasionnellement,
de refaire tel quel le cinéma qu'il pratiquait déjà en 1975, et
qui au fond, n'évolua jamais d'un iota. Il y a au moins un tour de
passe-passe auquel Liu Chia Liang veut bien s'abaisser : N'avoir
jamais changé d'un cheveu, jamais bougé d'un centimètre, restant
imperméable aux modes et au passage des ans, et pourtant nous livrer
des films virevoltants et indémodables, ironiques et buissonniers,
gracieux et contradictoires. Rigidité et souplesse dans le même
mouvement.
Presque personne ne
prenait en considération, à l'époque de leur fabrication ces films
« de karaté » en provenance de Hong-Kong alors c'est une
vraie joie- même à notre échelle minuscule- que d'en faire figurer
aujourd'hui un des plus beaux aux côtés des autres réussites
depuis longtemps célébrées de cette année 82. C'est là
évidemment, qu'est sa place.
Jackie Chan et Liu Chia Liang, sous le train de Drunken Master 2.
1: Symboliquement, bien sûr, puisqu'il a tourné sur le continent, notamment le très beau Arts Martiaux de Shaolin, second volet des trois films qui révélèrent Jet Li.
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