lundi 26 octobre 2015

26/31 : Sunshine, Dany Boyle, Royaume-Uni, 2007. De 1h18’17’’ à 1h18’22’’




            L'un des derniers survivants de la mission Icarus II, Capa, engoncé dans son scaphandre spatial, n'a que quelques minutes pour quitter son vaisseau spatial et se hisser à bord de la fusée qui doit rejoindre la surface du Soleil. Au moment de franchir le sas, il trébuche et telle une tortue retournée sur le dos, ne parvient pas à se relever. La panique l'envahit. 


            La voix, grave et cérémonieuse, qui résonne lors de l'ouverture de Sunshine pour nous raconter la situation désespérée de cette mission de sauvetage de notre Soleil moribond - tout au moins du point de vue de notre bonne vieille Terre - se présente comme celle de Robert Capa, rien de moins. Bien sûr, il s'agit d'un homonyme, mais tout de même, ouvrir son film par le petit laïus d'un personnage qui porte le nom du photographe pour lequel "si la photo n'est pas bonne, c'est que vous n'êtes pas assez près de l'évènement", voilà qui devrait situer le projet : de l'immersion,  et rien que cela, jusqu'au cœur du soleil ! L'autre nom mentionné dans cette brève ouverture parlée, est celui du vaisseau spatial lui-même, l'Icarus II, dont il va très vite apparaître qu'il résume programme même du film : celui d'un échec, dans les grandes largeurs, lorsque l'on pensait atteindre les étoiles. 

            Une chute, mais vue et vécue depuis son cœur, c'est ainsi que va se révéler ce Sunshine dès ses premiers instants, et le moindre que l'on puisse dire, c'est que Dany Boyle, en garnement propret qu'il est depuis ses débuts, va déployer ce programme avec une jubilation pourtant toute nihiliste. On avait déjà croisé le couple Dany Boyle derrière la caméra / Cyllian Murphy devant, dans le très remarqué 28 jours plus tard, petit film à la grammaire déjà fortement immersive - tourné en vidéo HD et décors "naturels" - qui avait participé largement, avec le remake du film de Romero par Zack Snyder, à la renaissance du genre dit du "film de zombies", dont les développements ne sont toujours pas parvenus à leur terme près de vingt ans plus tard. Peut-être y avait-il dans cet étrange projet de Space Opera vaguement hard SF le secret souhait dix ans plus tard, de renouveler un genre une seconde fois - ambition dont ce nom de vaisseau spatial, Icarus II, reflèterait assez bien, et au corps défendant de Boyle on s'en doute, la grande vanité...

            Probablement le film est-il pourtant plus ajusté à son projet que ne le laisse penser cet avant-propos un peu ironique. Boyle sait fabriquer des images, fortes, inquiétantes, et paradoxalement très "familières", ce qui participe du registre quotidien par lequel il prétend nous immerger dans une situation extraordinaire. Avec des moyens plastiques qui n'hésitent jamais à surjouer le drame, il sait nous émouvoir, et comme nous surprendre à s'émouvoir. Il y a quelque chose de roublard dans son cinéma, c'est certain, mais d'une roublardise assumée, qui revendique sa tradition foraine, et qui renvoie au spectateur sa propre difficulté, désormais qu'il a tout vu, à parvenir à s'émouvoir. D'une certaine manière, Boyle rejoue là le principe même du cinéma : avec ses moyens dont on pourrait penser qu'ils n'auront jamais la capacité d'autres médiums, et notamment de la littérature en l'occurrence, il ne faut jamais reculer devant l'excès et l'emphase. Le cinéma est l'art de la fanfaronnade, assumons-le. Vous souhaitiez une expédition sur une planète exotique, Boyle vous offre un voyage jusque sur notre Soleil, vous imaginiez un vaisseau intersidéral, Boyle vous en propose deux pour le prix d'un, vous méditiez devant les espaces infinis et leurs abîmes indescriptibles, Boyle convoque Dieu, le Dernier Homme, Alien et une méga-bombe atomique dans la même séquence, rien de moins !

            Le traitement du son, s'il est tout à fait soigné, relève de ce même régime, très casual : toujours plus, mais sans en avoir l'air. Le double choix de John Murphy, déjà associé à Boyle pour 28 jours plus tard, et d'Underworld permet d'habiller le film de deux bandes originales, à la fois lyrique, voire exaltée, pour la première, et électronique et minimaliste pour la seconde. Ainsi tous en auront-ils pour leur argent. Sunshine, à l'instar de la plupart des films de Boyle, apparaît ainsi comme une œuvre qui a la capacité, paradoxale pourtant, de réunir à peu près tous les spectateurs. Chacun trouvera dans la musique, dans les différents motifs plastiques, les personnages et/ou les comédiens (voir par exemple la distribution très "World-movie" du film), les morceaux de bravoure (et il y en a un certain nombre !), les ressorts dramatiques, etc., ce qui lui conviendra et lui permettra de faire l'impasse sur le reste. De belles musiques, de beaux décors, un scénario à tiroirs, de quoi le cinéma, soleil déclinant, aurait-il besoin d'autre pour parvenir à nous émouvoir, nous autres spectateurs insensibilisés par tant de kilomètres de pellicules ? 

            Notre petit exercice du mois a ceci d'assez cruel que le choix d'un plan s'impose quelquefois de manière évidente à la vision d'un film. Parfois, et c'est le cas pour ce Sushine que j'estime pourtant tout à fait depuis que je l'ai découvert un peu par hasard et avec grand plaisir lors de sa sortie en salles, il est très difficile de "choisir" un plan, c'est-à-dire de le discriminer. Aucun ne s'impose comme tel, soit qu'il puisse porter quelque chose d'essentiel du film, voulu ou non par son auteur par ailleurs, soir qu'il incarne à un moment donné dans une histoire un peu secrète de ce cinéma que l'on aime quelque chose qu'il nous semble important de souligner. Avec Sunshine, tout se passe comme si tout avait déjà été dit, et que décidément tout se valait complètement, les plans entre eux comme le reste. C'est pourquoi c'est plutôt à partir de la bande-son du film que j'ai cette fois effectué mon choix : à partir des morceaux de Murphy, pourrait-on dire pour s'amuser, de John pour le son et Cyllian pour l'image. Ce titre "Adagio in D minor", qu'accompagne l'image plutôt que l'inverse, lyrique et néanmoins sirupeux, correspond tout à fait à l'esthétique sérieuse et pourtant de pacotille du film. Nous ne sommes certes pas ici dans Star Crash, mais tout de même, il y a comme un "abattement" artistique, sentiment peut-être inverse d'ailleurs à ce qui motivait l'italien, qui empêche Boyle d'envisager toute forme nouvelle dans son récit. Tout se passe comme si à l'instar de l'enchaînement des catastrophes qui motive le récit du film, toutes les figures obligées du genre devaient y passer, et s'évanouir dans leur propre vanité. Trop sérieux pour être pris au sérieux, voici ce que pourrait être l'adage de ce cinéma, dont son auteur, à l'image de cet astronaute comme emprisonné dans le scaphandre qui lui permet pourtant de se mouvoir dans le vide sidéral, s'empêche, par sa fascination pour les formes du genre, d'en inventer de nouvelles, se contentant de les célébrer par l'adagio habituellement réservé aux mourants.         

            Alors, certes, ce saut de l'ange, à la surface du soleil, dont le cauchemar est racontée dans la partition même de Murphy par la voix de Rose Byrne, a tout de la prise de conscience de l'aporie dont Boyle semble vouloir constituer son projet formel. Un Icare qui n'ignorerait pas son destin, mais dont la beauté serait de tout de même vouloir tenter l'aventure. Quelque chose d'assez authentiquement romantique finalement, et qui tranche avec la réalité de ce cinéma - et son succès éventuel - à la grammaire foncièrement "survivaliste" et paranoïaque. Peut-être Boyle s'est-il rendu compte qu'à vouloir trop toucher le Soleil, il n'est parvenu qu'à nous enfermer dans la tête de Robert Capa, et qu'on n'a pu y trouver que sang et larmes, vulgaires fluides corporels...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire