jeudi 22 décembre 2011

49- La déesse des sables (Vengeance of She), Cliff Owen, Grande-Bretagne, 1968


Toujours Blonde, toujours belle, toujours divine, Elle revient. Elle revient ? La Déesse des Sables est la suite de She- La déesse du feu- film mettant en scène Ursula Andress dans le rôle titre d'Ayesha, film qui, contrairement à sa suite, n'est pas édité sur notre territoire.

Vous imaginez bien que l'histoire n'est pas d'une complexité rendant impossible la compréhension de ce deuxième épisode si l'on n'a pas vu le premier, mais il y a tout de même une partie des ressorts narratifs qui ne fonctionnent pas si l'on ignorent tout des événements ayant précédé.

La belle blonde, Olinka Berova, s'offre au film comme une page blanche : elle n'a ni mémoire ni but, sinon de fuir les terribles migraines qui l'assaillent parfois.
Ce personnage, réduit a une pure présence physique, est le centre des plus belles séquences du film, situées au début.

Alors que l'on attends un démarrage nous plaçant directement dans un récit d'aventures couleurs années 30, c'est à contrario dans un cadre contemporain et banal que s'ouvre le film : une jeune femme marche le long d'une route sinueuse, à flanc de montagne. Il fait chaud, nous pourrions être sur la côte d'Azur, en Italie, ou quelque part ailleurs sur la côte adriatique. Mais parfois filmée de très loin et de très haut, avec des raccords isolant les jambes, ou le buste de la marcheuse, la scène a quelque chose d'étrange, comme si c'était un tireur embusqué et fétichiste qui l'observait. Le décalage est renforcé par la tenue particulièrement inappropriée de la jeune femme : talons hauts et fourrure ! Sans effet sonore (sinon, intermittent, le son de ses pas sur le bitume) et sans dialogue le générique,puis le prologue, se poursuivent, rythmés par la très belle chanson de Mario Nascimbene, très inspiré dans un registre à la fois jazz/pop typique de l'époque et mélancolique.

Un auto stoppeur, monstrueux, propose à l'inconnue de la faire monter. Selon la logique propre au seules héroïnes, elle grimpe, en souriant. Inévitablement, le prédateur va tenter de la faire boire, puis d'abuser d'elle. Une force mystérieuse déclenchera le frein du véhicule dont le violeur est sorti, et le camion l'écrasera. Muette, ponctuée seulement par les grognements de l'homme, les gémissements de la femme, et la musique à contre-emploi, la scène a une vraie force dépouillée, et ne dépareillerait pas chez une cinéaste comme Catherine Breillat.

Plus tard, On apprendra que la jeune femme s'appelle Carol, mais que c'est tout ce dont elle se souvient. Carol, se cachant sur un bateau, est recueillie par un équipage de quarantenaires fétards, beaux personnages entre deux âges, un peu fatigués, un peu louches, mais sincèrement ému par la jeune femme.
J'ai trouvé une grande beauté à ces scènes, quelque chose du parfum que j'imagine de l'époque y est poétiquement traduit : cette jeune femme, Carol, qui n'est qu'un prénom et une silhouette, littéralement perdue au milieu d'une fête, ne sachant ni ce qu'elle veut, ni ce qu'elle doit faire, poussée par la seule necessité d'échapper à quelque chose- une angoisse physique- indéfinissable. Beau portrait de ces jeunes femmes des sixties qu'on imagine cherchant la fête du soir, et surtout, à ne pas penser à demain.

Bien sûr, les mystères se dissipent, et le film va bientôt se résoudre à accomplir son programme d'exotisme, de périls, de temples perdus. Mais au bon moment, le réalisateur sait changer brusquement de registre, et enquille les scènes attendues avec un savoir faire solide, allant même jusqu'au psychédélique : des soldats romains entourés de prêtres en costume pseudo égyptien, des prophéties cosmiques dépendant de la configuration stellaire (la bonne étant toujours attendue pour l'avant dernière bobine ), un mage hypnotisant par la seule force de son regard et des effets sonores, des destructions de maquettes... l'amateur de série BD exotique sera ravi. Killikrates, l'amant prédestiné du premier film, est persuadé que Carol est la réincarnation d'Ayesha, « She », la déesse de feu, et la fait venir à lui pour l'épouser et lui permettre de régner à nouveau sur son royaume.

Mais même dans cette seconde partie, demeurent de beaux moments dépassant le programme : cette belle scène durant laquelle Carol se regarde longuement dans le miroir, au sortir du bain, et corrige sa coiffure ou le mariage avec Killikrates, auquel, tout le monde le lui assure, tout la destine, mais que seule l'hypnose du prêtre, finalement, peut la contraindre à accepter. Il y a la un prolongement tout limpide aux angoisses de la jeune femme perdue qu'on a vue au début du film. Et on peut voir la fin du film, ce monde perdu dont Carol serait la déesse réincarnée Ayesha, comme une image dorée du foyer-prison auquel on destine les jeunes femmes, et dont l'acceptation est la seule condition pour tolérer les débordements adolescents. Il est beau que les images accordent l'histoire aux aspirations de l'héroïne : le contemporain pour la liberté et l'indépendance, le décorum antique pour la résignation et le conformisme social.

La déesse des sables est un beau film, à la beauté surprenante, bien plus intéressant que La déesse de feu, il bénéficie grandement d'une musique magnifique, participant largement à la narration du film. Sans dire qu'il s'agit d'un chef d'oeuvre caché, on saura le reconnaître à sa juste valeur, dépassant joliment le simple cadre du film d'aventures exotiques, pour peindre en creux un portrait de femme touchant.

 P.S :  Le générique de début, et quelques extraits du film.

mercredi 21 décembre 2011

48- Dracula, Prince des Ténèbres (Dracula, Prince of Darkness), Terence Fisher, Grande-Bretagne,1966


C'est sans enthousiasme, sans doute, que Terence Fisher aborde le tournage de Dracula Prince des Ténèbres. Il vient d'essuyer deux échecs, avec les sorties de son adaption du fantôme de l'opéra, et The gorgon. Revenir à un Dracula avec Christopher Lee dans le rôle du comte, doit sans doute permettre de rentabiliser l'investissement du film avant même la mise en boîte de la première bobine, et de se rassurer sur l'efficacité de la machine Hammer/Fisher.

La rédaction du scénario impose de s'éloigner du roman de Stoker, puisque même si de nombreux éléments ont été mis de côté dans Le cauchemar de Dracula, et pourraient servir de réserve, le comte est réduit en cendres, elles- même dispersées aux quatre vents à l'issue de ce film, la résurrection du Prince des vampires devient donc le premier souci des scénaristes.

Réduit en cendres ? Qu'à cela ne tienne, c'est à partir d'elles que le vampire sera reconstitué. Et plutôt que de contourner la difficulté, le film de Fisher s'ouvre sur un montage des dernières images du film précédent mettant en scène le comte. Avant de rejoindre à nouveau ce récit initial, le film s'ouvre par une longue digression nous présentant les nouveaux personnages véhicules du récit. Il s'agit de deux couples de touristes, non pas un groupe d'ados imprudents, californiens et lubriques comme l'impose le canon contemporain, mais quatre anglais entre deux âges, en goguette dans les Carpathes, qui loin d'avoir le vice dans la peau, tiennent leur raison comme seul gouvernail de leur itinéraire, et se moquent bien des mises en garde les invitant à éviter de faire étape dans le château ayant appartenu aux Dracula.

Totalement inintéressants sur le papier, ces personnages ne bénéficient pas d'un supplément d'âme grâce à l'inspiration de comédiens solides. C'est le minimum syndical qui est assuré, et la première partie du film, voyant nos quatre marcheurs errer est particulièrement soporifique, Fisher se montrant particulièrement littéral dans l'exécution des scènes. On notera simplement un des rares emprunts au livre de Stoker : comme dans le roman, c'est une diligence noire- ici sans cocher- qui mène contre leur gré les héros au château du conte.

Et c'est lorsque l'action se concentre dans ce lieu que la routine cède la place à l'inspiration, grâce à un personnage extraordinaire : Klove, le majordome de Dracula.

Celui-ci, hiératique, accueille le groupe de promeneurs égarés- c'est lui, qui a organisé les modalités de leur errances- il leur sert un solide repas, et suivant toutes les règles de l'hospitalité, les invite à passer la nuit dans des chambres prêtes à les accueillir. A l'occasion de la balade nocturne d'un des invités, sans doute en proie à l'insomnie (non, en fait, il veut élucider les mystères entourant le château du comte ), il ressuscitera son maître, en arrosant ses cendres du sang du malheureux noctambule, suspendu à un croc de boucher au dessus du tombeau ouvert du comte !

Cette scène- d'une violence vraiment choquante (nous sommes en 66, deux ans avant la Nuit des morts-vivants)- préfigure on seulement les abattages de massacre à la tronçonneuse, mais aussi ces tueurs dépassionnés, mécaniques, qui moissonneront toute une génération de teenagers et de jeune femmes dans les années 70. Fisher, pour ceux qui en douteraient encore, montre ici une facette moderne auquel il est rarement associé. Klove agit avec détachement, et assomme, accroche puis égorge sa victime, on le devine, comme il a préparé le repas et les chambres : il remplit son office, se montre à la hauteur de la tâche qui lui incombe, ni plus ni moins. Il regarde de la même façon le corps et la poignée de la poulie qui va le hisser au dessus du cercueil. Les motivations de Klove demeurent informulées, et on est ramené à la lecture stricte des images de Fisher : se référant au comte comme « son maître », énonçant sans un sourcillement que celui ci est mort, Klove accomplit certainement le protocole requis par son maître au cas où il faudrait procéder à sa resurrection. Klove est un employé de l'exécution, un serviteur zélé, d'autant plus fascinant qu'il pourrait à tout moment, sans le moindre effort, sans avoir à recourir à la plus infime violence, renoncer à la tâche qui lui incombe.

La mise en scène de la séquence est remarquable. En une série de plans longs, Fisher nous montre klove à l'oeuvre, soulignant les aspects purement techniques du meurtre : Klove, à deux ou trois reprise, s'assure de la bonne place de chaque élément du dispositif. Des raccords impeccables insistent sur le déroulement de l'opération en effaçant la moindre ellipse. Choix culminant dans la résurrection, en un plan unique et fixe, magnifique, constitué de surimpressions successives. On pense ici à la métamorphose en un plan, tout aussi poétique et fascinante par son évidence apparente, des Vampires de Freda et Bava.

Le reste du film, s'il n'est pas à la hauteur, demeure un bon Dracula, et tout ce que le spectateur attends s'y trouve. Van Helsing est remplacé par un prêtre à la fois rondouillard de la panse et carré de la pensée. Originalité feuilletonesque : c'est la sensibilité des vampires à l'eau vive qui est ici exploitée, le comte se noyant dans l'eau entourant son château.
Le film est également connu pour la performance entièrement muette de Christopher Lee. Cela créer un effet assez fascinant- et augmente encore le statisme du vampire, particulièrement hiératique cette fois.

Seul film de la série cadré en cinémascope, le format permet à Fisher quelques très belles compositions : je pense à cette scène montrant le vampire s'approcher lentement d'une de ces victimes et relever sa cape d'un bras, le noir envahissant toute la largeur de l'écran. Une image devenue archétypale du prédateur nocturne, et reprise par exemple telle quelle par Chritopher Nolan (lui aussi anglais...) lors de la première sortie du justicier de Gotham dans Batman Begins.

Film très inégal, Dracula Prince des ténèbres témoigne tout de même du talent d'un Terence Fisher encore capable de belles étincelles, et de remarquables intuitions de mise en scène.



mercredi 14 décembre 2011

47- Le peuple des abîmes (The lost continent), Michael Carreras, Grande Bretagne, 1968



Quelques photos de plateau, quelques lobby cards, la spectaculaire explosion d'un magnifique décor de galion vu et revue dans les publi-reportages de la Hammer, il n'en faut pas plus pour donner envie d'aller à la rencontre ce peuple des abîmes. Hélas ! C'est tout ce qu'on obtiendra de mieux : de belles promesses. Car le film est vraiment un navet digne d'une médaille au salon de l'agriculture. Trois choses m'ont tout de même poussé au bout de cet interminable film : la construction classique et efficace, la conscience professionnelle, et la perspective de découvrir, animée et non pas en photo, la merveilleuse poitrine de Dana Gillespie. Soyons positifs, ne retenons que ces points, et examinons les en détail.

Si les affaires se gâtent vite, on ne peut nier que Le peuple des abîmes bénéficie d'une intriguante entrée en matière. Un long travelling latéral nous montre un galion, nous montons sur le pont, puis un groupe de personnages fait son entrée dans le champs. Il procède à un cérémonie funéraire, comme on en voit dans beaucoup de films maritimes : une planche sur laquelle est posé le cercueil est basculée pour rendre le corps à la mer. Mais ces personnages sont habillés de vêtements contemporains. Le mouvement de caméra continue et on découvre une foule de spectateurs hétéroclites : certains sont habillés en conquistadors, d'autres portent des vêtements rapiécés qu'on associera à l'habit de l'aventurier de film d'aventure médièvales standart. Les lumières, la texture du décor, tout baigne dans un crépuscule orange, achèvent de donner un cachet onirique à l'ensemble. Le plan coupe, et bien sûr on remonte le fil du récit pour découvrir comment tout le monde s'est retrouvé réuni, et surtout qui est mort, et pourquoi.

La réponse n'a rien d'original ni de passionnant : un équipage de personnages au passé plus ou moins trouble, embarqués à bord d'un cargo, va s'échouer dans une des ces zones qui nous fait fortement douter, au vu du nombre de film montrant des bateaux s'y perdre, de la compétence des cartographes contemporains.

Michael Carreras n'a rien d'un réalisateur. Dirigeant de la Hammer depuis que son père a passé la main, il passe à la réalisation dès 1957 et dans les années 60, va permettre au catalogue Hammer de s'enrichir, outre ce Peuple des abîmes, d'un autre bijou du film fauché et ridicule : Les femmes préhistoriques. Dans les deux cas, remarquons tout de même un point commun : une terre oubliée de tous, ou le temps s'est arrêté (l'Angleterre?) peuplé de jeune femmes cour vêtues, mais généreusement dotées par cette nature qu'elles côtoient de si près.

Exploitée systématiquement dans tout le matériel promotionnel associé au film, c'est Dana Gillespie qui en est la représentante officielle. Avoir repoussé son apparition au dernier quart d'heure du film est un des choix narratifs judicieux de Carreras, car c'est la seule raison d'aller au terme du visionnage.

Durant toute sa longue première partie, le cinéaste essaie, sans y parvenir, de nous interesser à des personnages plus fouillés, psychologiquement, que ce que nous sommes habitués à voir dans le registre. Ici, pas de scientifiques intrépides, ou d'aventuriers assoifés de records, une troupe de personnages bizarres, mal associés, au motivation floues. Avec la même volonté de sortir des sentiers battus, La déesse des sables, du même studio, est bien plus convaincant.

Quelques inventions du directeur artistique font la petite réputation du film : les habitants du continent perdus, pour se déplacer sans danger sur les marécages de leur île, ont inventé des harnais individuels surmontés de gros ballons. Amusant.

Les monstres, ridicules, sont une preuve de plus du talent de Carreras : n'importe quel réalisateur un peu capable aurait trouvé une astuce pour éviter d'avoir à les montrer plein cadre, mais Carreras n'hésite pas, nous assenant quelques uns des ces combats montrant un comédien se serrant lui même autour de la taille les pinces d'un crabe géant en carton-pâte, et les secouant vigoureusement, en imaginant nous faire croire que c'est le monstre qui le malmène.

L'explication de la présence des conquistadors, du peuple sauvage, du continent perdu, au terme du scénario, est des plus classiques, et reprend mollement le thème de la société à structure archaïque dont les fondements vont se retrouver ébranlés par l'arrivée d'étrangers civilisés, et qui sera finalement mise à bas lorsque les étrangers en question permettront aux opprimés de renverser les tenant de la féodalité qui les opprime. Beaucoup de ces films d'aventure exotiques britanniques reprenant plus ou moins ce schéma, on peut tout de même se demander jusqu'à quel point la Grande-Bretagne ne nous rejoue pas là sur un mode fantasmé sa grande épopée colonisatrice.

Ennuyeux, mal mis en scène, Le Peuple des Abîmes est de ces films dont la rêverie permise par la lecture des articles qui lui sont consacrés, ou la contemplation des photos d'exploitations est bien supérieure à l'épreuve que constitue leur vision.




lundi 5 décembre 2011

46- Les maîtresses de Dracula (The brides of Dracula), Terence Fisher, Grande-Bretagne, 1960



Le cinéma d'exploitation, ça exploite, donc quand on trouve un filon, on l'épuise. Orientés par le succès de leur Dracula, et celui de Frankenstein, qui confirme que la formule est la bonne, les responsables de la Hammer vont donc ni une ni deux mettre en chantier une suite à Dracula, malgré la désintégration plein cadre de ce dernier à la fin du récit, et la défection de sa star vampirique- Christopher Lee, dont le melon enfle sérieusement à l'époque, et qui pense avoir mieux à faire (et plus rentable surtout ) ailleurs. Pas de Dracula dans Les Maîtresses de Dracula, donc, mais des femmes vampires, ne chipotons pas trop. Les apparences peuvent être trompeuses : car si le film semble mis sur pieds pour profiter coûte que coûte de l'engouement pour son prédécesseur, il n'en demeure pas pour autant bâclé ou sans âme, d'autant moins si on le compare à l'épisode suivant, qui voit le retour de Lee dans le rôle.

Pas de Dracula, donc, mais un autre vampire, présenté par le narrateur comme un de« ses disciples », et qui n'apparaîtra dans le film que bien plus tard, le Baron Meinster. Dans la grande tradition du gothique classique, c'est encore une fois parmi les aristocrates de l’Europe centrale que naissent les monstres.

Les images de Fisher et Asher sont de toute beauté, tout comme les décors de Bernard Robinson. Les combinaisons de violet, de vert, d'orangés, étoilant les vitraux, les fenêtres, les colonnades, les balcons de pierre et les cheminées bordées de gargouilles, régalent l’œil en une symphonie de couleurs enivrantes. L'apparition du DVD a certainement participé de la reconnaissance des qualités plastiques des productions Hammer des années 60, enfin visibles dans des copies au format respecté et fidèles à leur chromie flamboyante. Peu de films Hammer, même à cette époque, bénéficient de décors si inspirés et d'une photo si chatoyante. On pense beaucoup aux gammes employées dans La belle au bois dormant, des studios Disney. Les décors prolongent eux aussi une sensibilité médiévale imaginaire, relevant bien plus de la rêverie que de la citation historique. Le film revisite d'ailleurs en partie les passages du roman de Stoker situés dans le château de Dracula- plusieurs statues de dragon suggèrent d'ailleurs cette filiation possible entre Meinster et le Comte. La vue depuis la fenêtre de la chambre attribuée à l'héroïne, sur celle du fils de la Châtelaine saisit par la beauté de sa construction, par l'imagination du décor, tout en lignes brisées, en murs ouverts faisant communiquer les espaces intérieurs et extérieurs. Ces espaces travaillés s'accordent parfaitement à la mise en scène de Fisher, préférant la plupart du temps un plan fixe permettant d'apprécier la composition dessinée par les lignes du décor, ou décrire les espaces par de lents panoramiques mettant à portée de regard la profusion d'accessoires ou le soin des ornements.

Cet écrin accueille un récit rocambolesque, assez baroque, et moins linéaire qu'à l’accoutumée. Les réactions des personnages, parfois illogiques, les aberrations de certaines situations (un vampire capable de se transformer en chauve souris est emprisonné par une chaîne au pied! ), la disparition inattendue de certains personnages confèrent à l'histoire un aspect onirique, prenant presque le contrepied du Dracula de 1958. Narrativement parlant, car le prolongement thématique est tout à fait cohérent.

Sous la caméra de Fisher, le vampire continue d'être cette incarnation d'une pulsion sans entraves, faisant de n'importe qui et n'importe quoi l'objet de son désir- la seule condition d'élection semblant être de se trouver à la portée du prédateur. Ainsi, le vampire, venu chercher sa promise, et ne la trouvant pas, fera tout aussi bien son affaire de sa compagne de chambrée, puis plus tard, c'est son pire ennemi, Van Helsing, qui sera l'objet d'un traitement identique à celui de victimes plus consentantes ! Hommes ou femmes, désirants ou rétifs, tous sont identiques face à l'envie de jouir animant le vampire. Cette sensualité charnelle est profondément amorale, et le Baron Meinster ira jusqu'à vampiriser sa propre mère.

Bien sûr, le professeur Van Helsing, rassurante figure paternelle au sens le plus droit, ne reculera devant rien pour réduire cette pulsion à l'impuissance. Bien sûr, la loi de Dieu, symbolisée par la croix -image du triomphe de l'âme sur le corps, et de la destruction des pulsions charnelles- aura raison du vampire. Dans un final splendide, Van Helsing fait tourner les ailes d'un moulin, dans lequel les vampires se sont réfugiés, pour qu'elles adoptent la silhouette d'un crucifix démesuré. Ce personnage de chasseur de vampire, interprété idéalement par Peter Cushing, est d'ailleurs une sorte de calme fanatique chrétien, voyant dans les objets les plus incongrus ce motif de la croix, et rendant ainsi la présence divine autour de lui dépendante d'une simple question de point de vue, et même, de perspective.

Suite parfaite du Cauchemar de Dracula, Les maîtresses de Dracula ne souffre pas de l'absence de Christopher Lee. Un acteur à l'aspect plus juvénile, donnant une beauté innocente au démon sensuel, le remplace judicieusement. Son apparition, sur un balcon, à l'arrière plan de l'image, une chaîne dorée autour de la cheville attachée à l'intérieur de la pièce, et une des images les plus fortes du film, et la relation trouble l'unissant à sa mère pourrait provenir d'un conte inconnu des frères Grimm. Parvenant à rendre justice à un scénario plein de péripéties, à l'écriture feuilletonesque, Ficher réussit aussi un film éminemment personnel, dans lequel sa vision du monde, marquée par la réprobation des plaisirs de la chair, s'épanouit paradoxalement dans un déluge vertigineux de couleurs chatoyantes, inondant des soupirantes en déshabillés translucides s'abandonnant au baiser de la mort, le sourire aux lèvres.


dimanche 4 décembre 2011

45- Sherlock Holmes contre Jack l'eventreur (A study in terror), James Hill, Grande-Bretagne, 1965





Bien des visages prêtés à Sherlock Holmes, par bien des acteurs. Dans le film de James Hill, c'est John Neville qui incarne l'implacable detective de Conan Doyle. Neville restera dans les mémoires pour un rôle nettement moins retenu, celui du Baron de Munchausen de Terry Giliam.

Nous sommes ici dans le registre du pastiche Holmésien, puisque Conan Doyle ne lançant jamais son héros à la poursuite du bourreau de Whitechapel. Inutile de dire que l'idée fonctionne parfaitement, et que la collision des mythologies (qui sera d'ailleurs revistée par d'autres cinéastes, on pense bien sûr à Murder by Decree ) se fait sans heurt aucun. C'est que James Hill ne prend pas de risque et s'appuie sur les clichés les plus efficaces : ses bas quartiers londoniens sont baignés de brouillard et garnis de prostitués, de malfrats et d'ivrognes. La description de ces tavernes bondées, de ce peuple des bas fonds écrasé par la pauvreté, se noyant dans l'alcool- préoccupé avant tout de survie, littéralement, au jour le jour, semble très importante pour le cinéaste. On notera par exemple ces deux numéros de chant d'une entraîneuse de cabaret fanée, bien plus longues que ce que la narration exige, et qui traduisent d'une façon assez touchante l'empathie du cinéaste pour les victimes.

Elles sont impitoyablement exécutées dans quelques scènes de meurtre enlevées et violentes, graphiquement très inspirées- ont-elles influencé celles de From Hell, bijou mal aimé des frères Hughes ?
Hormis ces saillies, la mise en scène de Hill est assez sage- tout au service, comme c'est souvent le cas dans les aventures de Sherlock Holmes- des avancées d'une enquête dont les spectateurs ne doivent pas manquer un developpement. Le docteur Watson est incarné avec moins de bonhomie que ce que l'on a pu voir parfois, et le Holmes de Neville est parfait de retenue, sans qu'il lui soit nécessaire d'appuyer sur la supposée misanthropie du personnage. Lestrade, en revanche, correspond bien au cliché en vigueur et s'avère aussi épais et peu compétent qu'à l'habitude.

Le film s'emploie à illustrer la thèse devenue très répandue au sujet de l'éventreur : les meurtres seraient commis par un membre de la société dirigeante, incarnant et radicalisant, en quelque sorte, des rapports de domination de la classe bourgeoise et aristocratique sur la classe laborieuse et proléraire. Il ne s'agit cependant que d'un arrière plan idéologique au film, qui constitue une des belles réussites des incarnations cinématographiques de la mythologie crée par Conan Doyle, et qui déploie un solide scénario, feuilletonesque comme il se doit, à la conclusion un tantinet trop prévisible, mais bien amenée, et assez logique.

On notera une pointe d'humour final, Sherlock survivant à un incendie, et répondant à l'étonnement de Watson par un malicieux : « mais voyons, c'est mon invincibilité légendaire ! », clin d'oeil, certainement, à l'improbable résurrection consentie par Doyle à son héros.

samedi 3 décembre 2011

44- Frankenstein créa la femme (Frankenstein created woman), Terence Fisher, Grande-Bretagne, 1967




Indestructible, inoxydable, invincible, insubmersible, invaincu, incroyant, tel est le Baron Frankenstein imaginé par Terence Fisher et ses différents scénaristes. C'est presque avec humour qu'on peut voir la première scène de ce nouveau film. Le Baron y gît, donné pour mort cliniquement. Un assistant ventripotent et moustachu, visiblement très angoissé consulte une montre. Un compte à rebours dont l'enjeu nous est inconnu s'achève et le Baron, d'un claquement de doigts, ressuscite comme on se lève d'une bonne sieste.
Mais la parodie est dans l’œil du spectateur, car Fisher n'est pas cinéaste à regarder ses personnages avec la moindre ironie. Il affirmait réaliser des contes de fées, et pas des films d'horreur, et il a cela de l'esprit enfantin qu'il aborde toujours ses récits presque littéralement, sans cherche à jouer avec le spectateur. C'est ce regard qui permet à ces films datés de toujours nous toucher.

Et l'histoire racontée ici est particulièrement touchante. C'est celle, principalement, de Christina, fille de l'aubergiste local, au visage difforme et à la jambe boiteuse . Le Baron joue presque un second rôle dans le récit, et s'il est une présence physique toujours aussi imposante, projetée par Peter Cushing, il demeure tel quel de l'origine à la conclusion du drame.

Le scénario de Anthony Hinds est idéal pour Fisher. La description de ces quelques personnages incarnant chacun une classe sociale, et la progression du drame, montrant la fatalité de leur rapports relèvent d'une vision du monde commune à beaucoup de films du metteur en scène, et trouvent ici une illustration particulièrement forte. La mise en scène, toujours aussi hiératique et dépouillée, se laisse gagner à quelques reprises par un vertige plus expressionniste : les plans sur la guillotine, les meurtres finaux, éclairés violemment, et composés d'images cauchemardesques. Ces saillies sont à chaque fois au service d'une idée, et viennent s'insérer dans le récit avec la rigueur habituelle du cinéaste.

Car quel paradoxe, tout de même que ce Terence Fisher. L'homme dit croire au surnaturel, et s'est accompli en tant qu'artiste en découvrant son goût pour la réalisation de films fantastiques. Mais le genre est toujours traité chez lui avec une extrême retenue, une économie de moyens matériels mais aussi émotionnels maximale. Ce matérialisme fantastique, qui bien souvent paraît même contre productif en regard des scènes et des sujets illustrés sont la beauté paradoxale des films de Fisher, et la vision qui fait de lui un auteur.

Et dans Frankenstein créa la femme, Fisher livre un des ces contes les plus épurés et représentatif. Un trio de jeunes aristocrates débarquent dans une auberge. De toute évidence, ils veulent s'amuser, et se permettent tout. Le tavernier ne peut se permettre de leur résister, et il doit les satisfaire- tant par interêt que par reflexe de soumission à l'ordre social. Nous voilà en présence d'un couple Fisherien typique : l'aristocratie désargentée d'un côté, exerçant une pure domination de classe, et incarnant le vice, et la bourgeoisie, obsédée par la préservation et le développement de son patrimoine matériel, si petit qu'il soit. Mais , comme le rapport de domination et de dépendance des uns envers les autres est au fond admis par tous, il faut un élément extérieur pour provoquer un dérèglement. Ce n'est pas le Baron, comme tout le l'appelle qui sera cet élément. Lui, comme les nobliaux, est client du tavernier, et s'arrange en général pour ne pas avoir à payer, privilège historique de la noblesse. Le bourgeois fait crédit à ses nobles, affirmant par là sa supériorité matérielle. Non, c'est la fille du tavernier qui va provoquer le nœud du drame, et permettre l'irruption du fantastique dans l'histoire.

Car Christina est le nœud qui lie des désirs inconciliables, et pour qu'ils s'épanchent, il faudra qu'elle meure.
La difformité de la jeune fille suscite d'abord le désir contradictoire des nobliaux : ils veulent jouir de son corps de femme, car malgré son handicap, elle est curieusement attirante (ce n'est évidemment pas un échec du maquilleur de l'avoir rendue malgré ses prothèses, désirables, c'est au contraire tout l'intérêt de l'effet ), et en même temps qu'il jouirons d'elle, ils veulent l'humilier. Christina est incarnée par Susan Denberg- choisie avec le tact habituel des producteurs Hammer pour son curriculum de playmate plutôt que pour ses qualités dramatiques-et pourtant elle se révèle tout à fait convaincante dans un rôle tout de même assez complexe, puisque son personnage connaît deux incarnations et trois personnalités.

Le jeu pervers de la bande d'aristocrates ira un soir trop loin, et provoquera le drame : ils tuent le père de Christina, qui a pour sa fille les plus élémentaires et banals des sentiments protecteurs. Sentiment fatal lorsqu'il se retrouvera en face du groupe de jeunes aristocrates dépravés.
Christina est aussi l'objet d'un amour sincère, que lui porte Hans, employé du Baron Frankenstein. Hans est un peu le paria du village. Son père a été guillotiné, et on attribue à Hans, dans une vision typiquement deterministe, les mêmes pulsions meurtrières que celles supposées de son père. Comme souvent avec Fisher, le spectateur est placé en position de juge moral, car nous savons que Hans est animé des sentiments les plus nobles et les plus justes, et qui si une rage l'anime, elle tient son origine précisément dans le regard qui a été porté sur lui depuis son enfance, et dans l'impitoyable justice exercée à l'encontre de son père. Justice toute relative, sans doute, car nous découvrirons lors du procès de Hans que les juges locaux se passent volontiers de preuves lorsqu'il s'agit pour les accusés de devenir des coupables désignés avant tout par leur ascendance et leur rang social.

Hans va être le bouc émissaire indispensable au maintien de l'ordre des choses, malgré l'intervention à la barre d'un Baron Frankenstein un peu moins misanthrope qu'à l'habitude, insistant pour qu'une part à l'examen rationnel soit faite durant le procès.
Rien n'y fait, Hans est guillotiné par la même machine ne mort que son père-et les vrais coupables laissés tranquilles. Christina ne peut le supporter et se suicide.
Pour le Baron, c'est l'occasion rêvée, et le moment d'entrer en scène. Le film, fort de cette longue première partie en forme de drame social, bascule dans le fantastique. Le baron, tout en fabricant un corps parfait à Christina, y transfert l'âme de Hans, selon le procédé dont il a lui même fait l'expérience au début du film.

Le succès semble parfait, mais rapidement, dans la grande tradition du genre, la créature va échapper au programme de son créateur.

Jouant de ses charmes indiscutables- c'est à nouveau Susan Denberg qui joue cette nouvelle Christina blonde, à la sensualité déchainée- elle attire les bourreaux de Hans, et s'isole avec eux, sous entendant la possibilité d'une étreinte charnelle. L'assouvissement est tout autre : c'est sa vengeance que Hans accomplit, via Christina, massacrant ceux qui l'ont massacré, jugeant ceux qui l'ont jugé.

La mise en scène de Fisher, dans ces moments, se fait plus baroque, via des éclairages plus contrastés, aux couleurs plus violentes. La scénographie du film est aussi intéressante : la présence de la guillotine, à l'écart du village, mais visible de la route, et montrée chaque fois que des personnages passent, filmée à chaque fois en une contre plongée soulignant la fatalité des lois et de l'ordre social qu'elle représente. La demeure du Baron, elle aussi à l'écart, et le bourg, enfin, lieu des échanges et des transactions, sentimentales ou matérielles.

Le traitement de la créature présente une inversion du schéma habituel : d'abord difforme, elle devient belle en se transformant en monstre. Une des facettes de ce film brillant, particulièrement réussi, qui permet à Terence Fisher d'exprimer sa vision à la fois d'un mythe et d'une société, dont il condamne une fois de plus la mécanique broyant les vies laborieuses, épargnant ceux à qui la naissance autorise tout, . Et il réserve à l'expression de la pulsion un rôle moins condamnable qu'à l'accoutumée, puisqu'elle est associée ici au rétablissement de la justice.

dimanche 27 novembre 2011

43- Une fille pour le diable (To the devil a daughter), Peter Sykes, Grande Bretagne / République fédérale d'Allemagne, 1976.



Toute une époque : celle des coproductions européennes de films de genre, celle du mur de Berlin, de l'Allemagne Est/Ouest, et de l’émergence de quelques starlettes des années 80 : Mathilda May, Carole Laure ou Nastaja Kinski, qui joue ici son premier rôle pour le cinéma.

Fin d'une époque, aussi : Une fille pour le diable est l'avant dernier film produit par la Hammer pour le cinéma, et le dernier film fantastique. Ultime tentative pour renouer avec les fastes d'antant ? Peut-être faut-il considérer le supposé déclin de la firme britannique d'un point de vue moins tranché. L'âge d'or de la Hammer a été aussi long que son crépuscule : dès 1965, les anciennes formules s'essoufflent : les deux films que Fisher a réalisé pour la compagnie sont des échecs, et le nouveau, Les vierges de Satan (1968), tout en ouvrant la dernière période du cinéaste, fait judicieusement écho au film de Peter Sykes

En 1968, Les vierges de Satan, en bon film d'exploitation, profite de l’intérêt pour le satanisme et les phénomènes sectaires fascinant le public. S'il cherche à satisfaire de nouvelles attentes, le film est fabriqué dans le moule Hammer : Fisher derrière la caméra, Christopher Lee devant, l'équipe artistique habituelle : James Bernard, Bernard Robinson, ou Roy Ashton, qui créer un saisissante visage de diable pour une cérémonie païenne.
L'intuition de la hammer est juste, mais son temps est passé : cette année-là, c'est devant les caméras de George Romero et Roman Polanski que se fabriquent les images destinées à rester dans les mémoires : Rosemary's Baby et La nuit des morts-vivants sortent la même année que le film de Fisher.

C'est donc d'Amérique, pour un long moment, que proviennent les images à imiter, et que s'initient les modes. Une fille pour le diable, comme Les vierges de Satan, est adapté d'un roman de Denis Weathley. L'horreur invisible, insidieuse, dont la possession démoniaque est l'illustration vient de triompher au box-office : L'exorciste, de William Friedkin, sorti trois ans plus tôt a créé un nouveau sous genre du cinéma fantastique.
Le film de Peter Sykes respecte scrupuleusement le cahier des charges : une jeune fille possédée, promise au démon, un homme d'âge mûr, décidé à faire sortir le diable de son corps, des satanistes prêt à tout pour l'y remettre et permettre l'avènement de l'antéchrist. Des rituels païens riches de couleurs, mais chiches d'habits pour les figurants, des exorcismes musclés, et comme Nastaja Kinsky est plus âgée que Linda Blair, de la nudité frontale.

Une fille pour le diable relève plus de la curiosité que de l'oeuvre cinématographique intéressante en soi. Il s'agit d'un pur film d'exploitation, et on y trouve précisément ce qu'on est venu y chercher. Peter Sykes filme selon le goût de l'époque : abondance de zooms et de caméra portée dans les moments d'hystérie. L'univers plastique du film est en rupture avec la tradition Hammer : à la suite de Friedkin, il faut tenter de donner un aspect documenté et contemporain aux images : l'action se déroule à l'époque du tournage, beaucoup d'extérieurs naturels bien localisables (des vues aériennes nous permettent de reconnaître des monuments londoniens ), scènes de rues avec figurants « non-professionnels ». Cela n'empêche pas Sykes de créer un univers visuel au film, et de proposer une vraie direction artistique, avec des décors presque monochromes (importance des blancs dans les intérieurs, surfaces vitrées, accessoires peu nombreux...) et des extérieurs bien choisis : les satanistes vivent sur une île photogénique, le final dans un cercle de pierres dressées...

Le début du film est très intriguant, les pièces manquantes judicieusement choisies, on a envie d'avoir le fin mot de l'histoire. Le fait que les cultistes démoniaques portent soutanes et cornettes et se font passer pour une secte chretienne entretient longtemps un doute qui nous accroche à l'histoire et permet de produire quelques images étranges et joyeusement blasphématoires. Peter Sykes a d'ailleurs un sens certain pour la vignette fantastique : comme par exemple lorsqu'un personnage, venu se documenter dans l'enfer d'une bibliothèque catholique, tire en livre et libère un gros asticot blanc se tortillant sur l'étagère.

Les acteurs apportent tous de la conviction à leur personnage, et ils participent grandement à la réussite mineure du film. Christopher Lee, surtout, s'avère plus qu'excellent dans le rôle du prêtre banni de l'église et principal serviteur du démon. On comprend qu'il regrette de rester dans les mémoires pour son Dracula- qui au fond, n'est qu'une silhouette presque muette- car quand l'occasion lui est donnée comme ici, il est un acteur charismatique et fin. L’inénarrable scène nous le révélant en plongée, cul nul, s’apprêtant à permettre au diable, via son transport, de pénétrer le corps d'une adoratrice, a tout de même était assurée par sa doublure. Loin le temps où il suffisait de montrer une bouche aux canines pointues s'ouvrir au dessus d'une poitrine palpitante pour produire une sensation hautement érotique.

Une fille pour le diable entérine un changement d'époque, et confirme, avec un professionnalisme certain le triomphe des nouveaux canons du cinéma fantastique des années 70.

mardi 22 novembre 2011

42- Butterfly Murders, Tsui Hark, Hong Kong, 1979


Brzzz. Foï, Klekss, Bshaam.
Il faudrait sans doute inventer de nouveaux mots et une nouvelle grammaire pour se mettre à la hauteur de Tsui Hark, qui lui, le fait au cinéma depuis plus de trente ans.

Trois décades inaugurées par ce Butterfly Murders, film inattendu pour son auteur même, puisqu'au moment où la possibilité de réaliser un long-métrage de cinéma lui est offerte, Tsui Hark ne se sent pas prêt, mais ne peut bien évidemment pas laisser passer l'occasion. Le budget est très maigre, mais l'argent semble être la dernière chose qui manque au génial Tsui pour concrétiser ses visions, tant il déborde, déjà, d'idées.

L'histoire, d'abord, typique de lui, c'est à dire, sinon incompréhensible, du moins à peu près inracontable : il est question d'un château dont veulent s'emparer des clans rivaux et de morts mystérieuses se succédant dans l'enceinte de la forteresse envahie. Mais avant même l'histoire, l'argument lui-même porte la marque irréductible de son inventeur : Des meurtres perpétrés... par des papillons tueurs ! Et Tsui Hark n'est pas cinéaste à se cacher derrière des ellipses confortables, ou à dissimuler des effets spéciaux approximatifs par un montage jouant sur le hors champ. Les attaques des papillons sont filmées plein cadre, et sont une des réussites du film, donnant lieu à des scènes à la fois sanglantes et poétiques, relevant presque du giallo insecticide ou du slasher entomolgique. Le film est aussi un film de chevalerie martiale, un mystère policier médiéval et s'il est une pulsion créatrice déjà à l’œuvre, et qui ne quittera guère Hark tout au long de sa carrière, c'est celle du mélange et de l'amalgame des genres, des registres, c'est la collision des couches de récit, des points de vue, des protagonistes, ce mouvement tourbillonnant dont Tsui Hark n'est pas l'organisateur mais plutôt le propagateur. Tsui Hark ne réalise pas ses films, il les malaxe. Quand tant de grands cinéastes, avançant dans leur carrière, cherchant l'essentiel de leur art, et la réduction du superflux, Hark, lui, au contraire, semble prendre un malin plaisir à charger toujours plus ses récits et ses images. Il y a là un trait particulièrement attachant, une énergie vitale semblant infatigable et imperméable au découragement et au cynisme qui saisit beaucoup de ses collègues autour de la fatidique rétrocession de 1997.

La matière filmique que Tsui Hark triture, c'est avant tout celle du film d'épée. Genre tombé, en 1979, largement en désuétude, et que Butterfly Murders ne relancera pas, le film est un échec. Il faudra attendre Zu, et surtout, Histoire de fantômes chinois, pour que la nouvelle vague chinoise touche le grand public jusqu'à l'europe.
Le château et les grottes souterraines de Butterfly Murders sont le laboratoire du savant fou Hark. Dans son creuset, il va précipiter, Hitchcock (les papillons tenant lieu d'oiseaux), Agatha Christie et Conan Doyle (le huis-clos meurtrier, les animaux tueurs manipulés ) les super-héros (chaque personnage est défini par son costume et un super-pouvoir, en fait un artifice technique ) et le wu xia pian classique, de King Hu à Chang Cheh. Mais le récit n'est pas prétexte à aligner les affrontements, il est lui même l'objet d'une construction tarabiscotée et osée, à défaut d'être brillante et imparable.

Le récit est pris en charge par un narrateur, nous apparaissant au début du film sur fond de soleil se couchant sur une plaine désertique. Le crépuscule des classiques ? Plus loin ce récit est intégré à lui-même, puisque le narrateur se retrouve confronté, chez un imprimeur, à ce qu'il pense être un faux de ses écrits (!), et in fine, il quittera l'histoire avant l'affrontement final- qui nous sera pourtant montré, alors que le narrateur n'y assiste donc pas !

Ce duel à trois rappellera d'ailleurs bien des conclusions de westerns italiens, une référence qu'il faudrait peut être ajouter à celles déjà citées, le décor désertique, les rivalités de bandits pour un trésor y font songer aussi. A l'issue de ce dernier combat, pas de survivants, tout le monde s'entretue, et c'est peut-être pour ça que le narrateur à préféré quitter la scène ? Le film se referme donc, à peine ouvert, sur lui-même.

Entre temps, on aura découvert que les mystères étaient surtout affaire de dissimulation et de manipulation : les pouvoirs magiques des Fils du tonnerre s'expliquent par des astuces techniques, tout comme le contrôle des papillons meurtriers. Tsui Hark veut mettre à jour les artifices du cinéma : les câbles sont apparents, les trucages expliqués, mais veut aussi retrouver leur capacité d’émerveillement : la mise en scène des combats bénéficie de toute l'attention du cinéaste, qui va chercher dans la dynamique du montage une énergie nouvelle, à l'opposé du travail de Liu Chia Lang et ses héritiers : Ici, c'est la caméra, la coupe, le plan, autant que la performance martiale qui fabrique le combat.

Tsui Hark, c'est ce magicien qui agit presque toujours à vue, et qui, peut-être plus que tout autre, demande au spectateur d'adhérer à un pacte radical : abandonner le réalisme, oublier la crédibilité, ne pas compter sur l'invisibilté du trucage pour « y croire », mais, sur la simple invitation d'un magicien du mouvement, se laisser raconter une histoire. Il y a, aussi, sous le vernis post-moderne de Hark, un rapport très simple à l'image, qui ne prétend pas montrer autre chose que ce qui est mis en scène, qui ne cache rien, qui se donne tout entière dans l'instant- c'est son goût sincère pour le cinéma d'arts martiaux. Cet aspect du cinéma du génial Tsui trouvera son image manifeste dès son film suivant, Histoires de Cannibales, lorsqu'à la fin du film, une jeune femme nous tend un cœur encore palpitant. Les papillons reviendrons clore ce première âge du cinéma de Hark, dans The Lovers. Et aussitôt, la même année, comme en un reflux, The Blade brisera les lames et tranchera les cables que, dans Butterlfy Murders, Tsui Hark ne faisait que nous montrer.

mardi 15 novembre 2011

41- Valérie au pays des merveilles (Valerie a týden divu ), Jaromil Jires, Tchécoslovaquie,1970



Des gouttes de sang tombent sur les pétales d'une marguerite. Des jeunes filles se glissent des poissons dans le bustier. Un voleur de boucles d'oreilles envoie une colombe blanche à Valérie pour la prévenir qu'un danger la menace. Une femme se caresse sur un tronc d'arbre, bientôt rejointe par un homme. Des flagellants entrent sur la place du village lorsque Valérie délivre Aigle, qu'on y avait enchaîné. Le marié écrase son cigare après avoir jeté un regard à la mariée crucifiée. Le cercueil de Valérie est capitonné de pommes. Grâce à la perle qu'Aigle lui a donnée, et qu'elle garde en bouche, Valérie est protégée des flammes du bûcher auquel on la destine.

Difficile de se risquer à dépasser la simple description, lorsqu'on tente d'écrire à propos de Valérie au pays des merveilles. Le titre français tente d'apposer un cadre autour d'un film dont la raison d'être semble être la fuite des schémas narratifs traditionnels. Mais mon regard ethno-centré fausse peut-être mon impression car il y a une tradition d'un cinéma profondément symboliste, surréaliste ou allégorique en europe centrale ; il suffit de penser aux derniers films du polonais Has (la Clepsydre...), à certaines tentatives de Zulawski, ou au cinéma de Svankmajer.

Bien sûr, il est possible de faire une lecture exigeante d'un tel film- le contexte politique, par exemple, de la pologne, au moment où Has fait chacun de ces films suffirait à fournir une piste de reflexion interessante, et sans doute possible aussi avec Jires. De même que le choix d'une mise en image « symbolique » invite évidemment à jouer à decrypter ces symboles. Tout cela me semble bien au dessus de mes moyens intellectuels actuels.

Quelque reflexions tout de même. Sur la qualité des images, d'abord : La photographie du film, très lumineuse et assez aplatie provoque un effet paradoxal assez interessant : la conception parfois abstraite à l'origine des images trouve un écho curieux dans la matérialité très prononcée que le style photographique leur donne. Une photographie plus retravaillée, insistant sur l'onirisme aurait sans doute largement amoindri, finalement, la fascination produite par le film. Les effets réalisés à même le plateau (pas d'effets optiques ni de plans à effets spéciaux ), la présence physique des acteurs, la réalité des décors- une grande partie du film se déroule en extérieurs participent aussi d'un fantastique poétique et inhabituel, comparé en tous cas aux canons du genre majoritairement anglo-saxons.

Car, d'un certain point de vue Valérie relève bien du genre. Jires s'appuie aussi sur des images très codifiées pour fabriquer de la narration : il y a une figure maléfique dans le film, le connétable, qui cumule des aspects de l'homme d'église (le cardinal maléfique... de Richelieu au Christopher Lee d'Une fille pour le diable ) et du vampire. Les flagellants, les tortures liées à l'imagerie médiévale, le peuple, parfois représenté comme une masse anonyme, grégaire et vindicative, la menace d'une féminité s'exprimant sans entraves et vue comme possédée par le mal, autant d'éléments codifiés dans le cinéma fantastique et permettant au spectateur de ne pas perdre complètement le fil et de générer un horizon d'attente minimal mais présent.

A défaut d'investir les assemblages symboliques, on se retrouve avec les seuls acteurs pour trouver de la chair et des sentiments dans le récit. Bien sûr, comme son titre, le suggère, c'est le thème fertile des mystères de la féminité et de l'accès à la puberté d'une jeune fille- la Valérie du titre- qui est la source principale du film. On retrouve, au côté de l'imagerie fantastique déjà évoquée, quantité d'images attendues : colombes blanches, cours d'eau et jeune filles s'y baignant la chemise relevée mi-cuisse, perle qu'il faut cacher au fond de la bouche, masculinité associée à la métamorphose bestiale lorsque le désir la saisit...Le théme, riche de promesses en turbulences, émois, et sursauts de pulsions facilite lui aussi l'investissement du spectateur.

Selon son attachement au scénario et sa capacité à se laisser absorber par un livre d'images très incarnées, on se perdra avec plus ou moins de plaisir dans ce pays des merveilles, tout entier assujetti aux seules règles du désir fluctuant d'une jeune fille en fleurs.


samedi 12 novembre 2011

40- Le fantôme du Paradis: The Phantom Lover (Ye Ban Ge Sheng ) Ronny Yu, Hong Kong, 1995



La hantise, selon les modes et les humeurs les plus divers, est un des motifs préférés du cinéma de Hong-Kong quand il se fait, de tant à autre, fantastique. Ronny Yu aime l'exagération et l'emphase, et c'est à une lecture exagérément tragique qu'il s'adonne ici.

Le projet est risqué et ambitieux : Ronny Yu a besoin de beaucoup d'argent pour mener à bien son entreprise de reconstitution (La Chine du début des années 40 ), et donner corps à une mise en scène pleine de mouvements de grue à même de mettre en valeur les grands décors qu'il souhaite faire construire.

Ronny Yu va obtenir l'argent. Il bénéficie de la présence d'une star très populaire ( Leslie Cheung-également producteur du film ) et du succès de Jiang Hu ( The bride with white hair, déjà avec Cheung )- film de chevalerie mêlant avec une originalité certaine l'imagerie martiale chinoise, le merveilleux occidental, et une imagerie orientale plus vaste, allant jusqu'à l'emploi de motifs slaves- on pense souvent aux illustrations de Bilibine.

Déjà maudit dans Jiang-Hu, Leslie Cheung l'est tout autant ici. Il est bien sûr l'amant fantôme du titre, qui hante un théâtre délabré, dont il fut l'architecte, et demeure l'âme, maintenant qu'un incendie l'a quasiment réduit à l'état de ruine. Cette scène détruite va être investie par une troupe de théâtre, qui voit dans le loyer modeste exigé la possibilité de jouer, pour la dernière fois peut-être, devant un public. C'est le spectacle de la dernière chance qu'ils viennent répéter, car la troupe est ruinée. Mais dès leur arrivée, il semble que le lieu ne soit pas totalement abandonné. L'un des comédiens, dès qu'il franchit les grandes portes du lieu maudit, perçoit une présence, invisible à tous les autres.

C'est ce dispositif, liant à travers les années deux personnages qui donne son intérêt à un film par ailleurs tellement grandiloquent et cherchant si visiblement à fabriquer de l'émotion, qu'il n'y parvient- à mes yeux en tous cas- presque jamais.

Ce théâtre abandonné, évidemment symbolique, c'est celui du grand mélodrame chinois (et américain?) dont la nostalgie hante Ronny Yu hautant que le regret des moments d'amour qu'il y a vécu hante le personnage de Leslie Cheung. Comment faire revivre ce lieu ? Comment faire revivre le cinéma d'autrefois, dont la ruine, preuve matérielle de sa dispariton, s'étale son nos yeux, ?

D'abord, comme des enfants qui jouent (ou des comédiens qui interprètent un rôle...), « on dirait qu'on serait » un comédien adulé et scandaleux. On dirait qu'on serait Leslie Cheung, alors ? Presque : son personnage, plutôt, mais il fait tout pour que son rôle se confonde avec son image publique de vedette. On serait donc Song Dan Ping , qui vient d'ouvrir les portes du théâtre dont il a imaginé les plans, taillés sur (dé)mesure pour ses adaptations de Shakespeare. Le premier mouvement du film, après l'exposition de son cadre délabré, est un long flashback, raconté par le concierge, resté seul gardien des lieux. Ce vieil homme plein de nostalgie- qui embellit sans aucun doute ses souvenirs- c'est certainement Ronny Yu, tout autant que Wei Qing, le jeune homme ayant aperçu le fantôme, et qui écoute avec les autres le récit de la grandeur passée de Son Dan Ping.

Ronny Yu s'abandonne donc à la mise en image de la romance unissant le comédien et Wan-Yin, fille du responsable du parti local. Leur histoire fait évidemment écho à celle de Romeo et Juliette, dont l'interprétation par Dan Ping sur scène bouleverse la jeunesse de la ville, et scandalise les autorités. Le spectacle est d'ailleurs filmé par Ronny Yu dans un style qui se veut sans doute proche de celui des grandes comédies musicales. L'esthétique de ces passages est typique des métissages de Ronny Yu : La scénographie et les costumes nous donnent une idée de ce qu'aurait sans doute donné un Romeo et Juliette adapté par les studios Disney en 1943, et la musique est une pure canto-pop signée de Leslie Cheung lui-même.
Le théâtre de Dan Ping est surmonté d'une verrière qui le fait ressembler à une coupole parisienne de 1910, et au milieu de la salle principale, il a fait installer un pont de fer forgé, dans le seul but de pouvoir y étreindre sa belle, sans doute. Ce détail décoratif suffit à résumer les ambitions plastiques du film : tout plier au désir de Ronny Yu, de refaire, à la fois en ignorant, et en leur rendant hommage, les grandes romances tragiques d'un cinéma encore inconscient de ses propres artifices.

On sera beaucoup plus ému par la description du lien entre le jeune acteur et la vedette déchue. Semblant être le seul à pouvoir dialoguer avec le fantôme, Wei Qing, touché par son art et son histoire, va convaincre sa troupe de modifier son projet au profit d'une nouvelle mise en scène du spectacle que jouait Dan Ping lorsque son théâtre fut incendié. C'est le jeune comédien qui reprendra le rôle principal, et qui, subvertissant un des modèles du film, Le Fantôme de l'Opéra, de Leroux, en transformant un personnage féminin (Christine) en personnage masculin, va prêter sa voix et son corps à la vengeance du Phantom Lover.

On sera d'autant plus ému par cet aspect du film que Leslie Cheung- homosexuel plus ou moins déclaré- se suicida en 2003, à l'âge de 46 ans. La disparition brutale de l'acteur, le figeant dans une beauté juvénile qu'il entretint toute sa carrière donne un écho inattendu à la fin de Phantom Lover. Car le fantôme n'en est pas un. Défiguré durant l'incendie, Dan Ping a choisi de vivre caché, ne supportant pas l'idée d'apparaître en public diminué dans sa beauté. Quand on sait que Cheung a également co-produit le film, on imagine combien les développements associés à la défiguration et à la perte de l'aura procurée par la beauté de l’apparence faisaient écho en lui.

Le passé, dans Phantom Lover, se pare de couleurs flamboyantes, et le présent, des teintes sépias habituellement associées à l'évocation de souvenirs. Cette bulle d'un monde-cinéma dans lequel on pourrait faire tournoyer un kaleidoscope de couleurs tellement plus belles que celles de notre concrète réalité, c'est le refuge de Yu et la raison d'être de ses films. Le suivant, bien plus émouvant, et injustement méconnu, mettra cette idée au cœur de son scénario. C'est un enfant en chaise roulante (comme le fut Yu) qui va pouvoir, dans un monde de rêve, se remettre à marcher, et, partant, à courir, à combattre, à voler. L'idée de Warriors of Virtue (Magic Warriors en France), d'une certaine façon, sera reprise par James Cameron pour son monumental Avatar. Elle traverse les films les plus personnels de Ronny Yu, artisans à la croisée des influences et des esthétiques.

dimanche 6 novembre 2011

39- Il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud, mon vampire : Entretien avec un Vampire (Interview with the vampire), Neil Jordan, Etats-Unis, 1994



Roman Polanski pensait-il se dresser sur un tas de cendres lorsqu'il tourna en 1967 Les intrépides tueurs de vampires, plus connu chez nous sous son titre français : Le bal des vampires ? Était il temps d'offrir au genre un hommage sincère et vibrant en forme d'épitaphe ? Presque trente ans plus tard, Neil Jordan reprend pourtant, comme si de rien n'était, la panoplie complète du film d'épouvante gothique, jusqu'aux canines démesurées gênant la diction des comédiens. Et à propos de canines, le sous-titre du film de Polanski « Pardon me but your teeth are in my neck » deviendrait bien ici « Pardonnez-moi monsieur mais vos dents sont dans le cou de l'autre monsieur ».

Contrairement à ce que semblent penser beaucoup de critiques, pressés de solder les comptes d'une décennie 90-2000 calamiteuse pour le cinéma fantastique, en regard surtout des 20 ans qui ont précédé, le film de Neil Jordan n'est absolument pas un échec commerical. C'est le succès d'un autre film revisitant le mythe du vampire qui permet d'ailleurs sa mise en chantier : Bram Stocker's Dracula, de Coppola. Si le filon n'était pas rentable, nous n'aurions pas eu droit à une relecture systématique, dix ans durant de toutes les icônes de la Universal, jusqu'à une tardive Momie, en 1999, particulièrement éloignée du modèle de 1932. C'est d'ailleurs à Stephen Sommers qu'il appartiendra de fermer ce cycle avec un best-of (enfin, un worst of, plutôt) : Van Helsing- projet déjà esquissé à l'époque du film de Coppola, dont il devait être une suite. Lorsqu'il conviendra de survoler les 20 dernières années du cinéma vampirique, nul doute que le renouveau du genre sera ensuite attribué à la série des Twilight produits par New Line (Warner) et Summit Entertainement, même si entretemps, le genre connaît de nombreuses variations, avatars, et que le canal historique hérité de Christopher Lee n'est jamais vraiment mort.

Le programme affiché par Neil Jordan a tout pour séduire, à priori, les tenants d'un certain passéisme cinématographique, ceux qui estiment que le gore c'est vulgaire, et qu'un Terence Fisher vaudra toujours mieux que dix Tobe Hopper. La mise en scène de Jordan les ravira : on est loin ici du baroque affecté de Coppola. Mais quel peut-être l’intérêt d'un film semblant, 30 ans trop tard, écrire un chapitre de plus au grand livre des vampires de cinéma entamé aux alentours de 1960 à la Hammer films ?

Ouvrons d'ailleurs une parenthèse : En 1957, Riccardo Fredda et Mario Bava, mûs par une de leurs intuitions géniales, tournent Les Vampires (I Vampiri ) modernisation audacieuse du mythe vampirique. Si le film est en noir et blanc, le cadre de son récit est contemporain, et le vampire, féminin, en quête de jeunesse éternelle. L'insuccès du film provoquera la disparition de la figure du vampire (à de rares exceptions) du fantastique italien alors naissant- dont Bava, encore! - organisera trois ans plus tard la naissance. C'est donc le succès du Dracula de Terence Fisher qui empêche l'avènement d'une veine vampirique moderne et pose les canons d'un sous genre- l'horreur gothique – dont Entretien avec un Vampire est sans doute le chant du cygne respectueux et serein. Mais le projet de Jordan finalement, va se retrouver encombré de son objet : le roman d'Anne Rice (et sa popularité), raison d'être, pourtant, du film.

C'est là une des contradictions du film, et une de ses limites. On sent Neil Jordan ravi d'obtenir du studio toutes les largesses rendant possible la fabrication de tableaux luxueux et encombrés, les reconstitutions fastueuses et l'embauche de stars rentables. Le film dégage une vitalité, une profusion luxueuse de costumes, de décors, qui contredit le propos profond qui semble être le sien. Car si l'enveloppe est conforme à la tradition, les thèmes privilégiés par Jordan sont des plus modernes : c'est la solitude du vampire, seul au milieu des foules naissantes arpentant les rues des jeunes villes du nouveau monde, qui devrait constituer le ressort principal, dramatique et esthétique du film.

Jordan tenait là une occasion rêvée pour marier tradition (picturale) et modernité (thématique). En plaçant son intrigue aux Etat-unis, il avait la possibilité d'associer le romantisme européen, ses personnages à l'égo assoiffé d'exaltation se confrontant à des paysages démesurés à l'image de leur désir de grandeur, et cadres idéaux à l'expression de diverses solitudes, avec l'urbanité nouvelle de la nation américaine naissante, pleine de vigueur, bâtie sur l'exaltation paradoxale de l'entreprise individuelle au sein d'un pays dont le devenir commun est l'enjeu fondamental. Mais le sujet est bien au-delà des capacité de Jordan. Après un passage visuellement somptueux aux Amériques françaises, les vampires -aveu d'échec?- se rabattent vers le vieux continent et prennent le bateau pour Paris. Là bas, ils joueront pour nous une suite de tableaux parfois très inspirés plastiquement, mais vides de sens et d'émotion, tant les relations unissant les personnages sont inintelligibles malgré des dialogues grandiloquents et souvent péniblement explicatifs. Aussi remplies de mots que les images le sont d'accessoires et de figurants, les bouches des comédiens, refermées sur un silence mystérieux auraient d'autant plus bénéficié aux récits imagés pris en charge par des images souvent très évocatrices, voire poétiques.

J'évoquais la contradiction fondamentale entre les moyens donnés à Jordan, lui permettant de charger du sol au plafond ses cadres- alors qu'il aurait peut-être fallu faire preuve d'un certain sens du vide pour traduire celui qui s'étend à la place du cœur chez les vampires. Le problème se pose également avec le choix de Brad Pitt qui doit incarner Louis, vampire promenant sous son teint blafard un mal-être permanent. La gageure est impossible à tenir pour le jeune comédien à la mâchoire carrée et à la silhouette athlétique : on a de la peine pour ce californien beau comme un quaterback obligé de jouer les werther souffreteux. Le seul moment où le comédien semble enfin habiter un peu la défroque de Louis, c'est lorsqu'il faut, d'un pas décidé, la faux à la main, aller massacrer ses compagnons de cercueil.

Tom Cruise, par contre, est particulièrement séduisant et charismatique dans le rôle de Lestat, celui qui fait de Louis un vampire, comme chaque fois que cet excellent comédien rencontre un rôle ambigu de personnage antipathique et ambivalent. Et de l'ambivalence, Entretien avec un vampire en déborde. Saluons le courage de Neil Jordan (et des producteurs?) de garder intacte la dimension homosexuelle de la relation entre Lestat et Louis, qui, si elle n'a rien de transgressif, constituait certainement aux yeux de certains responsables du studio une limite au succès possible, et une contradiction handicapante avec la dimension séductrice du vampire, héritée encore une fois de la lecture qu'en fit Terence Fisher. Évidemment, dans le fond, cette audace ne change rien, tant Lestat et Louis sont traités comme un couple- et que ce qui aurait pu mettre en difficulté le film (et permettre de vraies audaces et de vraies interrogations à Neil Jordan) est absent du film : la vie publique de ce couple, dont les seul témoins de la vie intimes sont les spectateurs. Vivons heureux, vivons cachés- pour le coup, le film prend bien la mesure, du point de vue de la sexualité de ses héros, de la triste réalité.

Et lorsque le film injecte un peu de désir hétérosexuel entre les deux hommes du récit, c'est malheureusement par le biais d'une petit fille de dix ans. On ne pourra pas dire que Neil Jordan manque d'humour ! La suite de sa carrière le confirmera : Kirsten Dunst est une actrice extraordinaire, et elle irradie l'écran. C'est le personnage le plus riche en nuances du film, et le seul véritable vecteur d'émotion.

Entretien avec un vampire, comme l'annonce son titre, se déroule à l'intérieur d'un récit cadre, qui lui aussi, souligne l'incompréhension par le réalisateur du véritable sujet de son film.

Un journaliste, en 1991, est reçu par un visiteur prétendant être un vampire. L'entretien a lieu dans une pièce presque vide, et la crédulité de l'interviewer va bientôt laisser place à la fascination. Une coda à la fin du film va revenir à cette chambre d'hôtel, puis en sortir avec le journaliste. Il prend la fuite, pensant échapper au vampire, mais c'est pour mieux tomber entre ses griffes : Lestat, dissimulé sur la banquette arrière, se jette à son cou comme un diable sortant d'une boîte. Revigoré par le sang frais, le vampire s'apprête à prendre à la gorge le XXeme siècle finissant.

Entretien avec un vampire finit là où il aurait du commencer. S'installant au volant d'une superbe voiture américaine rouge sang, Lestat, revétu d'une veste en cuir, dans un geste superbe et significatif, un des plus beaux plans du film, sort ses manches en dentelle de sous les manches de cuir, pour arranger sa mise. Le radiocassette diffuse les lamentations de Louis, enregistrées par le journaliste. Amusé, Lestat ironise sur l'humeur éternellement dépressive de son compagnon d'immortalité, puis il coupe le monologue pour diffuser la radio. Les première mesures d'une chanson rock viennent couper brutalement le clavecin de la bande son- instrument associé durant tout le film à Lestat. La scène frustre d'autant plus qu'elle est, comme on vient de le voir, riche de sens, et parfaitement exécutée. Il semble bien que Neil Jordan, à dessein, aie préféré regarder en arrière, et célébrer avec faste le passé, en un geste finalement peut-être aussi passéiste que celui de Coppola dans son Bram Stoker's Dracula.

Il a eu raison : aucun film de vampire gothique ne bénéficiera plus de pareil budget, et le vampire, entrant définitivement dans notre époque, finira par hanter, non plus des cimetières ni des manoirs, mais les high-schools du teenage cinéma américain.

En artisan soigneux, Neil Jordan cisèle un magnifique livre d'images, regorgeant de visions parfois très inspirées, à l'humour grinçant lorsque le trio de vampires parodient la famille bourgeoise moderne, se perdant dans de belles digressions- tout le passage, inutile mais superbe, situé au théâtre des vampires. Philippe Rousselot, chef opérateur doué, peint des nocturnes de toute beauté, dans des teintes évoquant l'or en fusion, l'ambre, ou le regard d'un chat. Surtout, Entretien avec un vampire bénéficie peut-être de la plus belle partition jamais composée pour un film d'horreur (avec The Final Conflict, de Jerry Goldsmith), par Eliott Goldenthal, qui n'égalera jamais plus ce chef d’œuvre-sauf peut-être pour Jordan encore, dans Michael Collins, mais qui n'est qu'une variation celtisante d'Entretien.  Dès les premières images, et pendant tout le film, on est saisi par la puissance de la musique, son lyrisme grandiose, qui rapetisse des images pourtant remplies de sauvagerie, de sang et de passions exacerbées. Il est le seul a réussir le mariage de classicisme et de modernité que réclamait le film, mais d'une manière si superbe, qu'on s'en contentera volontiers.

vendredi 4 novembre 2011

38- Trick 'r Treat, Michael Dougherty, Etats-unis, 2007


Scénariste à ses heures, Michael Dougherty, qui signe ici sa première réalisation, a du aborder son projet comme un bon élève appliqué, à l'école de l'horreur américaine. Comment faire, en effet, pour rendre attrayante une nouvelle compilation de sketches fantastiques, genre largement tombé en désuétude (la télé est passée par là), s'il eu jamais un réel succès ?
Tout d'abord, plutôt que de chercher à relier ses éléments par un fil rouge plus ou moins artificiel, Dougherty choisit de raconter chacune des quatre histoires formant le film en parrallèle, alternant les récits et multipliant les sauts d'une histoire à l'autre.
De là, sans doute, l'idée, et la nécessité, pour l'auteur, de trouver une unité de lieu et de temps, permettant de faire se croiser les personnages ou les points de vue. Ce sera donc pendant la nuit de Halloween, emblématique de l'invasion d'un fantastique éternel (vampires, loups-garous, sorcières, zombies, ils sont tous là d'une manière ou d'une autre. ) dans le monde séculaire. L'imagerie de la fête célébrée durant la dernière nuit d'octobre va aussi fournir au film son terreau pictural. Rue jonchées de feuilles mortes, forêts hantées aux arbres dénudés, marécages brumeux, citrouilles-lanternes balisant jardins et trottoirs, nuits aux lunes pleines et aux nuages dentelés, enfants aux déguisements inquiétants- mais sont-il vraiment déguisés ? - dans une veine très american horror, le film est visuellemt très réussi et soigné.
Une fois encore, c'est certainement pour éviter l'écueil de l'inévitable éparpillement esthétique du film à sketches que Dougherty donne au sien une sorte de mascotte- qui est tout simplement le croque mitaine d'une des histoires- une variations sur le personnage de l'épouvantail à tête de citrouille, croisé ici avec l'enfant déguisé en quête de bonbons. Un bon choix: le personnage est graphiquement marquant et sa silhouette peut intégrer sans peine la cohorte des monstres fameux de films d'horreurs.
Dougherty s'amuse raisonnablement avec les possibilités que lui offre sa structure chorale et ses personnages se croisant tous à certains moment de l'histoire. Mais on ne peut pas dire non plus qu'on atteigne des sommets de virtuosité narrative, ni que les mises en abyme soient vertigineuses.

N'en reste pas moins que Trick 'r Treat est un excellent petit film d'imagerie réussi mais sans ambition, parvenant à profiter d'une mythologie bien établie et aimée de tous les amateurs de fantastique, et en inversant un certain nombre de cliché, déroule un scénario qui se suit avec plaisir.

Le générique fait défiler des images du film se transformant en case de comics. C'est exactement de ça qu'il s'agit: un bon EC Comics, un conte de la crypte ou une histoire remontée du Vault of Horror, plaisant, dans une esthétique typiquement américaine, très influencée (c'est à la mode) par les productions des années 80- on pense à Joe Dante, au Romero de Creepshow, aux Contes de la nuit noire. Dans ce petit cadre, Trick'r treat est un bien joli tableau.

mercredi 2 novembre 2011

37-Jusqu'au bout du rêve: Field of dreams, Phil Alden Robinson, Etats-Unis, 1989.



Titré jadis en France Jusqu'au bout du rêve, Field of Dreams est de ces films miraculeux dans la carrière de réalisateurs passe partout et sans personnalité. De toute évidence passionné par le projet, qu'il a beaucoup de difficultés à monter après l'echec de son premier film, Phil Robinson semble bien réaliser là l'oeuvre d'une vie. Mais s'il y a un auteur ici, c'est certainement en Kevin Costner qu'il faut le chercher, grand cinéaste, figure largement sous-estimée du cinéma américain contemporain défendant un cinéma classique intéressé avant tout par l'humanité de ses personnages.
Il interprète ici, avec grâce, légèreté et finesse Ray Kinsella, un hippie reconverti dans la culture du maïs, qui entendant des voix lui intimant de raser une partie de ses cultures pour batîr un terrain de base-ball, s'exécute, avec la bénédiction de sa femme et de sa fille.

Qu'on ne s'y trompe pas : Field of Dreams est un pur film fantastique, avec fantômes et voyages dans le temps. Mais il se refuse à tout effet photographique spectaculaire, préférant infuser le fantastique délicatement par de subtils effets de cadrages, ou de lumière. Les fantômes des joueurs, par exemple, disparaissent en s'enfonçant simplement, au fond du plan, dans les maïs bordant le terrain, et la frontière de la zone de jeu leur est infranchissable, ce que nous signifie simplement un gros plan sur leur chaussures devant la ligne.
Et la très belle composition de James Horner n'est pas pour rien dans la réussite de ce climat fantastique délicat, très souvent largement soutenu par une musique qui relaie aussi l'émotion, lorsqu'elle est pudiquement exprimée par les comédiens. Des nappes synthétiques enveloppent Ray lorsqu'il entends les voix, tandis que des morceaux rock associés à l'époque où ils étaient vivants accompagne les fantômes lorsqu'il sont seuls entre eux.

L'imaginaire du film est très américain : c'est même l'americana qu'on célèbre ici, à travers les liens touchants, serrés unissant Ray à sa famille, qui le soutient dans ce qui apparaît aux yeux de tous comme une folie. Champs de Maïs au coucher du soleil, horizons lointains, maison de bois peinte en blanc, rafraîchissements pris sous la véranda de bois, la mythologie des farmers du mid-west est ici célébrée sans cynisme et avec un amour sincère, qui, si on y est sensible, fait vibrer les images.

Plus délicatement, c'est aussi un héritage des années 60 qui est rarement célébrés ici qui anime les personnages les plus positifs du récit : c'est dans la poésie de Whitmann, dans l'attrappe cœur de Salinger (transformé en Terence Mann dans le film) , dans les vapeurs de la weed, et sur les routes, sac au dos, qu'ils ont forgés leur cœurs. Dans une très belle scène, la femme de Ray s'oppose, au cour d'une réunion à l'école de sa fille (c'est donc bien de transmission de valeur qu'il est donc question ), à une autre femme tentant de faire interdire des livres et célèbre cette amérique rarement accolée, au cinéma, à celle des matchs de base-ball, des tracteurs, du magasin général et de la culture rurale.

Indéfinissable, changeant de direction dès que l'on pense savoir où le film va aller, et menant malgré tout à une fin inévitable et émouvante, Field of Dreams, illuminé par la présence de Kevin Costner est de ces beaux films fantastiques méconnus et indémodable, qui laisse longtemps après son générique une impression forte et indéfinissable, mélange de mélancolie et d'apaisement profond.
Mis à part une dernière chronique, la seule pour laquelle nous nous sommes retrouvés pour une rédaction commune, nous avons, chacun de notre côté, mené notre barque de l'autre côté des rivages fantastiques, à bon port, et à l'heure voulue.
Merci à ceux qui nous ont lu, et gardez la lunette pointée par ici, je pense que quelque messages irréguliers pourraient bien venir s'y échouer.
Merci à ceux qui nous ont lu.... Et à bientôt.

P.S: Notre doublé Halloween sera très prochainement complété.

lundi 31 octobre 2011

35-36 La nuit démasque : Halloween, John Carpenter, Etats-Unis, 1978, Halloween, Rob Zombie, Etats-Unis, 2007



Halloween, John Carpenter, Etats-Unis, 1978
Halloween, Rob Zombie, Etats-Unis, 2007



Depuis le succès du remake de Massacre à la tronçonneuse, produit par Michael Bay, la reprise de grands succès du cinéma d'horreur des années 70 et 80 focalise l'interêt et les investissement des producteurs hollywoodiens. Avec de bonheurs plus ou moins variés.



Echappé du hard rock le plus forain, Rob Zombie éveille l’intérêt du landerneau des amateurs de fantastiques avec La maison aux 1000 morts,et hérite de la lourde responsabilité de mettre au goût du jour le classique fondateur du slasher, Halloween, de maître Carpenter.

 

Lorsqu'on lui commande Halloween en 1978, John Carpenter n'a réalisé que deux films, dont le premier, semi-professionnel, expérimental, ne connait qu'une diffusion confidentielle. Le second Assaut est lui-même un remake déguisé et partiel de Rio Bravo. Les qualités du film retiennent l'attention des producteurs. Mais on imagine que le scénario, originellement intitulé « The baby-sitter murders » et centré sur des adolescents, ne passionne pas Carpenter. Il ne reviendra au teen age, qu'à l'occasion de Christine, autre commande contrainte par les échecs répétés de se derniers films.

Rob Zombie va lui aussi répondre à une commande, d'un film mettant en scène des adolescents et à leur destination. Il pourrait parier sur l'ignorance de son public pour refaire le film à l'identique, simplement remixé, ce que lui demandent certainement ses producteurs. Mais son amour authentique pour le genre lui inspire heureusement les plus hautes exigences quant à la fabrication de son remake.



Dans le ressac de ce genre à bout de souffle qu'est le slasher, que reste-t-il entre les mains de Rob Zombie, du Halloween de 1978 ? Autrement dit, quelles sont les images de Carpenter qui survivent dans l'inconscient collectif en 2007 ?



Un tueur mécanique au masque effrayant d'inexpression, privilégiant l'arme blanche massacre des adolescents fornicateurs, fréquentant tous la High-school de cette banlieue résidentielle aux maisons interchangeables.



L'assassin urbain et sophistiqué de la vieille Europe, dont les mobiles résistent en général au moins 1H23 aux interrogations des enquêteurs, traversant l'atlantique s'est transformé en un tueur aux pulsions sans mystère, dont l'accoutrement traduit la prolétarisation. De l'assassin petit bourgeois motivé par l'enrichissement possible, ou tentant d'occulter une faute quelconque pouvant ternir son statut de bien des giallo, nous sommes en présence de la classe laborieuse du meurtre en série, qui ne sais même plus ce qu'elle fait et se contente d'appliquer des processus de destruction comme on applique des processus de fabrication.



C'est d'un genre dont le film de Carpenter est fondateur, et sa mise en scène en assure la postérité d'autant plus qu'elle n'excède jamais les codes qu'elle est en train de créer : ces longues séquences de caméra dont on soupçonne qu'elles pourraientt nous placer dans la subjectivité du tueur. C'est d'ailleurs sur ce doute que repose une partie du suspense.



C'est durant la première séquence que Carpenter se donne les moyens d'établir ce suspens, par l'affirmation très appuyé du point choisi pour décrire les premiers meurtres.

Un long plan en caméra portée nous décrit une maison de banlieue, puis y pénètre. Un masque recouvre la caméra et nous confirme la subjectivité du point de vue et c'est à travers les deux yeux de Mike Myers que nous assistons à la suite. Un bras portant costume de clown et armé d'un couteau entre par la droite dans le champ, une porte s'ouvre, une jeune femme dénudée, qui visiblement connaît son agresseur- elle l'appelle par son prénom-hurle et le bras armé frappe et tue.



À suivre...