mardi 6 octobre 2015

6/31 Spirit of Wonder: Scientific boy's club, Takashi Anno, 2001, Japon. Partie 2, de 0h05'55" à 0h6'01"









Trois pieds chaussés de bottes de cosmonautes se posent de concert sur le sol martien, dans une envolée de poussière.

               Avec Spirit of Wonder, cycle de bande-dessinées, puis de films d'animation l'uchronie trouve une jolie illustration. Exercice fort peu pratiqué au cinéma, on peut regarder le plan du jour comme un manifeste du genre.

                Le plan imaginé par Takashi Anno pour figurer le débarquement des premiers hommes sur la Mars est une reprise évidente de la célèbre image du pied d'Armstrong laissant l'empreinte de sa semelle sur le sol lunaire. Mais l'uchronie, ici, est signifiée élégamment par une double variation. Ce n'est plus un seul, mais trois hommes qui font leur premier pas hors de la navette, et ce n'est plus sur la lune, mais sur le sol martien que se produit l'exploit. Ce que ce plan ne nous montre pas, mais dont la révélation constitue la chute du film, c'est que le voyage sur Mars date de 1958, c'est donc bien une histoire de l'aérospatiale alternative que nos propose l'anime.

                Qui sont donc ses trois astronautes ? un trio d'amis, et on ne peut l'imaginer à la seule vision de ce plan, un trio dont tous les membres ont dépassé la soixantaine. C'est que le projet de l'expédition sur Mars est surtout le prétexte à nous présenter l'histoire d'amitié qui aura lié ces savants du dimanche pendant plus de 50 ans. C'est en fait le véritable sens de ce triple premier pas. Si les trois scientifiques s'avancent de concert, c'est que tous souhaitent à chacun de pouvoir se savoir le premier promeneur sur sol vierge de Mars. De l'uchronie, on bascule presque dans l'utopie ! D'autant plus que ce voyage, effectué par pur plaisir, demeurera secret, ses protagonistes n'ayant rien cherché d'autre que l'accomplissement de leur rêve d'enfance. C'est peut-être là aussi, dans ce geste en apparence trivial et gamin, que les trois vieux fous révèlent leur grand sagesse. Sans verser dans un regard trop stéréotypé, permettons-nous tout de même de voir dans ces figures de vieillards masquant une sagesse authentique sous la puérilité, quelque chose de typique du folklore japonais.

                Auparavant, comme des gosses, les trois vieux se seront tout de même copieusement disputés, avant d'être ramenés à la raison par Windy, la fille d'un des inventeurs, qui s'agace de leurs chamailleries et les rappelle à l'ordre comme une maîtresse d'école. "Evidemment, il faut le faire tous ensemble", leur lance-t-elle, exaspérée de devoir formuler une évidence qu'ils sont les seuls à ne pas voir.

                En faisant de Mars l'objectif du premier vol habité hors de la périphérie terrestre, les auteurs replacent leur récit dans une tradition de l'imaginaire renvoyant à la science-fiction du début du siècle. Logique, dès lors, que le voyage se fasse en planant sur les courants de l'Ether, à bord d'un vaisseau relevant plus du dirigeable steampunk  que du traditionnel obus longiligne. Et c'est un globe martien dessiné selon les cartographies caduques de Percival Lowell qui tient lieu tout à la fois d'inspiration et de talisman de bonne fortune. C'est tout cet héritage aujourd'hui relégué au rang des théories invalidées, mais dont l'influence sur l'imaginaire perdure,  qu'Anno parvient à inclure, astucieusement, dans son projet global. Car le voyage martien fait partie d'une chronologie uchronique ne contredisant pas totalement l'histoire de la conquête spatiale telle que nous la connaissons. Si le plan sur lequel je m'attarde aujourd'hui fait immédiatement penser au véritable alunissage vu par des millions de personnes, il n'est, lui, connu que de ses seuls protagonistes. L'existence d'un récit cadre à l'intérieur duquel se déroule l'aventure martienne dépend d'ailleurs de ce secret, puisque le film débute par une discussion entre quelques savants, devant un amphithéâtre impatient de découvrir sous peu, ce que tout le monde pense être les premières images de la surface martienne prises par les sondes de la mission Viking. La présence parmi les interlocuteurs de Carl Sagan en personne produit un "effet de réel" qui par contraste, rend d'autant plus improbable l'aventure dont nous avons été les complices. Le "Spirit of Wonder" (c'est le nom de la navette) semble n'avoir été porté que par l'énergie du rêve.

                Il y a en effet beaucoup de magie dans Spirit of Wonder, qui fait bien peu de cas de la rigueur scientifique ou de la plausibilité du projet du club. Quand un problème semble se mettre en travers de la route vers Mars, c'est toujours Windy qui le résous, de la dispute précédant le plan cité aux théories permettant le déplacement dans l'espace qu'elle est la seule, en fait, à comprendre, et dont même, elle est à l'origine- le savant génial c'est elle ! Inversion des générations malicieuse, relayée par un humour particulièrement grivois: les savants sont tous irrécupérablement portés sur la boisson et l'un d'eux est un obsédé incapable de s'empêcher de soulever les jupes des serveuses, même si les conséquences sont toujours aussi douloureuses que cuisantes !

                Replacé dans son contexte, la solennité du geste du trio lorsqu'il pose les pieds sur la planète rouge cède la place à la complicité malicieuse d'une brochette habituée à surtout se serrer les coudes pour ne pas dégringoler, ivres morts, dans le ravin. Difficile de ne pas songer, devant les mésaventures de ces pieds nickelés, au quatuor de Space Cowboys emmenés dans l'espace par Clint Eastwood, sinon que chez Anno il n'y a ni désir de revanche, ni tragédie, ni quoi que ce soit à se prouver. Seulement la fidélité, intacte, à un rêve d'enfant et à un pacte d'amitié cinquantenaire.

                A peine débarqué sur la planète rouge, sans le moindre triomphalisme, les gaillards se laissent aller à la contemplation, imperméables à la portée de leur geste, et simplement content de la vue. Et quand, des années plus tard, l' aréopage de scientifiques plus authentiques découvre les premières images en provenance de Mars, ils n'en reviennent pas de voir s'afficher à l'écran non pas un désert rouge et vierge, mais le petit drapeau du Scientific boy's club (le club des garçons scientifiques), étendard jamais changé sous lequel se réunissaient le trio de sexagénaires alors enfants. Belle coda que ce témoignage d'amitié à la fois dérisoire et superbe d'une conquête de l'espace faîtes non pas au nom d'une nation, mais d'un club liés par les seuls affinités de trois excentriques contents de s'être trouvés. La paix des étoiles, en quelque sorte.

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