ADRIENNE !
La
créature du marais (Swamp Thing)- Wes Craven- 1982- Etats-Unis.
Il
y avait de l'idée. Depuis que Superman a prouvé par son triomphe
financier et artistique qu'on pouvait traiter sérieusement une
histoire de super-héros et y consacrer un budget déraisonnable sans
mettre la clef sous la porte, les têtes pensantes de DC Comics, se
demandent comment donner suite à leur bonne idée. Et pourquoi ne
pas dépenser une poignée de dollars à l'adaptation du comics
d'horreur Swamp Thing ?
Les
adaptations live de super-héros sont à la mode. Pourquoi au début
des années 80 et pas à un autre moment ? L'air du temps... On
a souvent attribué le succès de Superman a un besoin de l'Amérique
de retrouver confiance et fierté, cette fameuse Amérique qui va
élire l'acteur Ronald Reagan. D'autant plus facile de le faire via
Superman que le film de Donner évacue soigneusement toute
référence à l'histoire récente, et si Clark Kent est journaliste,
ce n'est certainement pas pour chercher des squelettes dans les
placards des hommes du président. Lois Lane ne rapporte pas de photo
du Vietnam ravagé par la guerre, Luthor ne s'allie pas avec des
russes machiavéliques, et c'est presque dans un monde intemporel que
Superman prend son envol. Malgré les conflits d'ego et les
difficultés de production, ce sont les suites de Superman The
Movie qui constituent l'essentiel des investissements pour les
adaptations de DC Comics. L'essentiel mais pas tout. Swamp Thing
fait figure de curieux prototype.
Produit
pour un budget modeste, mais supérieur à celui du film d'horreur
moyen, le film est tiré d'un comics mainstream d'un genre un
peu particulier, qui explique sans doute la présence de Wes Craven
au poste de réalisateur. Swamp Thing est un comics d'horreur.
Dans les années 70, ces périodiques ont le vent en poupe. Cruelle
ironie, pourrait-on dire, puisque les EC Comics de William Gaines-
évoqués à l'occasion de Creepshow par Matthias- qui ont
popularisé le genre 20 ans auparavant ont disparu sous l'éteignoir
de la Comics Code Authorithy, organisme d'auto-censure dont DC et
Marvel furent, d'une certaine façon les complices, trop contents de
pouvoir se débarrasser d'un concurrent sans même avoir à porter
bataille sur le terrain éditorial. Mais ironiquement ce sont les
recettes popularisées par Gaines qui vont apporter un sang neuf
vital au deux éditeurs majoritaires alors que la baisse de
popularité des Super-héros se traduit de manière préoccupantes
sur les ventes. Marvel renouvelle son catalogue en créant deux
mensuels au format similaire aux aventures de Spider-Man, Hulk ou
Daredevil, mais dont les personnages, au fond n'ont rien de commun
avec ces Super-héros, leur création leur étant bien antérieure.
Ces deux revues ce sont Conan the Barbarian (1970) et Tomb
of Dracula (1972), qui vont connaître un succès durable.
Une vignette de l'histoire originale. |
Chez
DC, on émule encore plus franchement la formule de Gaines, fondée
sur le regroupement d'histoires courtes dans des revues
anthologiques. House of Mystery, apparue dans les années 50
est le concurrent direct des Tales from the Crypt et autres
Vault of Horror. House of Secrets, apparue un peu plus
tard, accueille dans son numéro de juillet 71 une histoire courte,
The Swamp Thing. Apparemment très populaire, ce récit de 8
planches va servir de base, à la demande des éditeurs, à une série
autonome. Egalement nommée Swamp Thing, elle transpose
l'action du XIXeme siècle à l' époque contemporaine et change
un peu les origines du personnages, pour ouvrir des pistes permettant
de développer une narration plus feuilletonesque. Ecrite par Lein
Wein et dessinée par le génial Bernie Wrightson, c'est cette série
qui va être adaptée 10 ans plus tard par Wes Craven.
D'un
certain point de vue, Craven est dans un position similaire à celle
des éditeurs du comics. Venant du milieu des films d'horreurs
indépendants à micro budget, il doit sa jeune gloire à des titres
d'exploitation réputés pour leur violence, La dernière maison
sur la gauche (1972) et La colline a des yeux (1977). Or
Craven, comme il le fera tout au long de sa carrière, veut changer
de registre, et redoute de se laisser enfermer dans l'étiquette de
horror director. S'il n'a pas le Comics Code à respecter,
c'est aussi à une forme d'auto-censure que doit se plier Craven en
acceptant le cahier des charges de Swamp Thing, qui lui permet aussi
de travailler avec un budget plus confortable qu'à l'accoutumée.
Le
film existe dans deux versions différentes, un montage européen et
un montage américain, différence qui donnèrent naissance à une
anecdote croustillante. Exploitant par erreur en DVD le montage
européen, la MGM (actuelle détentrice des droits) découvre la
boulette quand une mère de famille texane menace la firme qui a
corrompu la psyché de son cher petit. Craven aurait-il réservé aux
vieux monde les baquets de sang qu'il brûlait de déverser sur son
montage PG ? Voyons ! Ce sont bien sûr quelques poitrines
dénudées et rondeurs postérieures qui scandalisent la dame.
Mais
l'anecdote est révélatrice. Car en regardant cette version uncut,
il semble évident que ces quelques passages licencieux, concentrés
principalement en une séance d'orgie chez le grand méchant, sont
celles qui ont le plus mobilisé son interêt et auxquelles il
parvient à donner une petit goût de souffre. C'est ce que le film a
de plus relevé à proposer. Sinon, tout est d'une platitude
soporifique, du scénario à la photo, jusqu'au montage. Dans une
scène de poursuite nerveuse sur le papier, il faut quatre longs
plans à Craven pour faire faire demi-tour à la voiture qui poursuit
l'héroïne... Autant dire qu'on ne se fait pas trop de soucis pour
elle. Quand on sait que même au milieu de films aussi bancals que
Scream 2, Craven demeure capable de réaliser de purs moments
d'angoisse reposant sur un espace bien exploité, et une tension
jouant avec les règles les plus classiques du suspens (Est ce que ce
que je redoute va se produire et quand?), on ne peut être indulgent
avec la mise en image absolument consternante de ce Swamp Thing.
Quel qu’ai été son intérêt pour le projet au départ, il n'en
reste rien à l'écran.
Un extrait efficace de Scream 2, nous prouvant que si Craven en a encore sous la semelle, il peut aussi se trouver un gros poil dans la main.
Pourtant,
le film contient déjà tout entier ce qui permettra le triomphe,
vingt ans plus tard, du genre super-héroïque qui constitue
aujourd'hui la rente la plus sûre des studios, prêts à risquer
leur année sur l'un d'entre eux. L'un des instigateurs de SwampThing
est d'ailleurs Michael E. Uslan, alors trentenaire fou de BD, qui
rêve de porter Batman à l'écran. Il sera de toutes les
adaptations du personnage, à partir du film de Burton sept ans plus
tard. Et son idée n'est pas mauvaise : aller chercher un
réalisateur de films d'horreur pour un film qui est au fond un film
de monstre. C'est d'ailleurs un autre réalisateur du genre, Sam
Raimi, qui en réalisant Spider-Man fera entrer les films de
super-héros dans leur second âge d'or, à l'aube des années 2000,
et provoquera une vague de productions sans commune mesure avec ce
qui se passe au cours des années 80. Avec Raimi, précédé de
Norrington (Blade, 1998) et Singer (X-Men, 2000), les
studios trouvent enfin la formule, reconductible, de la transposition
des super-héros sur grand écran. Et a bien y regarder, Swamp
Thing, sous la houlette de Uslan est certainement une
expérimentation complètement ratée de ce qui fonctionnera
industriellement 20 ans plus tard, à savoir un nivellement de tout
ce qui peut heurter, en ne gardant de ce qui donne son identité à
la bande-dessinée d'origine que le minimum. SwampThing est au
départ une histoire de monstre évoquant par sa silhouette et sa
naissance la créature de Frankenstein, habitée d'un même désir de
vengeance, mêlée à un récit plus classique de savant-fou, et dans
le film de Craven plus que dans la bande-dessinée épicée d'une
très légère préoccupation écologique. Du film de monstre à la
Jame Whale il ne reste que quelques motifs, pauvres gimmicks
qui ne sont là que pour créer une identité à la « marque »
Swamp Thing. Le monstre manifeste donc ces sentiments par
quelques gestes naïfs : il offre une fleur, médite tristement
sur le médaillon le représentant avec sa sœur morte, et va
délivrer sa fiancée, à la fin, qui a été enchaînée, en
déshabillé blanc dans un donjon du bayou (!) Le maquillage, la
lumière, la mise en scène sont déterminés par cette volonté
d'aboutir à un produit sans aucune personnalité, pouvant convenir à
n'importe quel spectateur. Un art de l'insipide porté au plus haut
par les productions Marvel Studio ces dernières années.
Pourtant,
il y a avait quelque chose à réussir avec cette figure mi-humaine,
mi-végétale du Dr. Alec Holland. Les dessinateurs de la
bande-dessinée l'ont bien compris qui ont rivalisé d'imagination
pour jouer de l'identité du personnage avec son décor. Encore un
aspect qui désintéresse Craven au point de se contenter, non
seulement, d'un costume qui porte bien son nom, mais presque
sadiquement s'amuse à l'éclairer sous toutes les coutures. Les
cables et leurs mousquetons sont apparents dans TOUTES les scènes de
projection.
Si
sur les planches de Wrightson, la vie animale du bayou donne un sens
à la sensibilité écologiste du héros, elle est totalement absente
du film de Craven. Qu'il ait planté ses caméras en Louisianne et
n'ait même pas pris la peine de trouver le stock-shot d'alligator de
rigueur en dit long sur le laxisme du projet . D'ailleurs, le
film parvient même à paraître la moitié de son budget de 3
millions de dollars, ses décors se limitant à quelques cabanes, un
intérieur de salon, et une cave-donjon.
La créature autrement plus végétale sous les pinceaux de Bernie Wrightson. |
Pourtant,
deux accidents heureux entravent l'entreprise de nivellement
entreprise. Le premier c'est le choix d'Adrienne Barbeau, convaincue
par son mari de Carpenter de s'embarquer dans cette galère dont elle
ne voulait pas entendre parler. Pas fan de fantastique et d'horreur,
elle se laisse pourtant tenter, pensant logiquement, mais naïvement
tourner « quelque chose comme Superman II ». La
comédienne, au visage si particulier, à la plastique rebelle (pas
son truc le soutien gorge !) fait merveille ici comme ailleurs. Sans
se forcer, elle dégage une énergie quand il s'agit de résister aux
gros bras ( là, elle fait songer à Jennifer Jones) qui ne la fait
pas sombrer dans la caricature de la pépée à mitraillette
et n'empêche pas l'expression d'un ironie et d'une tendresse qui
semblent toutes naturelles. Elle croise dans le film Reggie Batts, un
jeune noir dont il semble que ce soit le seul rôle, qui est une
trouvaille incroyable. Sa voix, son débit de parole particulier, son
air mi-canaille, mi-ahuri nous rappellent que le cinéma, c'est aussi
parfois, être l'heureux témoin d'une cinégénie accidentelle qui
crève l'écran et laisse un souvenir indélébile.
Inoubliable Reggie Batts |
Swamp
Thing se termine par un hommage direct aux films de monstres :
la créature des marais combat un autre mutant, pour défendre sa
belle, réduite pour l'occasion au rôle de la demoiselle en
détresse. D'une certaine façon, l'entreprise de Craven, qui ne fait
pas d'étincelles au box-office réussit parfaitement : une
série télé (aboutissement logique de l'esthétique mise en place)
de presque 100 épisodes dérivera du film, qui connaîtra une suite.
Y sera gommé le seul élément un peu étonnant : la présence
d'Adrienne Barbeau, remplacée par Eather Locklear (Dynastie,
Hooker, Matt Houston... ouf!). Nous aurons également droit à
une série animée, qui permettra de vendre quelques jouets Swamp
Thing.
Matthias
évoquait l'entreprise de dilution du discours de Romero dans
Creepshow. Craven écrit aussi, avec ce Swamp Thing
plus que mineur, une page de cette histoire là. Exemplaire de cette
tendance, l'année 82 verra aussi Tobe Hooper aux prises avec son
image dans Poltergeist. Romero, Craven, Hooper vont tous,
cette année, d'un manière ou d'une autre devoir brader l'héritage
de leurs années 70.
Quand
à SwampThing, il faut absolument en lire les aventures de
papier. Car dans la foulée de la préparation du film, les
responsables de DC décident de ressusciter le titre disparu en 76.
Rebaptisé Saga of the Swamp Thing le titre vivote gentiment
jusqu'à ce qu'y soit lâché un jeune Alan Moore, prié d'y faire
des étincelles. Il y fera des miracles. Sa série, débutant après
avoir fait table rase de l'héritage de son prédécesseur débute
par une magistrale Leçon d'anatomie. Si Swamp Thing
appartient à la toute petite histoire du cinéma fantastique, il
entre avec ce numéro 21 dans l'histoire de la très grande
bande-dessinée.
Une suite ? mieux, un retour. Mon Dieu, pardonnez-leur... |
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