Il
est difficile d'écrire sur un film qui a changé votre vie. J'ai vu
Blade Runner à la télévision en 90 ou 91, je n'oublierai
jamais ce jour-là, l'impression indélébile que m'a laissé le film
et les discussions exaltées qu'il provoqua.
A l'époque, j'étais un
lecteur vorace de Phiip K. Dick, et c'est d'abord l'adaptation de Les
androïdes rêvent-ils de moutons éléctriques que je voulais voir, curieux et excité de découvrir ce que l'univers de l'écrivain
pouvait inspirer à un cinéaste. Je ne savais pas grand chose de
Ridley Scott- je ne sais plus si j'avais déjà vu Alien, je
ne crois pas.
Quelques années auparavant, c'était sans doute le premier janvier 1987, sur un téléviseur en noir et blanc, j'avais découvert La guerre des étoiles, sans être tellement préparé à ce que j'allais voir. Je ne connaissais de la création de George Lucas que les jouets du Retour du Jedi, qui étaient vendus aux Nouvelles Galeries près de chez nous. Ces personnages aux noms bizarres m'intriguaient beaucoup, et je passais du temps à regarder les photos des emballages, à imaginer quelles pouvaient être les histoires racontées par les films dont les photos étaient apparemment tirées. La guerre des étoiles m'a fourni une grande part des images mentales et même des valeurs sur lesquelles allait se bâtir mon enfance.
Quelques années auparavant, c'était sans doute le premier janvier 1987, sur un téléviseur en noir et blanc, j'avais découvert La guerre des étoiles, sans être tellement préparé à ce que j'allais voir. Je ne connaissais de la création de George Lucas que les jouets du Retour du Jedi, qui étaient vendus aux Nouvelles Galeries près de chez nous. Ces personnages aux noms bizarres m'intriguaient beaucoup, et je passais du temps à regarder les photos des emballages, à imaginer quelles pouvaient être les histoires racontées par les films dont les photos étaient apparemment tirées. La guerre des étoiles m'a fourni une grande part des images mentales et même des valeurs sur lesquelles allait se bâtir mon enfance.
titre trompeur: ce n'est pas la première diffusion télévisée française,
mais cela donne une idée, à l'heure des TV HD, de la qualité des images
qui nous ont fait découvrir La guerre des étoiles !
Il
est difficile aussi de décrire quel éblouissement fut la rencontre
avec ce film, ce qu'il a représenté pour moi et mes copains, à
quel point nous en étions, presque, un peu fous. Pour nous,
l'univers de La guerre des étoiles existait, et à force
d'entraînement, nous arrivions même, par moments, à vivre dedans.
J'ai une grande nostalgie, je l'avoue, de cette époque et de ce
qu'un film comme celui-là pouvait représenter pour nous. La
guerre des étoiles a été notre enfance et je crois que Blade
Runner a été le premier film qui m'ait donné l'impression de
la quitter pour devenir adulte. Et il n'est pas sans importance, que
son acteur principal, Harrison Ford, ait été un des héros de La
guerre des étoiles, et que le film relève du même genre, la
science-fiction.
Ridley Scott & Philip K. Dick |
Avant
de voir Blade Runner, j'avais adoré la science-fiction parce
que s'y déchaînait un imaginaire coloré, exaltant, que les récits
donnaient du sens au monde, que nous comprenions tous ce que les
héros représentaient, en quoi ils se distinguaient des méchants,
et même si parfois la tentation du mal nous mettait à l'épreuve,
Maître Yoda, en une phrase faussement sibylline prodiguait toujours
un conseil grâce auquel les mystères des passions humaines
pouvaient être nommées. Avec la découverte de la littérature de
Dick, il ne restait plus que des interrogations, poussées,
excitation suprême, jusqu'à la remise en cause de la réalité
même. Dick, c'est l'auteur qui le premier nous ait dit : Tout,
peut-être n'est qu'illusion des sens. Évidemment, ses récits
paranoïaques, dans lesquels toutes les identités, les temporalités,
les espaces, se brouillent, correspondaient formidablement à notre
entrée en adolescence. Notre préférence allait à Ubik,
roman pour nous le plus radical de Dick, dans lequel le héros
découvre, littéralement, que rien n'existe dans son monde,
peut-être même pas lui-même. Notre « cogito ergo sum »
c'était à ce moment là le « vous êtes tous morts, je
suis vivant » du livre de Philip K.Dick.
Comme
pour La guerre des étoiles, nous n'avions vu de Blade
Runner que les
quelques photos fournies par la production reprises dans la presse
spécialisée. Ces photos nous faisaient furieusement rêver, en
attendant mieux. C'est encore avec nostalgie que je me souviens de
cette époque où les films se faisaient désirer. Il était
impossible, souvent, de les voir, et c'est avec le support d'une ou
deux photos que nous nous fabriquions un film mental, forcément
génial !- formidable stimulation de l'imagination. Par exemple,
je me souviens qu'avant de voir enfin le film, l'Excalibur de
John Boomran se résumait à la photo du mariage d'Arthur et
Guenièvre, qui ornait la couverture de mon manuel d'histoire, à
l'école élémentaire. Pourtant, cette simple image m'a habité des
années. Bien sûr, l'explosion de la VHS et l'éclosion des
vidéo-clubs changea la donne. Mais c'est la télévision qui m'a
permis de découvrir Blade Runner. Je n'avais pas encore de
magnétoscope, je ne savais pas quand je pourrais revoir le film. Si
on ne possédait pas de magnétoscope, on pouvait alors en louer pour
quelques jours- nous l'avions fait pour l'anniversaire de ma sœur,
elle avait emprunté La belle au bois dormant, et moi j'avais
pris le Retour du Jedi que j'ai regardé ce week-end là 4 ou
5 fois de suite. Même les films qu'on adorait, on n'en avait à
notre portée que le souvenir. Alors devant Blade Runner, j'ai
ouvert grand les yeux, pour bien regarder, et j'ai été ébloui.
Aucun
film, jusqu'alors ne m'avait donné à ce point l'impression d'être
un aperçu d'un monde qui dépassait largement le cadre défini par
la caméra. Par la suite, très peu de films me feront, et me font
toujours cette impression. Il y a eu Blade Runner avant tout,
puis Phantom of the paradise, Mad Max 2, Conan le
barbare, Excalibur et Brazil. Je ne crois pas que
cela tienne à la qualité réaliste des effets spéciaux ou au
budget disponible. Blade Runner n'est pas une
super-production, et ces effets sont aujourd'hui voyants, et pourtant
la prégnance de sa vision est toujours aussi forte, sa description
de la ville est plus que jamais parlante et continue d'être une référence
pour les concepteurs visuels d'aujourd'hui. Il me semble que cette
qualité extraordinaire provient de l'instinct plastique de Ridley
Scott, qui se déploie à travers toutes les dimensions du film. Ce
génie artistique a souvent été désigné comme un mauvais génie
par les détracteurs de Scott. C'est absurde tant réside-là la
substance même de son cinéma. Mais les réalisateurs amoureux de
belles images ont mauvaise presse, et le film fut d'ailleurs assez
mal accueilli à sa sortie. Le grand public, certains critiques,
reprochèrent surtout à Ridley Scott d'avoir réalisé un film trop
sombre, auquel on ne comprend rien. Ce n'est pas entièrement faux,
mais c'est précisément ce qui rend Blade Runner tellement
fascinant.
La nuit sans fin. |
Le jour ne se lève jamais dans Blade Runner, qui semble se dérouler dans une nuit permanente, sous une pluie ininterrompue. Toutes les lumières semblent artificielles. Le soleil est peut-être mort. Pourtant non, il est même trop éblouissant, au sommet de la tour de la Tyrell corporation. Au point qu'il faille faire tomber un voile opaque sur la fenêtre pour rendre possible le passage du test Voigt-Kampff, ce test au nom étrange, qui doit permettre de distinguer l'humain de la machine. Le soleil, trop fort pour l'oeil de l'homme, mais pas pour celui de sa création mécanique. Quelque chose de l'émouvante imperfection de la condition humaine, et du programme du film, est annoncé par ces quelques plans, qui n'ont rien de la coquetterie de réalisateur pubard.
La tour Tyrell, si près du soleil. Trop ? |
Cette
tour si proche du soleil a une forme de pyramide, et de nombreux
motifs architecturaux et décoratifs du film renvoient à
l'antiquité. La tour Tyrell, donc, mais aussi son intérieur, dont
les murs reflètent la lumière comme si elle était diffractée par
l'eau d'un bassin comme on en imagine dans un palais égyptien où
romain. Mais aussi les colonnes du Bradburry building, la statuaire
chez Tyrell toujours, où son hibou, qui fait songer à l'animal
fétiche d'Athéna. Des choix qui ne sont jamais anecdotiques. Le
film a aussi quelque chose de mythologique. Si dès le carton d'ouverture,
les réplicants sont assimilés aux esclaves antiques, leur existence
est due à l'ambition prométhéenne de leur créateur, le Dr. Eldon
Tyrell dont la proximité avec le soleil évoque aussi Icare.
Le film
est traversé par un motif plastique correspondant, la verticalité.
L'organisation de la ville d'abord. On l'a déjà dit, la tour de la
Tyrell corporation domine la ville, ce mouvement ascendant est rendu
dynamique par l'ascenseur sur la surface extérieure du bâtiment,
toujours filmé en mouvement. Aux autres, la masse grouillante au
niveau du sol, l'obscurité de ruelles où la lumière du jour ne
descend pas. Innombrables sont dans Blade Runner les plans de
personnages montant ou descendant, en empruntant des escaliers, des
ascenseurs, ou des voitures volantes, dont le décollage vertical est
filmé en détail. Pour un cinéaste aussi rigoureux avec son projet
plastique que Scott, la conclusion du récit ne pouvait se dérouler
que dans un espace lui aussi vertical et repose non plus sur une
ascension, mais sur une chute. Elle confronte deux personnages, les
seuls a avoir eu le pouvoir de parcourir sans entraves le monde
debout de Blade Runner, de son sommet, la tour et les toits, à
son fondement, les tunnels que traverse Deckard, la grotte glaciaire
où Batty débusque l'ingénieur oculaire. Batty et Deckard partagent
cet avantage sur les autres personnages parce qu'ils sont
certainement bien plus semblables que ce que Deckard veut croire.
Des éléments comme ces colonnes, à gauche, évoquent l'antiquité |
Le monde vertical de Blade Runner |
Car
la vision de Blade Runner a alimenté depuis sa sortie une
question à priori triviale : Deckard, pour traquer les
réplicants avec tant d'efficacité, n'en est-il pas un lui-même ?
Ridley Scott, en apparence, ne fait même pas mine de poser la
question. Rien dans le scénario ne pose directement la question, et
pourtant, tout, dans la mise en scène suggère que c'est là le cœur
du film. Le personnage de Deckard fournit l'inspiration principale de
Blade Runner : le film noir. Volontairement, Deckard est
le précipité de tous les clichés du héros de crime novel :
detective solitaire, violent, il endort sa dépression sous la
consommation d'alcool.
Logiquement, le scénario correspond à cet archétype : il s'agit d'une enquête- la dernière forcément- acceptée à contrecœur, qui poussera le personnage à sa limite. La traque d'un groupe de répliquants- robots en apparence semblables à des humains- dissimulés parmi les habitants de Los Angeles en 2019 est le prétexte narratif du film. Mais Scott ne va jamais vraiment traiter de cela. Certes, Deckard collecte des informations, puis des indices, qui lui fournissent des pistes aboutissant à la confrontation avec plusieurs des pourchassés. Et pourtant, on a le sentiment que ce Deckard trouve, ce n'est jamais vraiment ce qu'il cherche. A tel point que face à cette enquête fort bien racontée, menée à son terme, et dont aucun fil ne reste dénoué- en apparence- beaucoup de spectateurs ont l'impression de « ne rien comprendre ».
Le meurtre de Zhora met à jour la brutalité dont Deckard est capable. L'impact des balles, sur les omoplates peut faire penser qu'on a arraché les ailes de la jeune femme. Une image qui renvoie à celle de Roy Batty avec sa colombe (voir plus bas.)
Logiquement, le scénario correspond à cet archétype : il s'agit d'une enquête- la dernière forcément- acceptée à contrecœur, qui poussera le personnage à sa limite. La traque d'un groupe de répliquants- robots en apparence semblables à des humains- dissimulés parmi les habitants de Los Angeles en 2019 est le prétexte narratif du film. Mais Scott ne va jamais vraiment traiter de cela. Certes, Deckard collecte des informations, puis des indices, qui lui fournissent des pistes aboutissant à la confrontation avec plusieurs des pourchassés. Et pourtant, on a le sentiment que ce Deckard trouve, ce n'est jamais vraiment ce qu'il cherche. A tel point que face à cette enquête fort bien racontée, menée à son terme, et dont aucun fil ne reste dénoué- en apparence- beaucoup de spectateurs ont l'impression de « ne rien comprendre ».
Sans
doute est-ce dû à la manière dont Scott, par touches, tantôt par
les dialogues, tantôt par un détail de l'image, rempli le film de
sous-entendus qui constituent sa véritable substance. On parle à
voix basse, dans Blade Runner, et en laissant des silences
s'installer. Alors que le scénario, jusqu'au titre, suggère une
course crescendo, en fait on déambule et on murmure. Les images
aussi, en disent long, et leur beauté, le soin apporté à la
décoration pourrait faire croire que les photogrammes forme un
papier peint. Il n'en est rien. Les images de l'appartement de
Deckard nous renseignent peut-être plus que le reste sur sa nature.
Nous
sommes déjà étonnés d'y trouver un piano. Deckard ne semble pas
être le genre d'homme à passer ses heures perdues à jouer de
l'instrument. Sur le pupitre, des photos en noir et blanc. Rachel,
qui ignore encore être un répliquant et se croit la nièce de
Tyrell, l'employeur de Deckard, qui a deviné sa nature, tire l'une
d'elles. Pourquoi un homme du XXIème siècle garderait-il des photos
en noir et blanc ? S'agit-il de ses ancêtres ? Dans ce cas
pourquoi n'a-t-il pas aussi des photos plus récentes ? Quelque
chose, dans cette coquetterie de décorateur ne raccorde pas avec le
personnage de Deckard. A moins de se souvenir d'une observation
entendue plus tôt dans le film. Les répliquants aiment conserver
des photos, car n'ayant qu'une mémoire artificielle, ils ont le goût
des images leur rappellant leurs souvenirs véritables. Est-il
possible, alors, que ce soit justement ce trait typique des
répliquants, qui ait guidé Deckard pour la décoration de son
appartement ? Son dialogue avec Rachel prolonge cette piste
ouverte par les images du décor. Les propos échanges, d'ailleurs,
en sont pas tout à fait raccordés eux non-plus : s'ils
s'adressent bien l'un à l'autre, ce n'est pas par un échange de
questions et de réponses. Deckard dit avoir « rêvé de
musique » Rachel répond qu'elle ignorait savoir jouer, mais
avait « le souvenir de leçons. » La jeune femme, par sa
méfiance envers sa propre mémoire nous indique qu'elle a déjà
senti qu'elle n'était pas humaine, mais habitée par les souvenirs
d'une autre. Mais la phrase de Deckard est ambiguë : vient-il
de rêver de musique -il se réveille tout juste- ou bien évoque-t-il
le rêve dans lequel les réplicants sont plongés pour qu'on leur
implante leurs souvenirs ? Nous étions étonnés de trouver un
piano chez Deckard, mais nous commençons a penser qu'il est là pour
les mêmes raisons que celles qui poussent Rachel a s'asseoir pour
jouer : une mémoire commune, une marque de fabrique partagées
par tous les réplicants made in Tyrell. On pourrait ajouter
au passage, qu'à cette question du souvenir problématique pour les
Nexus-6 s'ajoute logiquement celle de leurs origines. On a déjà
évoqué à quel point cette année 1982 était marquée par les
personnages privés de pères. C'est le cas de Batty, symboliquement,
et tout ce qu'il entreprend dans le film l'est pour parvenir à
rencontrer celui qui a permis son existence.
Mannequins, robots, humains: si semblables comme nous le prouve parfois la lumière. |
Il
n'est évidemment pas innocent que cela soit par la musique que
Rachel éprouve son inhumanité. Dans la scène, Rachel a des
mouvements mécaniques et un regard fixe. Elle est très semblable
aux automates peuplant l'appartement de J.F Sebastian, et c'est un
des rares moments du film où un répliquant ressemble à un robot.
Les deux autres fois, la gestuelle mécanique (de Pris et zora) est
associée à la mort du personnage. Rachel fera presque le parcours
inverse : alors que tous les répliquants vont être mis à
mort, elle doit devenir vivante. Appuyant sur les touches, Rachel
produit une mélodie mélancolique et à propos- la musique est
d'ailleurs fondue sans rupture dans la bande-originale de Vangelis-
en se demandant si elle ressent vraiment ce que traduit la musique.
Blade Runner est un film, même si on y voit une colombe
s'envoler au ralenti, qui ne cherche pas l'émotion facile. Celle que
Scott associe à l'art et à l'expression artistique n'en est que
plus profonde. Elle se manifeste dans cette scène que je viens
d'évoquer, mais surtout dans la valeur que le réalisateur donne
à ces images et au bout du compte, au regard que les personnages
portent sur le monde, qui est l'écho de celui de Ridley Scott.
Outre
les nombreux dispositifs verticaux, le film multiplie les images de
regards, les plans d'yeux, les scènes articulées autour d'une
problématique de la vision. S'il fallait choisir une image
symbolique de ce que le fil nous raconte sur le regard, ce serait
évidemment l'image ; au début du film, de l'oeil sur lequel se
reflète des geysers de flammes. Cet œil regarde le paysage de ce
que sont devenues nos villes : un cauchemar de pollution, de
fumées, de bâtisses de métal comme fracassées les unes sur les
autres et dont quelques unes pointent désespérément vers des
hauteurs peut-être plus respirables. Cette image, qui devrait être
laide et saisir d'horreur est ici belle et provoque l'émerveillement.
La musique souligne d'ailleurs cette émotion. A l'autre bout du
film, Roy Batty, le robot, va adresser à celui qui le traque une
leçon d'humanité, avec un des monologues les plus célèbres du
cinéma. Si Roy Batty n'est pas humain, il n'est pas contradictoire
de lui trouver quelque chose d'innocent- terriblement- et
d'angélique. Il se dote d'ailleurs d'ailes, pour ce grand moment, en
serrant dans son poing une colombe.
Je ne résiste pas à l'envie de
recopier ici ces quelques mots inoubliables : « I've
seen things you people wouldn't believe. Attack ships on fire off the
shoulder of Orion. I watched c-beams glitter in the dark near
Tannhauser gate. All those moments will be lost... like tears in the
rain ». On peut rire d'un moment en apparence si pompeux. Ce
serait manquer de voir qu'avant de prononcer cette dernière phrase
au sujet des « larmes dans la pluie », Rutger Hauer
marque une petite pause, et esquisse un sourire ironique. A n'en pas
douter, il ne se leurre pas sur la qualité de son petit poème, et
pourtant on sent combien il ne peut s'empêcher d'être émerveillé
d'en être l'auteur.
Reflets dans un oeil d'or |
Roy Batty s'apprête à déployer ses ailes. |
Cet
émerveillement c'est celui de Ridley Scott, regardant autour de lui
avec émotion. Depuis 30 ans, il n'a jamais perdu cette foi presque
primitive en l'image, cette envie de voir la beauté que le monde
peut produire si on sait comment regarder. Peut importe qu'on soit de
chair ou de métal, l'humanité s'accomplit lorsque les yeux, face au
monde, deviennent vivants et s'émerveillent de ce qu'ils voient.
Prometheus, dernier film en date de Scott ne dit pas autre
chose, dès son ouverture. On est sans voix face à la beauté des
images, à l'opposé cette fois de Blade Runner, de paysage primitfs
par lesquels le fil débute. Au milieu de ce paysage, un être, qui,
bien qu'étant de la race des créateurs de l'espèce humaine n'en
demeure pas moins la négation absolue de l'humanité. On ne sera
guère surpris que le visage de ces êtres soit creusé par deux yeux
opaques, totalement noirs, qui nous sembleront aveugles.
Peu
de films ont dit avec la grâce qui traverse de bout en bout
Blade Runer l'émotion profonde que nous pouvons trouver dans
notre regard. J'ai eu beaucoup de premiers bouleversements avec ce
film. Premières interrogations quant à la nature de ce que nos sens
nous disent du monde, premières réflexions sur les fondements de l’appartenance à l'humanité,
premier saisissement face au visage d'une actrice, aussi, Sean Young,
dont la main amenant une mèche de cheveux frisés sur le profil m'a
longtemps paru la plus belle chose qui soit. Et chaque fois que je
revisite Blade runner, je revis ces mouvements intérieurs avec une
force intacte.
Merci !
RépondreSupprimerMerci pour ce merveilleux hommage pour un film qui a aussi changé ma vie.
RépondreSupprimerSel
Bonjour...
RépondreSupprimerIl y a tellement de hauteur de vue et d'humanité dans votre texte que vous devez être un Répliquant.
Tombé ici car en pleine chute d'Icare, je cherchais une image de Roy Batty. Sans même le mot Icare Google m'a mené sur vos rivages cybernétiques.
C'est d'autant plus drôle que j'ai grandi à 100 mètres des Nouvelles Galeries... or vous en creusez sans cette mine prométhéienne.
Le soleil qui fait de Tyrell un Icare, la chouette athénienne, les ailes arrachées de Zohra : MA-GNI-FIQUE. Je n'avais jamais vu tout ça. Et votre style... j'espère qu'il y a un livre quelque part dans le passé ou dans le futur, pour le cristalliser.
J'adorerais lire ce que vous avez ressenti sur Blade Runner 2049. Quelques mots pour ma part, une simple ébauche à chaud à la sortie du film, sans vrai projet d'écriture, dans mon URL ci-dessous.
We Care.
Nexus People...
Vous en creusez DANS cette mine prométhéienne, de nouvelles galeries. (pas pu éditer)
RépondreSupprimerPS je n'ai jamais autant kiffé ça ! "Veuillez prouver que vous n'êtes pas un robot"
;)
Je me suis permis de citer votre article sur mon blog.
RépondreSupprimerEt puis... à l'instant même où je publiais, une notification... d'une autre Zohra.
Synchronicités jungiennes.