jeudi 22 décembre 2011

49- La déesse des sables (Vengeance of She), Cliff Owen, Grande-Bretagne, 1968


Toujours Blonde, toujours belle, toujours divine, Elle revient. Elle revient ? La Déesse des Sables est la suite de She- La déesse du feu- film mettant en scène Ursula Andress dans le rôle titre d'Ayesha, film qui, contrairement à sa suite, n'est pas édité sur notre territoire.

Vous imaginez bien que l'histoire n'est pas d'une complexité rendant impossible la compréhension de ce deuxième épisode si l'on n'a pas vu le premier, mais il y a tout de même une partie des ressorts narratifs qui ne fonctionnent pas si l'on ignorent tout des événements ayant précédé.

La belle blonde, Olinka Berova, s'offre au film comme une page blanche : elle n'a ni mémoire ni but, sinon de fuir les terribles migraines qui l'assaillent parfois.
Ce personnage, réduit a une pure présence physique, est le centre des plus belles séquences du film, situées au début.

Alors que l'on attends un démarrage nous plaçant directement dans un récit d'aventures couleurs années 30, c'est à contrario dans un cadre contemporain et banal que s'ouvre le film : une jeune femme marche le long d'une route sinueuse, à flanc de montagne. Il fait chaud, nous pourrions être sur la côte d'Azur, en Italie, ou quelque part ailleurs sur la côte adriatique. Mais parfois filmée de très loin et de très haut, avec des raccords isolant les jambes, ou le buste de la marcheuse, la scène a quelque chose d'étrange, comme si c'était un tireur embusqué et fétichiste qui l'observait. Le décalage est renforcé par la tenue particulièrement inappropriée de la jeune femme : talons hauts et fourrure ! Sans effet sonore (sinon, intermittent, le son de ses pas sur le bitume) et sans dialogue le générique,puis le prologue, se poursuivent, rythmés par la très belle chanson de Mario Nascimbene, très inspiré dans un registre à la fois jazz/pop typique de l'époque et mélancolique.

Un auto stoppeur, monstrueux, propose à l'inconnue de la faire monter. Selon la logique propre au seules héroïnes, elle grimpe, en souriant. Inévitablement, le prédateur va tenter de la faire boire, puis d'abuser d'elle. Une force mystérieuse déclenchera le frein du véhicule dont le violeur est sorti, et le camion l'écrasera. Muette, ponctuée seulement par les grognements de l'homme, les gémissements de la femme, et la musique à contre-emploi, la scène a une vraie force dépouillée, et ne dépareillerait pas chez une cinéaste comme Catherine Breillat.

Plus tard, On apprendra que la jeune femme s'appelle Carol, mais que c'est tout ce dont elle se souvient. Carol, se cachant sur un bateau, est recueillie par un équipage de quarantenaires fétards, beaux personnages entre deux âges, un peu fatigués, un peu louches, mais sincèrement ému par la jeune femme.
J'ai trouvé une grande beauté à ces scènes, quelque chose du parfum que j'imagine de l'époque y est poétiquement traduit : cette jeune femme, Carol, qui n'est qu'un prénom et une silhouette, littéralement perdue au milieu d'une fête, ne sachant ni ce qu'elle veut, ni ce qu'elle doit faire, poussée par la seule necessité d'échapper à quelque chose- une angoisse physique- indéfinissable. Beau portrait de ces jeunes femmes des sixties qu'on imagine cherchant la fête du soir, et surtout, à ne pas penser à demain.

Bien sûr, les mystères se dissipent, et le film va bientôt se résoudre à accomplir son programme d'exotisme, de périls, de temples perdus. Mais au bon moment, le réalisateur sait changer brusquement de registre, et enquille les scènes attendues avec un savoir faire solide, allant même jusqu'au psychédélique : des soldats romains entourés de prêtres en costume pseudo égyptien, des prophéties cosmiques dépendant de la configuration stellaire (la bonne étant toujours attendue pour l'avant dernière bobine ), un mage hypnotisant par la seule force de son regard et des effets sonores, des destructions de maquettes... l'amateur de série BD exotique sera ravi. Killikrates, l'amant prédestiné du premier film, est persuadé que Carol est la réincarnation d'Ayesha, « She », la déesse de feu, et la fait venir à lui pour l'épouser et lui permettre de régner à nouveau sur son royaume.

Mais même dans cette seconde partie, demeurent de beaux moments dépassant le programme : cette belle scène durant laquelle Carol se regarde longuement dans le miroir, au sortir du bain, et corrige sa coiffure ou le mariage avec Killikrates, auquel, tout le monde le lui assure, tout la destine, mais que seule l'hypnose du prêtre, finalement, peut la contraindre à accepter. Il y a la un prolongement tout limpide aux angoisses de la jeune femme perdue qu'on a vue au début du film. Et on peut voir la fin du film, ce monde perdu dont Carol serait la déesse réincarnée Ayesha, comme une image dorée du foyer-prison auquel on destine les jeunes femmes, et dont l'acceptation est la seule condition pour tolérer les débordements adolescents. Il est beau que les images accordent l'histoire aux aspirations de l'héroïne : le contemporain pour la liberté et l'indépendance, le décorum antique pour la résignation et le conformisme social.

La déesse des sables est un beau film, à la beauté surprenante, bien plus intéressant que La déesse de feu, il bénéficie grandement d'une musique magnifique, participant largement à la narration du film. Sans dire qu'il s'agit d'un chef d'oeuvre caché, on saura le reconnaître à sa juste valeur, dépassant joliment le simple cadre du film d'aventures exotiques, pour peindre en creux un portrait de femme touchant.

 P.S :  Le générique de début, et quelques extraits du film.

mercredi 21 décembre 2011

48- Dracula, Prince des Ténèbres (Dracula, Prince of Darkness), Terence Fisher, Grande-Bretagne,1966


C'est sans enthousiasme, sans doute, que Terence Fisher aborde le tournage de Dracula Prince des Ténèbres. Il vient d'essuyer deux échecs, avec les sorties de son adaption du fantôme de l'opéra, et The gorgon. Revenir à un Dracula avec Christopher Lee dans le rôle du comte, doit sans doute permettre de rentabiliser l'investissement du film avant même la mise en boîte de la première bobine, et de se rassurer sur l'efficacité de la machine Hammer/Fisher.

La rédaction du scénario impose de s'éloigner du roman de Stoker, puisque même si de nombreux éléments ont été mis de côté dans Le cauchemar de Dracula, et pourraient servir de réserve, le comte est réduit en cendres, elles- même dispersées aux quatre vents à l'issue de ce film, la résurrection du Prince des vampires devient donc le premier souci des scénaristes.

Réduit en cendres ? Qu'à cela ne tienne, c'est à partir d'elles que le vampire sera reconstitué. Et plutôt que de contourner la difficulté, le film de Fisher s'ouvre sur un montage des dernières images du film précédent mettant en scène le comte. Avant de rejoindre à nouveau ce récit initial, le film s'ouvre par une longue digression nous présentant les nouveaux personnages véhicules du récit. Il s'agit de deux couples de touristes, non pas un groupe d'ados imprudents, californiens et lubriques comme l'impose le canon contemporain, mais quatre anglais entre deux âges, en goguette dans les Carpathes, qui loin d'avoir le vice dans la peau, tiennent leur raison comme seul gouvernail de leur itinéraire, et se moquent bien des mises en garde les invitant à éviter de faire étape dans le château ayant appartenu aux Dracula.

Totalement inintéressants sur le papier, ces personnages ne bénéficient pas d'un supplément d'âme grâce à l'inspiration de comédiens solides. C'est le minimum syndical qui est assuré, et la première partie du film, voyant nos quatre marcheurs errer est particulièrement soporifique, Fisher se montrant particulièrement littéral dans l'exécution des scènes. On notera simplement un des rares emprunts au livre de Stoker : comme dans le roman, c'est une diligence noire- ici sans cocher- qui mène contre leur gré les héros au château du conte.

Et c'est lorsque l'action se concentre dans ce lieu que la routine cède la place à l'inspiration, grâce à un personnage extraordinaire : Klove, le majordome de Dracula.

Celui-ci, hiératique, accueille le groupe de promeneurs égarés- c'est lui, qui a organisé les modalités de leur errances- il leur sert un solide repas, et suivant toutes les règles de l'hospitalité, les invite à passer la nuit dans des chambres prêtes à les accueillir. A l'occasion de la balade nocturne d'un des invités, sans doute en proie à l'insomnie (non, en fait, il veut élucider les mystères entourant le château du comte ), il ressuscitera son maître, en arrosant ses cendres du sang du malheureux noctambule, suspendu à un croc de boucher au dessus du tombeau ouvert du comte !

Cette scène- d'une violence vraiment choquante (nous sommes en 66, deux ans avant la Nuit des morts-vivants)- préfigure on seulement les abattages de massacre à la tronçonneuse, mais aussi ces tueurs dépassionnés, mécaniques, qui moissonneront toute une génération de teenagers et de jeune femmes dans les années 70. Fisher, pour ceux qui en douteraient encore, montre ici une facette moderne auquel il est rarement associé. Klove agit avec détachement, et assomme, accroche puis égorge sa victime, on le devine, comme il a préparé le repas et les chambres : il remplit son office, se montre à la hauteur de la tâche qui lui incombe, ni plus ni moins. Il regarde de la même façon le corps et la poignée de la poulie qui va le hisser au dessus du cercueil. Les motivations de Klove demeurent informulées, et on est ramené à la lecture stricte des images de Fisher : se référant au comte comme « son maître », énonçant sans un sourcillement que celui ci est mort, Klove accomplit certainement le protocole requis par son maître au cas où il faudrait procéder à sa resurrection. Klove est un employé de l'exécution, un serviteur zélé, d'autant plus fascinant qu'il pourrait à tout moment, sans le moindre effort, sans avoir à recourir à la plus infime violence, renoncer à la tâche qui lui incombe.

La mise en scène de la séquence est remarquable. En une série de plans longs, Fisher nous montre klove à l'oeuvre, soulignant les aspects purement techniques du meurtre : Klove, à deux ou trois reprise, s'assure de la bonne place de chaque élément du dispositif. Des raccords impeccables insistent sur le déroulement de l'opération en effaçant la moindre ellipse. Choix culminant dans la résurrection, en un plan unique et fixe, magnifique, constitué de surimpressions successives. On pense ici à la métamorphose en un plan, tout aussi poétique et fascinante par son évidence apparente, des Vampires de Freda et Bava.

Le reste du film, s'il n'est pas à la hauteur, demeure un bon Dracula, et tout ce que le spectateur attends s'y trouve. Van Helsing est remplacé par un prêtre à la fois rondouillard de la panse et carré de la pensée. Originalité feuilletonesque : c'est la sensibilité des vampires à l'eau vive qui est ici exploitée, le comte se noyant dans l'eau entourant son château.
Le film est également connu pour la performance entièrement muette de Christopher Lee. Cela créer un effet assez fascinant- et augmente encore le statisme du vampire, particulièrement hiératique cette fois.

Seul film de la série cadré en cinémascope, le format permet à Fisher quelques très belles compositions : je pense à cette scène montrant le vampire s'approcher lentement d'une de ces victimes et relever sa cape d'un bras, le noir envahissant toute la largeur de l'écran. Une image devenue archétypale du prédateur nocturne, et reprise par exemple telle quelle par Chritopher Nolan (lui aussi anglais...) lors de la première sortie du justicier de Gotham dans Batman Begins.

Film très inégal, Dracula Prince des ténèbres témoigne tout de même du talent d'un Terence Fisher encore capable de belles étincelles, et de remarquables intuitions de mise en scène.



mercredi 14 décembre 2011

47- Le peuple des abîmes (The lost continent), Michael Carreras, Grande Bretagne, 1968



Quelques photos de plateau, quelques lobby cards, la spectaculaire explosion d'un magnifique décor de galion vu et revue dans les publi-reportages de la Hammer, il n'en faut pas plus pour donner envie d'aller à la rencontre ce peuple des abîmes. Hélas ! C'est tout ce qu'on obtiendra de mieux : de belles promesses. Car le film est vraiment un navet digne d'une médaille au salon de l'agriculture. Trois choses m'ont tout de même poussé au bout de cet interminable film : la construction classique et efficace, la conscience professionnelle, et la perspective de découvrir, animée et non pas en photo, la merveilleuse poitrine de Dana Gillespie. Soyons positifs, ne retenons que ces points, et examinons les en détail.

Si les affaires se gâtent vite, on ne peut nier que Le peuple des abîmes bénéficie d'une intriguante entrée en matière. Un long travelling latéral nous montre un galion, nous montons sur le pont, puis un groupe de personnages fait son entrée dans le champs. Il procède à un cérémonie funéraire, comme on en voit dans beaucoup de films maritimes : une planche sur laquelle est posé le cercueil est basculée pour rendre le corps à la mer. Mais ces personnages sont habillés de vêtements contemporains. Le mouvement de caméra continue et on découvre une foule de spectateurs hétéroclites : certains sont habillés en conquistadors, d'autres portent des vêtements rapiécés qu'on associera à l'habit de l'aventurier de film d'aventure médièvales standart. Les lumières, la texture du décor, tout baigne dans un crépuscule orange, achèvent de donner un cachet onirique à l'ensemble. Le plan coupe, et bien sûr on remonte le fil du récit pour découvrir comment tout le monde s'est retrouvé réuni, et surtout qui est mort, et pourquoi.

La réponse n'a rien d'original ni de passionnant : un équipage de personnages au passé plus ou moins trouble, embarqués à bord d'un cargo, va s'échouer dans une des ces zones qui nous fait fortement douter, au vu du nombre de film montrant des bateaux s'y perdre, de la compétence des cartographes contemporains.

Michael Carreras n'a rien d'un réalisateur. Dirigeant de la Hammer depuis que son père a passé la main, il passe à la réalisation dès 1957 et dans les années 60, va permettre au catalogue Hammer de s'enrichir, outre ce Peuple des abîmes, d'un autre bijou du film fauché et ridicule : Les femmes préhistoriques. Dans les deux cas, remarquons tout de même un point commun : une terre oubliée de tous, ou le temps s'est arrêté (l'Angleterre?) peuplé de jeune femmes cour vêtues, mais généreusement dotées par cette nature qu'elles côtoient de si près.

Exploitée systématiquement dans tout le matériel promotionnel associé au film, c'est Dana Gillespie qui en est la représentante officielle. Avoir repoussé son apparition au dernier quart d'heure du film est un des choix narratifs judicieux de Carreras, car c'est la seule raison d'aller au terme du visionnage.

Durant toute sa longue première partie, le cinéaste essaie, sans y parvenir, de nous interesser à des personnages plus fouillés, psychologiquement, que ce que nous sommes habitués à voir dans le registre. Ici, pas de scientifiques intrépides, ou d'aventuriers assoifés de records, une troupe de personnages bizarres, mal associés, au motivation floues. Avec la même volonté de sortir des sentiers battus, La déesse des sables, du même studio, est bien plus convaincant.

Quelques inventions du directeur artistique font la petite réputation du film : les habitants du continent perdus, pour se déplacer sans danger sur les marécages de leur île, ont inventé des harnais individuels surmontés de gros ballons. Amusant.

Les monstres, ridicules, sont une preuve de plus du talent de Carreras : n'importe quel réalisateur un peu capable aurait trouvé une astuce pour éviter d'avoir à les montrer plein cadre, mais Carreras n'hésite pas, nous assenant quelques uns des ces combats montrant un comédien se serrant lui même autour de la taille les pinces d'un crabe géant en carton-pâte, et les secouant vigoureusement, en imaginant nous faire croire que c'est le monstre qui le malmène.

L'explication de la présence des conquistadors, du peuple sauvage, du continent perdu, au terme du scénario, est des plus classiques, et reprend mollement le thème de la société à structure archaïque dont les fondements vont se retrouver ébranlés par l'arrivée d'étrangers civilisés, et qui sera finalement mise à bas lorsque les étrangers en question permettront aux opprimés de renverser les tenant de la féodalité qui les opprime. Beaucoup de ces films d'aventure exotiques britanniques reprenant plus ou moins ce schéma, on peut tout de même se demander jusqu'à quel point la Grande-Bretagne ne nous rejoue pas là sur un mode fantasmé sa grande épopée colonisatrice.

Ennuyeux, mal mis en scène, Le Peuple des Abîmes est de ces films dont la rêverie permise par la lecture des articles qui lui sont consacrés, ou la contemplation des photos d'exploitations est bien supérieure à l'épreuve que constitue leur vision.




lundi 5 décembre 2011

46- Les maîtresses de Dracula (The brides of Dracula), Terence Fisher, Grande-Bretagne, 1960



Le cinéma d'exploitation, ça exploite, donc quand on trouve un filon, on l'épuise. Orientés par le succès de leur Dracula, et celui de Frankenstein, qui confirme que la formule est la bonne, les responsables de la Hammer vont donc ni une ni deux mettre en chantier une suite à Dracula, malgré la désintégration plein cadre de ce dernier à la fin du récit, et la défection de sa star vampirique- Christopher Lee, dont le melon enfle sérieusement à l'époque, et qui pense avoir mieux à faire (et plus rentable surtout ) ailleurs. Pas de Dracula dans Les Maîtresses de Dracula, donc, mais des femmes vampires, ne chipotons pas trop. Les apparences peuvent être trompeuses : car si le film semble mis sur pieds pour profiter coûte que coûte de l'engouement pour son prédécesseur, il n'en demeure pas pour autant bâclé ou sans âme, d'autant moins si on le compare à l'épisode suivant, qui voit le retour de Lee dans le rôle.

Pas de Dracula, donc, mais un autre vampire, présenté par le narrateur comme un de« ses disciples », et qui n'apparaîtra dans le film que bien plus tard, le Baron Meinster. Dans la grande tradition du gothique classique, c'est encore une fois parmi les aristocrates de l’Europe centrale que naissent les monstres.

Les images de Fisher et Asher sont de toute beauté, tout comme les décors de Bernard Robinson. Les combinaisons de violet, de vert, d'orangés, étoilant les vitraux, les fenêtres, les colonnades, les balcons de pierre et les cheminées bordées de gargouilles, régalent l’œil en une symphonie de couleurs enivrantes. L'apparition du DVD a certainement participé de la reconnaissance des qualités plastiques des productions Hammer des années 60, enfin visibles dans des copies au format respecté et fidèles à leur chromie flamboyante. Peu de films Hammer, même à cette époque, bénéficient de décors si inspirés et d'une photo si chatoyante. On pense beaucoup aux gammes employées dans La belle au bois dormant, des studios Disney. Les décors prolongent eux aussi une sensibilité médiévale imaginaire, relevant bien plus de la rêverie que de la citation historique. Le film revisite d'ailleurs en partie les passages du roman de Stoker situés dans le château de Dracula- plusieurs statues de dragon suggèrent d'ailleurs cette filiation possible entre Meinster et le Comte. La vue depuis la fenêtre de la chambre attribuée à l'héroïne, sur celle du fils de la Châtelaine saisit par la beauté de sa construction, par l'imagination du décor, tout en lignes brisées, en murs ouverts faisant communiquer les espaces intérieurs et extérieurs. Ces espaces travaillés s'accordent parfaitement à la mise en scène de Fisher, préférant la plupart du temps un plan fixe permettant d'apprécier la composition dessinée par les lignes du décor, ou décrire les espaces par de lents panoramiques mettant à portée de regard la profusion d'accessoires ou le soin des ornements.

Cet écrin accueille un récit rocambolesque, assez baroque, et moins linéaire qu'à l’accoutumée. Les réactions des personnages, parfois illogiques, les aberrations de certaines situations (un vampire capable de se transformer en chauve souris est emprisonné par une chaîne au pied! ), la disparition inattendue de certains personnages confèrent à l'histoire un aspect onirique, prenant presque le contrepied du Dracula de 1958. Narrativement parlant, car le prolongement thématique est tout à fait cohérent.

Sous la caméra de Fisher, le vampire continue d'être cette incarnation d'une pulsion sans entraves, faisant de n'importe qui et n'importe quoi l'objet de son désir- la seule condition d'élection semblant être de se trouver à la portée du prédateur. Ainsi, le vampire, venu chercher sa promise, et ne la trouvant pas, fera tout aussi bien son affaire de sa compagne de chambrée, puis plus tard, c'est son pire ennemi, Van Helsing, qui sera l'objet d'un traitement identique à celui de victimes plus consentantes ! Hommes ou femmes, désirants ou rétifs, tous sont identiques face à l'envie de jouir animant le vampire. Cette sensualité charnelle est profondément amorale, et le Baron Meinster ira jusqu'à vampiriser sa propre mère.

Bien sûr, le professeur Van Helsing, rassurante figure paternelle au sens le plus droit, ne reculera devant rien pour réduire cette pulsion à l'impuissance. Bien sûr, la loi de Dieu, symbolisée par la croix -image du triomphe de l'âme sur le corps, et de la destruction des pulsions charnelles- aura raison du vampire. Dans un final splendide, Van Helsing fait tourner les ailes d'un moulin, dans lequel les vampires se sont réfugiés, pour qu'elles adoptent la silhouette d'un crucifix démesuré. Ce personnage de chasseur de vampire, interprété idéalement par Peter Cushing, est d'ailleurs une sorte de calme fanatique chrétien, voyant dans les objets les plus incongrus ce motif de la croix, et rendant ainsi la présence divine autour de lui dépendante d'une simple question de point de vue, et même, de perspective.

Suite parfaite du Cauchemar de Dracula, Les maîtresses de Dracula ne souffre pas de l'absence de Christopher Lee. Un acteur à l'aspect plus juvénile, donnant une beauté innocente au démon sensuel, le remplace judicieusement. Son apparition, sur un balcon, à l'arrière plan de l'image, une chaîne dorée autour de la cheville attachée à l'intérieur de la pièce, et une des images les plus fortes du film, et la relation trouble l'unissant à sa mère pourrait provenir d'un conte inconnu des frères Grimm. Parvenant à rendre justice à un scénario plein de péripéties, à l'écriture feuilletonesque, Ficher réussit aussi un film éminemment personnel, dans lequel sa vision du monde, marquée par la réprobation des plaisirs de la chair, s'épanouit paradoxalement dans un déluge vertigineux de couleurs chatoyantes, inondant des soupirantes en déshabillés translucides s'abandonnant au baiser de la mort, le sourire aux lèvres.


dimanche 4 décembre 2011

45- Sherlock Holmes contre Jack l'eventreur (A study in terror), James Hill, Grande-Bretagne, 1965





Bien des visages prêtés à Sherlock Holmes, par bien des acteurs. Dans le film de James Hill, c'est John Neville qui incarne l'implacable detective de Conan Doyle. Neville restera dans les mémoires pour un rôle nettement moins retenu, celui du Baron de Munchausen de Terry Giliam.

Nous sommes ici dans le registre du pastiche Holmésien, puisque Conan Doyle ne lançant jamais son héros à la poursuite du bourreau de Whitechapel. Inutile de dire que l'idée fonctionne parfaitement, et que la collision des mythologies (qui sera d'ailleurs revistée par d'autres cinéastes, on pense bien sûr à Murder by Decree ) se fait sans heurt aucun. C'est que James Hill ne prend pas de risque et s'appuie sur les clichés les plus efficaces : ses bas quartiers londoniens sont baignés de brouillard et garnis de prostitués, de malfrats et d'ivrognes. La description de ces tavernes bondées, de ce peuple des bas fonds écrasé par la pauvreté, se noyant dans l'alcool- préoccupé avant tout de survie, littéralement, au jour le jour, semble très importante pour le cinéaste. On notera par exemple ces deux numéros de chant d'une entraîneuse de cabaret fanée, bien plus longues que ce que la narration exige, et qui traduisent d'une façon assez touchante l'empathie du cinéaste pour les victimes.

Elles sont impitoyablement exécutées dans quelques scènes de meurtre enlevées et violentes, graphiquement très inspirées- ont-elles influencé celles de From Hell, bijou mal aimé des frères Hughes ?
Hormis ces saillies, la mise en scène de Hill est assez sage- tout au service, comme c'est souvent le cas dans les aventures de Sherlock Holmes- des avancées d'une enquête dont les spectateurs ne doivent pas manquer un developpement. Le docteur Watson est incarné avec moins de bonhomie que ce que l'on a pu voir parfois, et le Holmes de Neville est parfait de retenue, sans qu'il lui soit nécessaire d'appuyer sur la supposée misanthropie du personnage. Lestrade, en revanche, correspond bien au cliché en vigueur et s'avère aussi épais et peu compétent qu'à l'habitude.

Le film s'emploie à illustrer la thèse devenue très répandue au sujet de l'éventreur : les meurtres seraient commis par un membre de la société dirigeante, incarnant et radicalisant, en quelque sorte, des rapports de domination de la classe bourgeoise et aristocratique sur la classe laborieuse et proléraire. Il ne s'agit cependant que d'un arrière plan idéologique au film, qui constitue une des belles réussites des incarnations cinématographiques de la mythologie crée par Conan Doyle, et qui déploie un solide scénario, feuilletonesque comme il se doit, à la conclusion un tantinet trop prévisible, mais bien amenée, et assez logique.

On notera une pointe d'humour final, Sherlock survivant à un incendie, et répondant à l'étonnement de Watson par un malicieux : « mais voyons, c'est mon invincibilité légendaire ! », clin d'oeil, certainement, à l'improbable résurrection consentie par Doyle à son héros.

samedi 3 décembre 2011

44- Frankenstein créa la femme (Frankenstein created woman), Terence Fisher, Grande-Bretagne, 1967




Indestructible, inoxydable, invincible, insubmersible, invaincu, incroyant, tel est le Baron Frankenstein imaginé par Terence Fisher et ses différents scénaristes. C'est presque avec humour qu'on peut voir la première scène de ce nouveau film. Le Baron y gît, donné pour mort cliniquement. Un assistant ventripotent et moustachu, visiblement très angoissé consulte une montre. Un compte à rebours dont l'enjeu nous est inconnu s'achève et le Baron, d'un claquement de doigts, ressuscite comme on se lève d'une bonne sieste.
Mais la parodie est dans l’œil du spectateur, car Fisher n'est pas cinéaste à regarder ses personnages avec la moindre ironie. Il affirmait réaliser des contes de fées, et pas des films d'horreur, et il a cela de l'esprit enfantin qu'il aborde toujours ses récits presque littéralement, sans cherche à jouer avec le spectateur. C'est ce regard qui permet à ces films datés de toujours nous toucher.

Et l'histoire racontée ici est particulièrement touchante. C'est celle, principalement, de Christina, fille de l'aubergiste local, au visage difforme et à la jambe boiteuse . Le Baron joue presque un second rôle dans le récit, et s'il est une présence physique toujours aussi imposante, projetée par Peter Cushing, il demeure tel quel de l'origine à la conclusion du drame.

Le scénario de Anthony Hinds est idéal pour Fisher. La description de ces quelques personnages incarnant chacun une classe sociale, et la progression du drame, montrant la fatalité de leur rapports relèvent d'une vision du monde commune à beaucoup de films du metteur en scène, et trouvent ici une illustration particulièrement forte. La mise en scène, toujours aussi hiératique et dépouillée, se laisse gagner à quelques reprises par un vertige plus expressionniste : les plans sur la guillotine, les meurtres finaux, éclairés violemment, et composés d'images cauchemardesques. Ces saillies sont à chaque fois au service d'une idée, et viennent s'insérer dans le récit avec la rigueur habituelle du cinéaste.

Car quel paradoxe, tout de même que ce Terence Fisher. L'homme dit croire au surnaturel, et s'est accompli en tant qu'artiste en découvrant son goût pour la réalisation de films fantastiques. Mais le genre est toujours traité chez lui avec une extrême retenue, une économie de moyens matériels mais aussi émotionnels maximale. Ce matérialisme fantastique, qui bien souvent paraît même contre productif en regard des scènes et des sujets illustrés sont la beauté paradoxale des films de Fisher, et la vision qui fait de lui un auteur.

Et dans Frankenstein créa la femme, Fisher livre un des ces contes les plus épurés et représentatif. Un trio de jeunes aristocrates débarquent dans une auberge. De toute évidence, ils veulent s'amuser, et se permettent tout. Le tavernier ne peut se permettre de leur résister, et il doit les satisfaire- tant par interêt que par reflexe de soumission à l'ordre social. Nous voilà en présence d'un couple Fisherien typique : l'aristocratie désargentée d'un côté, exerçant une pure domination de classe, et incarnant le vice, et la bourgeoisie, obsédée par la préservation et le développement de son patrimoine matériel, si petit qu'il soit. Mais , comme le rapport de domination et de dépendance des uns envers les autres est au fond admis par tous, il faut un élément extérieur pour provoquer un dérèglement. Ce n'est pas le Baron, comme tout le l'appelle qui sera cet élément. Lui, comme les nobliaux, est client du tavernier, et s'arrange en général pour ne pas avoir à payer, privilège historique de la noblesse. Le bourgeois fait crédit à ses nobles, affirmant par là sa supériorité matérielle. Non, c'est la fille du tavernier qui va provoquer le nœud du drame, et permettre l'irruption du fantastique dans l'histoire.

Car Christina est le nœud qui lie des désirs inconciliables, et pour qu'ils s'épanchent, il faudra qu'elle meure.
La difformité de la jeune fille suscite d'abord le désir contradictoire des nobliaux : ils veulent jouir de son corps de femme, car malgré son handicap, elle est curieusement attirante (ce n'est évidemment pas un échec du maquilleur de l'avoir rendue malgré ses prothèses, désirables, c'est au contraire tout l'intérêt de l'effet ), et en même temps qu'il jouirons d'elle, ils veulent l'humilier. Christina est incarnée par Susan Denberg- choisie avec le tact habituel des producteurs Hammer pour son curriculum de playmate plutôt que pour ses qualités dramatiques-et pourtant elle se révèle tout à fait convaincante dans un rôle tout de même assez complexe, puisque son personnage connaît deux incarnations et trois personnalités.

Le jeu pervers de la bande d'aristocrates ira un soir trop loin, et provoquera le drame : ils tuent le père de Christina, qui a pour sa fille les plus élémentaires et banals des sentiments protecteurs. Sentiment fatal lorsqu'il se retrouvera en face du groupe de jeunes aristocrates dépravés.
Christina est aussi l'objet d'un amour sincère, que lui porte Hans, employé du Baron Frankenstein. Hans est un peu le paria du village. Son père a été guillotiné, et on attribue à Hans, dans une vision typiquement deterministe, les mêmes pulsions meurtrières que celles supposées de son père. Comme souvent avec Fisher, le spectateur est placé en position de juge moral, car nous savons que Hans est animé des sentiments les plus nobles et les plus justes, et qui si une rage l'anime, elle tient son origine précisément dans le regard qui a été porté sur lui depuis son enfance, et dans l'impitoyable justice exercée à l'encontre de son père. Justice toute relative, sans doute, car nous découvrirons lors du procès de Hans que les juges locaux se passent volontiers de preuves lorsqu'il s'agit pour les accusés de devenir des coupables désignés avant tout par leur ascendance et leur rang social.

Hans va être le bouc émissaire indispensable au maintien de l'ordre des choses, malgré l'intervention à la barre d'un Baron Frankenstein un peu moins misanthrope qu'à l'habitude, insistant pour qu'une part à l'examen rationnel soit faite durant le procès.
Rien n'y fait, Hans est guillotiné par la même machine ne mort que son père-et les vrais coupables laissés tranquilles. Christina ne peut le supporter et se suicide.
Pour le Baron, c'est l'occasion rêvée, et le moment d'entrer en scène. Le film, fort de cette longue première partie en forme de drame social, bascule dans le fantastique. Le baron, tout en fabricant un corps parfait à Christina, y transfert l'âme de Hans, selon le procédé dont il a lui même fait l'expérience au début du film.

Le succès semble parfait, mais rapidement, dans la grande tradition du genre, la créature va échapper au programme de son créateur.

Jouant de ses charmes indiscutables- c'est à nouveau Susan Denberg qui joue cette nouvelle Christina blonde, à la sensualité déchainée- elle attire les bourreaux de Hans, et s'isole avec eux, sous entendant la possibilité d'une étreinte charnelle. L'assouvissement est tout autre : c'est sa vengeance que Hans accomplit, via Christina, massacrant ceux qui l'ont massacré, jugeant ceux qui l'ont jugé.

La mise en scène de Fisher, dans ces moments, se fait plus baroque, via des éclairages plus contrastés, aux couleurs plus violentes. La scénographie du film est aussi intéressante : la présence de la guillotine, à l'écart du village, mais visible de la route, et montrée chaque fois que des personnages passent, filmée à chaque fois en une contre plongée soulignant la fatalité des lois et de l'ordre social qu'elle représente. La demeure du Baron, elle aussi à l'écart, et le bourg, enfin, lieu des échanges et des transactions, sentimentales ou matérielles.

Le traitement de la créature présente une inversion du schéma habituel : d'abord difforme, elle devient belle en se transformant en monstre. Une des facettes de ce film brillant, particulièrement réussi, qui permet à Terence Fisher d'exprimer sa vision à la fois d'un mythe et d'une société, dont il condamne une fois de plus la mécanique broyant les vies laborieuses, épargnant ceux à qui la naissance autorise tout, . Et il réserve à l'expression de la pulsion un rôle moins condamnable qu'à l'accoutumée, puisqu'elle est associée ici au rétablissement de la justice.