mardi 27 octobre 2015

27/31: Flash Gordon Conquers the Universe: chapter 2 Freezing Torture, de Forde Beebe et Ray Taylor, 1940, U.S.A- de 54" à 1'33"




Un résumé de l'épisode précédent défile sur l'écran avant que ne commence la suite des aventures de Flash Gordon.



"Au commencement était Flash Gordon"- s'il était une bible du Space Opera, sa Genèse s'ouvrirait par cette phrase. Car en ce qui concerne le cinéma, c'est avec l'aventurier spatial d'Alex Raymond que le genre se constitue à l'écran.

Evidemment, comme tout texte saint, il y a là un arrangement après coup avec la vérité, une nécessaire reconstruction apocryphe. Impossible de découvrir Flash Gordon, aujourd'hui, sans l'éclairage rétrospectif de Star Wars, dont George Lucas a toujours dit qu'il était avant tout inspiré par le serial Universal. C'est donc à travers le prisme de La guerre des étoiles que nous observerons le plan retenu aujourd'hui.

Par l'influence revendiquée qu'il a eu sur l'objet le plus important de la pop-culture du XXème siècle, Flash Gordon se retrouve sacré père fondateur du Space Opera cinématographique. Son ancienneté indiscutable en fait un ancêtre, et brossée à grands traits, l'histoire de la culture populaire peut s'arranger d'en faire un pionnier, mais il n'est pas tout à fait exact d'en faire l'origine absolue du genre. 


D'abord parce que le serial qui aura le plus d'influence sur Lucas est le troisième et dernier de ceux consacrés à Flash Gordon, Flash Gordon conquers the universe, et que datant de 1940 il est un produit non pas des débuts du serial mais de son âge d'or. Universal décidera d'ailleurs d'arrêter les frais ensuite, et cessera pratiquement la production non seulement de son coûteux Flash Gordon mais pratiquement de tout autre serial.


Ensuite et surtout, avant ce troisième Flash, et avec la même vedette, "Buster" Crabbe, il y a eu Buck Rogers autre space opera adoptant une perspective plus matérialiste, moins ouvertement débridée, et moins axée sur le merveilleux.

Le plan choisit aujourd'hui provient du second épisode de Flash Gordon conquers the universe, il est pour nous, même si c'est un anachronisme, un rappel des plans d'ouverture des Star Wars cinématographiques- images signatures de la saga. S'il y a 35 ans, le souvenir du serial n'était vivace que dans la mémoire des amateurs de l'âge de Lucas, la croissance de l'édition de DVD, et le développement d'une vidéographie patrimoniale dépassant très largement ce qui a pu être fait dans ce domaine sur les supports précédents, l'accès aux plus célèbres représentants du genre est désormais facile, jusqu'en France, malgré une diffusion jusqu'alors inexistante comparée aux Etats-Unis.


Voilà donc qu'il apparaît désormais à la génération entrée en SF au cinéma avec la Guerre des Etoiles, qu'un des symboles les plus forts de l'imaginaire original de Lucas- aucun autre film, de près ou de loin ne commençait comme un Star Wars- est en fait une citation directe, fanfare musicale incluse , d'un space-opera antérieur de 37 ans.

Faire, même brièvement, une généalogie des formes, s'efforcer de rendre à César ce qui lui appartient, change-t-il l'histoire du cinéma ? George Lucas n'est-il pas le visionnaire (même brièvement...) que l'on croyait ? N'a-t-il fait qu'usurper l'art d'inspirateurs oubliés et vampiriser l'inventivité des autres ?




Pour commencer à répondre on pourra essayer de donner voix à ces créateurs spoliés. Absent des deux serials précédents, Flash Gordon et Flash Gordon's trip to Mars, le générique déroulant qui ouvre chaque épisode de la troisième série a en fait été repris au Buck Rogers de l'année précédente ! les deux serial se partagent d'ailleurs un des réalisateurs, Ford Beebe.


Mais rappelons-nous: en matière de genre et de culture populaire, le succès d'une œuvre ne repose pas tant sur son originalité que sur l'adéquation entre la valeur intrinsèque de ses citations et l'envie du cercle des amateurs- fut-il très large- d'en être les spectateurs. Ne pas puiser dans le répertoire des formes, vouloir tout réinventer c'est se couper du genre. 

Tenter une œuvre inédite, peut-être, mais qui restera orpheline et condamnée à demeurer à l'état de prototype. 

Tout emprunter ailleurs, et assembler à partir de morceaux pris chez les autres c'est se vouer à coup sûr, dans la mémoire des cinéphiles, au mépris que méritent les plagiaires.  Pour le commun des spectateurs, c'est ne procurer que le plaisir fugace que donnent les œuvres d'exploitation.


Revenons au plan. Le texte nous apprends l'identité de l'ennemi de Flash Gordon. Il s'agit de l'Empereur Ming- son seul nom signe son appartenance à la tradition des méchants "jaunes" incarnant à l'écran le péril asiatique, grande angoisse d'une Amérique qui n'a pas encore combattu les nazis, et qui, surtout ne s'est pas fracassée sur le bloc soviétique par vietnamiens interposés. Mais cette Asie, pour George Lucas est sujet de fascination, d'où viendront, certes, le costume d'un méchant suprême, Dark Vador, mais surtout ceux des Jedi, incarnations de la vertu absolue. 


Flash Gordon, même s'il propose des formes suffisamment modernes pour inspirer un créateur vingt ans plus tard, reste prisonnier de son temps. George Lucas, quand il y ajoute son goût pour le cinéma asiatique, et mille autres ingrédients exotiques pour l'américain moyen d'alors, révèle une sensibilité et un appétit esthétique ignorant les frontières, les époques, ou les valeurs culturelles. C'est sans doute là qu'au delà des emprunts, on peut reconnaître l'âme d'un authentique artiste.


Le générique déroulant de Flash Gordon et Buck Rogers, jolie trouvaille graphique, trouve sa raison d'être dans l'économie à laquelle il est nécessaire- celle du serial.

Destiné à un jeune public, il est constitué de 10 à 15 épisodes, formant un récit avoisinant facilement les 5 heures. Il s'agit donc de produire une fiction très longue à bas coût si l'on souhaite une rentabilité maximale. Il faut aussi s'assurer la fidélité du public, puisque le rythme de projection des épisodes est hebdomadaire. D'où l'invention du cliffhanger, formule narrative consistant à terminer un épisode en mettant les héros dans une situation à priori désespérée, en espérant que les spectateurs vont se précipiter la semaine suivante dans leur cinéma pour découvrir comment les personnages ont trompé la mort. Néanmoins, on ne peut se couper de nouveaux spectateurs potentiels. 


Comment leur faire prendre le train en marche ? Un résumé en début d'épisode semble donc indispensable. Le constituer d'images des épisodes précédents est possible, mais la tâche devient de plus en plus ardue à mesure qu'on progresse.  Et d'autre part, le début de chaque épisode est déjà une sorte de résumé en images, puisqu'il reprend toujours la fin du précédent, intercalant parfois des plans inexistant la première fois, pour résoudre en douce le cliffhanger.


Le texte semble donc la meilleure solution. Reste à lui trouver une forme majestueuse- ici il suffit à Flash de l'emprunter au collègue Buck.

Mais lorsque Lucas emprunte à sont tour le générique déroulant, ce n'est plus par contrainte en un geste d'économie. 


C'est avec nostalgie, en un geste poétique. Car La guerre des étoiles, première du nom, n'a évidemment pas besoin de résumé, puisque rien ne l'a précédée. En ayant recours à un procédé superflu, Lucas agit en artiste. Et il abolit les limites d'un univers dont on n'a pourtant encore rien vu. 

La magie de Star Wars réside entièrement dans ce qu'on ne voit pas. Passé le générique, rien de ce qui apparaîtra à l'écran ne pourra épuiser l'élan formidable donné à notre imagination par ces  quelques minutes de texte défilant volé à un serial des années 30.

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