dimanche 27 novembre 2011

43- Une fille pour le diable (To the devil a daughter), Peter Sykes, Grande Bretagne / République fédérale d'Allemagne, 1976.



Toute une époque : celle des coproductions européennes de films de genre, celle du mur de Berlin, de l'Allemagne Est/Ouest, et de l’émergence de quelques starlettes des années 80 : Mathilda May, Carole Laure ou Nastaja Kinski, qui joue ici son premier rôle pour le cinéma.

Fin d'une époque, aussi : Une fille pour le diable est l'avant dernier film produit par la Hammer pour le cinéma, et le dernier film fantastique. Ultime tentative pour renouer avec les fastes d'antant ? Peut-être faut-il considérer le supposé déclin de la firme britannique d'un point de vue moins tranché. L'âge d'or de la Hammer a été aussi long que son crépuscule : dès 1965, les anciennes formules s'essoufflent : les deux films que Fisher a réalisé pour la compagnie sont des échecs, et le nouveau, Les vierges de Satan (1968), tout en ouvrant la dernière période du cinéaste, fait judicieusement écho au film de Peter Sykes

En 1968, Les vierges de Satan, en bon film d'exploitation, profite de l’intérêt pour le satanisme et les phénomènes sectaires fascinant le public. S'il cherche à satisfaire de nouvelles attentes, le film est fabriqué dans le moule Hammer : Fisher derrière la caméra, Christopher Lee devant, l'équipe artistique habituelle : James Bernard, Bernard Robinson, ou Roy Ashton, qui créer un saisissante visage de diable pour une cérémonie païenne.
L'intuition de la hammer est juste, mais son temps est passé : cette année-là, c'est devant les caméras de George Romero et Roman Polanski que se fabriquent les images destinées à rester dans les mémoires : Rosemary's Baby et La nuit des morts-vivants sortent la même année que le film de Fisher.

C'est donc d'Amérique, pour un long moment, que proviennent les images à imiter, et que s'initient les modes. Une fille pour le diable, comme Les vierges de Satan, est adapté d'un roman de Denis Weathley. L'horreur invisible, insidieuse, dont la possession démoniaque est l'illustration vient de triompher au box-office : L'exorciste, de William Friedkin, sorti trois ans plus tôt a créé un nouveau sous genre du cinéma fantastique.
Le film de Peter Sykes respecte scrupuleusement le cahier des charges : une jeune fille possédée, promise au démon, un homme d'âge mûr, décidé à faire sortir le diable de son corps, des satanistes prêt à tout pour l'y remettre et permettre l'avènement de l'antéchrist. Des rituels païens riches de couleurs, mais chiches d'habits pour les figurants, des exorcismes musclés, et comme Nastaja Kinsky est plus âgée que Linda Blair, de la nudité frontale.

Une fille pour le diable relève plus de la curiosité que de l'oeuvre cinématographique intéressante en soi. Il s'agit d'un pur film d'exploitation, et on y trouve précisément ce qu'on est venu y chercher. Peter Sykes filme selon le goût de l'époque : abondance de zooms et de caméra portée dans les moments d'hystérie. L'univers plastique du film est en rupture avec la tradition Hammer : à la suite de Friedkin, il faut tenter de donner un aspect documenté et contemporain aux images : l'action se déroule à l'époque du tournage, beaucoup d'extérieurs naturels bien localisables (des vues aériennes nous permettent de reconnaître des monuments londoniens ), scènes de rues avec figurants « non-professionnels ». Cela n'empêche pas Sykes de créer un univers visuel au film, et de proposer une vraie direction artistique, avec des décors presque monochromes (importance des blancs dans les intérieurs, surfaces vitrées, accessoires peu nombreux...) et des extérieurs bien choisis : les satanistes vivent sur une île photogénique, le final dans un cercle de pierres dressées...

Le début du film est très intriguant, les pièces manquantes judicieusement choisies, on a envie d'avoir le fin mot de l'histoire. Le fait que les cultistes démoniaques portent soutanes et cornettes et se font passer pour une secte chretienne entretient longtemps un doute qui nous accroche à l'histoire et permet de produire quelques images étranges et joyeusement blasphématoires. Peter Sykes a d'ailleurs un sens certain pour la vignette fantastique : comme par exemple lorsqu'un personnage, venu se documenter dans l'enfer d'une bibliothèque catholique, tire en livre et libère un gros asticot blanc se tortillant sur l'étagère.

Les acteurs apportent tous de la conviction à leur personnage, et ils participent grandement à la réussite mineure du film. Christopher Lee, surtout, s'avère plus qu'excellent dans le rôle du prêtre banni de l'église et principal serviteur du démon. On comprend qu'il regrette de rester dans les mémoires pour son Dracula- qui au fond, n'est qu'une silhouette presque muette- car quand l'occasion lui est donnée comme ici, il est un acteur charismatique et fin. L’inénarrable scène nous le révélant en plongée, cul nul, s’apprêtant à permettre au diable, via son transport, de pénétrer le corps d'une adoratrice, a tout de même était assurée par sa doublure. Loin le temps où il suffisait de montrer une bouche aux canines pointues s'ouvrir au dessus d'une poitrine palpitante pour produire une sensation hautement érotique.

Une fille pour le diable entérine un changement d'époque, et confirme, avec un professionnalisme certain le triomphe des nouveaux canons du cinéma fantastique des années 70.

mardi 22 novembre 2011

42- Butterfly Murders, Tsui Hark, Hong Kong, 1979


Brzzz. Foï, Klekss, Bshaam.
Il faudrait sans doute inventer de nouveaux mots et une nouvelle grammaire pour se mettre à la hauteur de Tsui Hark, qui lui, le fait au cinéma depuis plus de trente ans.

Trois décades inaugurées par ce Butterfly Murders, film inattendu pour son auteur même, puisqu'au moment où la possibilité de réaliser un long-métrage de cinéma lui est offerte, Tsui Hark ne se sent pas prêt, mais ne peut bien évidemment pas laisser passer l'occasion. Le budget est très maigre, mais l'argent semble être la dernière chose qui manque au génial Tsui pour concrétiser ses visions, tant il déborde, déjà, d'idées.

L'histoire, d'abord, typique de lui, c'est à dire, sinon incompréhensible, du moins à peu près inracontable : il est question d'un château dont veulent s'emparer des clans rivaux et de morts mystérieuses se succédant dans l'enceinte de la forteresse envahie. Mais avant même l'histoire, l'argument lui-même porte la marque irréductible de son inventeur : Des meurtres perpétrés... par des papillons tueurs ! Et Tsui Hark n'est pas cinéaste à se cacher derrière des ellipses confortables, ou à dissimuler des effets spéciaux approximatifs par un montage jouant sur le hors champ. Les attaques des papillons sont filmées plein cadre, et sont une des réussites du film, donnant lieu à des scènes à la fois sanglantes et poétiques, relevant presque du giallo insecticide ou du slasher entomolgique. Le film est aussi un film de chevalerie martiale, un mystère policier médiéval et s'il est une pulsion créatrice déjà à l’œuvre, et qui ne quittera guère Hark tout au long de sa carrière, c'est celle du mélange et de l'amalgame des genres, des registres, c'est la collision des couches de récit, des points de vue, des protagonistes, ce mouvement tourbillonnant dont Tsui Hark n'est pas l'organisateur mais plutôt le propagateur. Tsui Hark ne réalise pas ses films, il les malaxe. Quand tant de grands cinéastes, avançant dans leur carrière, cherchant l'essentiel de leur art, et la réduction du superflux, Hark, lui, au contraire, semble prendre un malin plaisir à charger toujours plus ses récits et ses images. Il y a là un trait particulièrement attachant, une énergie vitale semblant infatigable et imperméable au découragement et au cynisme qui saisit beaucoup de ses collègues autour de la fatidique rétrocession de 1997.

La matière filmique que Tsui Hark triture, c'est avant tout celle du film d'épée. Genre tombé, en 1979, largement en désuétude, et que Butterfly Murders ne relancera pas, le film est un échec. Il faudra attendre Zu, et surtout, Histoire de fantômes chinois, pour que la nouvelle vague chinoise touche le grand public jusqu'à l'europe.
Le château et les grottes souterraines de Butterfly Murders sont le laboratoire du savant fou Hark. Dans son creuset, il va précipiter, Hitchcock (les papillons tenant lieu d'oiseaux), Agatha Christie et Conan Doyle (le huis-clos meurtrier, les animaux tueurs manipulés ) les super-héros (chaque personnage est défini par son costume et un super-pouvoir, en fait un artifice technique ) et le wu xia pian classique, de King Hu à Chang Cheh. Mais le récit n'est pas prétexte à aligner les affrontements, il est lui même l'objet d'une construction tarabiscotée et osée, à défaut d'être brillante et imparable.

Le récit est pris en charge par un narrateur, nous apparaissant au début du film sur fond de soleil se couchant sur une plaine désertique. Le crépuscule des classiques ? Plus loin ce récit est intégré à lui-même, puisque le narrateur se retrouve confronté, chez un imprimeur, à ce qu'il pense être un faux de ses écrits (!), et in fine, il quittera l'histoire avant l'affrontement final- qui nous sera pourtant montré, alors que le narrateur n'y assiste donc pas !

Ce duel à trois rappellera d'ailleurs bien des conclusions de westerns italiens, une référence qu'il faudrait peut être ajouter à celles déjà citées, le décor désertique, les rivalités de bandits pour un trésor y font songer aussi. A l'issue de ce dernier combat, pas de survivants, tout le monde s'entretue, et c'est peut-être pour ça que le narrateur à préféré quitter la scène ? Le film se referme donc, à peine ouvert, sur lui-même.

Entre temps, on aura découvert que les mystères étaient surtout affaire de dissimulation et de manipulation : les pouvoirs magiques des Fils du tonnerre s'expliquent par des astuces techniques, tout comme le contrôle des papillons meurtriers. Tsui Hark veut mettre à jour les artifices du cinéma : les câbles sont apparents, les trucages expliqués, mais veut aussi retrouver leur capacité d’émerveillement : la mise en scène des combats bénéficie de toute l'attention du cinéaste, qui va chercher dans la dynamique du montage une énergie nouvelle, à l'opposé du travail de Liu Chia Lang et ses héritiers : Ici, c'est la caméra, la coupe, le plan, autant que la performance martiale qui fabrique le combat.

Tsui Hark, c'est ce magicien qui agit presque toujours à vue, et qui, peut-être plus que tout autre, demande au spectateur d'adhérer à un pacte radical : abandonner le réalisme, oublier la crédibilité, ne pas compter sur l'invisibilté du trucage pour « y croire », mais, sur la simple invitation d'un magicien du mouvement, se laisser raconter une histoire. Il y a, aussi, sous le vernis post-moderne de Hark, un rapport très simple à l'image, qui ne prétend pas montrer autre chose que ce qui est mis en scène, qui ne cache rien, qui se donne tout entière dans l'instant- c'est son goût sincère pour le cinéma d'arts martiaux. Cet aspect du cinéma du génial Tsui trouvera son image manifeste dès son film suivant, Histoires de Cannibales, lorsqu'à la fin du film, une jeune femme nous tend un cœur encore palpitant. Les papillons reviendrons clore ce première âge du cinéma de Hark, dans The Lovers. Et aussitôt, la même année, comme en un reflux, The Blade brisera les lames et tranchera les cables que, dans Butterlfy Murders, Tsui Hark ne faisait que nous montrer.

mardi 15 novembre 2011

41- Valérie au pays des merveilles (Valerie a týden divu ), Jaromil Jires, Tchécoslovaquie,1970



Des gouttes de sang tombent sur les pétales d'une marguerite. Des jeunes filles se glissent des poissons dans le bustier. Un voleur de boucles d'oreilles envoie une colombe blanche à Valérie pour la prévenir qu'un danger la menace. Une femme se caresse sur un tronc d'arbre, bientôt rejointe par un homme. Des flagellants entrent sur la place du village lorsque Valérie délivre Aigle, qu'on y avait enchaîné. Le marié écrase son cigare après avoir jeté un regard à la mariée crucifiée. Le cercueil de Valérie est capitonné de pommes. Grâce à la perle qu'Aigle lui a donnée, et qu'elle garde en bouche, Valérie est protégée des flammes du bûcher auquel on la destine.

Difficile de se risquer à dépasser la simple description, lorsqu'on tente d'écrire à propos de Valérie au pays des merveilles. Le titre français tente d'apposer un cadre autour d'un film dont la raison d'être semble être la fuite des schémas narratifs traditionnels. Mais mon regard ethno-centré fausse peut-être mon impression car il y a une tradition d'un cinéma profondément symboliste, surréaliste ou allégorique en europe centrale ; il suffit de penser aux derniers films du polonais Has (la Clepsydre...), à certaines tentatives de Zulawski, ou au cinéma de Svankmajer.

Bien sûr, il est possible de faire une lecture exigeante d'un tel film- le contexte politique, par exemple, de la pologne, au moment où Has fait chacun de ces films suffirait à fournir une piste de reflexion interessante, et sans doute possible aussi avec Jires. De même que le choix d'une mise en image « symbolique » invite évidemment à jouer à decrypter ces symboles. Tout cela me semble bien au dessus de mes moyens intellectuels actuels.

Quelque reflexions tout de même. Sur la qualité des images, d'abord : La photographie du film, très lumineuse et assez aplatie provoque un effet paradoxal assez interessant : la conception parfois abstraite à l'origine des images trouve un écho curieux dans la matérialité très prononcée que le style photographique leur donne. Une photographie plus retravaillée, insistant sur l'onirisme aurait sans doute largement amoindri, finalement, la fascination produite par le film. Les effets réalisés à même le plateau (pas d'effets optiques ni de plans à effets spéciaux ), la présence physique des acteurs, la réalité des décors- une grande partie du film se déroule en extérieurs participent aussi d'un fantastique poétique et inhabituel, comparé en tous cas aux canons du genre majoritairement anglo-saxons.

Car, d'un certain point de vue Valérie relève bien du genre. Jires s'appuie aussi sur des images très codifiées pour fabriquer de la narration : il y a une figure maléfique dans le film, le connétable, qui cumule des aspects de l'homme d'église (le cardinal maléfique... de Richelieu au Christopher Lee d'Une fille pour le diable ) et du vampire. Les flagellants, les tortures liées à l'imagerie médiévale, le peuple, parfois représenté comme une masse anonyme, grégaire et vindicative, la menace d'une féminité s'exprimant sans entraves et vue comme possédée par le mal, autant d'éléments codifiés dans le cinéma fantastique et permettant au spectateur de ne pas perdre complètement le fil et de générer un horizon d'attente minimal mais présent.

A défaut d'investir les assemblages symboliques, on se retrouve avec les seuls acteurs pour trouver de la chair et des sentiments dans le récit. Bien sûr, comme son titre, le suggère, c'est le thème fertile des mystères de la féminité et de l'accès à la puberté d'une jeune fille- la Valérie du titre- qui est la source principale du film. On retrouve, au côté de l'imagerie fantastique déjà évoquée, quantité d'images attendues : colombes blanches, cours d'eau et jeune filles s'y baignant la chemise relevée mi-cuisse, perle qu'il faut cacher au fond de la bouche, masculinité associée à la métamorphose bestiale lorsque le désir la saisit...Le théme, riche de promesses en turbulences, émois, et sursauts de pulsions facilite lui aussi l'investissement du spectateur.

Selon son attachement au scénario et sa capacité à se laisser absorber par un livre d'images très incarnées, on se perdra avec plus ou moins de plaisir dans ce pays des merveilles, tout entier assujetti aux seules règles du désir fluctuant d'une jeune fille en fleurs.


samedi 12 novembre 2011

40- Le fantôme du Paradis: The Phantom Lover (Ye Ban Ge Sheng ) Ronny Yu, Hong Kong, 1995



La hantise, selon les modes et les humeurs les plus divers, est un des motifs préférés du cinéma de Hong-Kong quand il se fait, de tant à autre, fantastique. Ronny Yu aime l'exagération et l'emphase, et c'est à une lecture exagérément tragique qu'il s'adonne ici.

Le projet est risqué et ambitieux : Ronny Yu a besoin de beaucoup d'argent pour mener à bien son entreprise de reconstitution (La Chine du début des années 40 ), et donner corps à une mise en scène pleine de mouvements de grue à même de mettre en valeur les grands décors qu'il souhaite faire construire.

Ronny Yu va obtenir l'argent. Il bénéficie de la présence d'une star très populaire ( Leslie Cheung-également producteur du film ) et du succès de Jiang Hu ( The bride with white hair, déjà avec Cheung )- film de chevalerie mêlant avec une originalité certaine l'imagerie martiale chinoise, le merveilleux occidental, et une imagerie orientale plus vaste, allant jusqu'à l'emploi de motifs slaves- on pense souvent aux illustrations de Bilibine.

Déjà maudit dans Jiang-Hu, Leslie Cheung l'est tout autant ici. Il est bien sûr l'amant fantôme du titre, qui hante un théâtre délabré, dont il fut l'architecte, et demeure l'âme, maintenant qu'un incendie l'a quasiment réduit à l'état de ruine. Cette scène détruite va être investie par une troupe de théâtre, qui voit dans le loyer modeste exigé la possibilité de jouer, pour la dernière fois peut-être, devant un public. C'est le spectacle de la dernière chance qu'ils viennent répéter, car la troupe est ruinée. Mais dès leur arrivée, il semble que le lieu ne soit pas totalement abandonné. L'un des comédiens, dès qu'il franchit les grandes portes du lieu maudit, perçoit une présence, invisible à tous les autres.

C'est ce dispositif, liant à travers les années deux personnages qui donne son intérêt à un film par ailleurs tellement grandiloquent et cherchant si visiblement à fabriquer de l'émotion, qu'il n'y parvient- à mes yeux en tous cas- presque jamais.

Ce théâtre abandonné, évidemment symbolique, c'est celui du grand mélodrame chinois (et américain?) dont la nostalgie hante Ronny Yu hautant que le regret des moments d'amour qu'il y a vécu hante le personnage de Leslie Cheung. Comment faire revivre ce lieu ? Comment faire revivre le cinéma d'autrefois, dont la ruine, preuve matérielle de sa dispariton, s'étale son nos yeux, ?

D'abord, comme des enfants qui jouent (ou des comédiens qui interprètent un rôle...), « on dirait qu'on serait » un comédien adulé et scandaleux. On dirait qu'on serait Leslie Cheung, alors ? Presque : son personnage, plutôt, mais il fait tout pour que son rôle se confonde avec son image publique de vedette. On serait donc Song Dan Ping , qui vient d'ouvrir les portes du théâtre dont il a imaginé les plans, taillés sur (dé)mesure pour ses adaptations de Shakespeare. Le premier mouvement du film, après l'exposition de son cadre délabré, est un long flashback, raconté par le concierge, resté seul gardien des lieux. Ce vieil homme plein de nostalgie- qui embellit sans aucun doute ses souvenirs- c'est certainement Ronny Yu, tout autant que Wei Qing, le jeune homme ayant aperçu le fantôme, et qui écoute avec les autres le récit de la grandeur passée de Son Dan Ping.

Ronny Yu s'abandonne donc à la mise en image de la romance unissant le comédien et Wan-Yin, fille du responsable du parti local. Leur histoire fait évidemment écho à celle de Romeo et Juliette, dont l'interprétation par Dan Ping sur scène bouleverse la jeunesse de la ville, et scandalise les autorités. Le spectacle est d'ailleurs filmé par Ronny Yu dans un style qui se veut sans doute proche de celui des grandes comédies musicales. L'esthétique de ces passages est typique des métissages de Ronny Yu : La scénographie et les costumes nous donnent une idée de ce qu'aurait sans doute donné un Romeo et Juliette adapté par les studios Disney en 1943, et la musique est une pure canto-pop signée de Leslie Cheung lui-même.
Le théâtre de Dan Ping est surmonté d'une verrière qui le fait ressembler à une coupole parisienne de 1910, et au milieu de la salle principale, il a fait installer un pont de fer forgé, dans le seul but de pouvoir y étreindre sa belle, sans doute. Ce détail décoratif suffit à résumer les ambitions plastiques du film : tout plier au désir de Ronny Yu, de refaire, à la fois en ignorant, et en leur rendant hommage, les grandes romances tragiques d'un cinéma encore inconscient de ses propres artifices.

On sera beaucoup plus ému par la description du lien entre le jeune acteur et la vedette déchue. Semblant être le seul à pouvoir dialoguer avec le fantôme, Wei Qing, touché par son art et son histoire, va convaincre sa troupe de modifier son projet au profit d'une nouvelle mise en scène du spectacle que jouait Dan Ping lorsque son théâtre fut incendié. C'est le jeune comédien qui reprendra le rôle principal, et qui, subvertissant un des modèles du film, Le Fantôme de l'Opéra, de Leroux, en transformant un personnage féminin (Christine) en personnage masculin, va prêter sa voix et son corps à la vengeance du Phantom Lover.

On sera d'autant plus ému par cet aspect du film que Leslie Cheung- homosexuel plus ou moins déclaré- se suicida en 2003, à l'âge de 46 ans. La disparition brutale de l'acteur, le figeant dans une beauté juvénile qu'il entretint toute sa carrière donne un écho inattendu à la fin de Phantom Lover. Car le fantôme n'en est pas un. Défiguré durant l'incendie, Dan Ping a choisi de vivre caché, ne supportant pas l'idée d'apparaître en public diminué dans sa beauté. Quand on sait que Cheung a également co-produit le film, on imagine combien les développements associés à la défiguration et à la perte de l'aura procurée par la beauté de l’apparence faisaient écho en lui.

Le passé, dans Phantom Lover, se pare de couleurs flamboyantes, et le présent, des teintes sépias habituellement associées à l'évocation de souvenirs. Cette bulle d'un monde-cinéma dans lequel on pourrait faire tournoyer un kaleidoscope de couleurs tellement plus belles que celles de notre concrète réalité, c'est le refuge de Yu et la raison d'être de ses films. Le suivant, bien plus émouvant, et injustement méconnu, mettra cette idée au cœur de son scénario. C'est un enfant en chaise roulante (comme le fut Yu) qui va pouvoir, dans un monde de rêve, se remettre à marcher, et, partant, à courir, à combattre, à voler. L'idée de Warriors of Virtue (Magic Warriors en France), d'une certaine façon, sera reprise par James Cameron pour son monumental Avatar. Elle traverse les films les plus personnels de Ronny Yu, artisans à la croisée des influences et des esthétiques.

dimanche 6 novembre 2011

39- Il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud, mon vampire : Entretien avec un Vampire (Interview with the vampire), Neil Jordan, Etats-Unis, 1994



Roman Polanski pensait-il se dresser sur un tas de cendres lorsqu'il tourna en 1967 Les intrépides tueurs de vampires, plus connu chez nous sous son titre français : Le bal des vampires ? Était il temps d'offrir au genre un hommage sincère et vibrant en forme d'épitaphe ? Presque trente ans plus tard, Neil Jordan reprend pourtant, comme si de rien n'était, la panoplie complète du film d'épouvante gothique, jusqu'aux canines démesurées gênant la diction des comédiens. Et à propos de canines, le sous-titre du film de Polanski « Pardon me but your teeth are in my neck » deviendrait bien ici « Pardonnez-moi monsieur mais vos dents sont dans le cou de l'autre monsieur ».

Contrairement à ce que semblent penser beaucoup de critiques, pressés de solder les comptes d'une décennie 90-2000 calamiteuse pour le cinéma fantastique, en regard surtout des 20 ans qui ont précédé, le film de Neil Jordan n'est absolument pas un échec commerical. C'est le succès d'un autre film revisitant le mythe du vampire qui permet d'ailleurs sa mise en chantier : Bram Stocker's Dracula, de Coppola. Si le filon n'était pas rentable, nous n'aurions pas eu droit à une relecture systématique, dix ans durant de toutes les icônes de la Universal, jusqu'à une tardive Momie, en 1999, particulièrement éloignée du modèle de 1932. C'est d'ailleurs à Stephen Sommers qu'il appartiendra de fermer ce cycle avec un best-of (enfin, un worst of, plutôt) : Van Helsing- projet déjà esquissé à l'époque du film de Coppola, dont il devait être une suite. Lorsqu'il conviendra de survoler les 20 dernières années du cinéma vampirique, nul doute que le renouveau du genre sera ensuite attribué à la série des Twilight produits par New Line (Warner) et Summit Entertainement, même si entretemps, le genre connaît de nombreuses variations, avatars, et que le canal historique hérité de Christopher Lee n'est jamais vraiment mort.

Le programme affiché par Neil Jordan a tout pour séduire, à priori, les tenants d'un certain passéisme cinématographique, ceux qui estiment que le gore c'est vulgaire, et qu'un Terence Fisher vaudra toujours mieux que dix Tobe Hopper. La mise en scène de Jordan les ravira : on est loin ici du baroque affecté de Coppola. Mais quel peut-être l’intérêt d'un film semblant, 30 ans trop tard, écrire un chapitre de plus au grand livre des vampires de cinéma entamé aux alentours de 1960 à la Hammer films ?

Ouvrons d'ailleurs une parenthèse : En 1957, Riccardo Fredda et Mario Bava, mûs par une de leurs intuitions géniales, tournent Les Vampires (I Vampiri ) modernisation audacieuse du mythe vampirique. Si le film est en noir et blanc, le cadre de son récit est contemporain, et le vampire, féminin, en quête de jeunesse éternelle. L'insuccès du film provoquera la disparition de la figure du vampire (à de rares exceptions) du fantastique italien alors naissant- dont Bava, encore! - organisera trois ans plus tard la naissance. C'est donc le succès du Dracula de Terence Fisher qui empêche l'avènement d'une veine vampirique moderne et pose les canons d'un sous genre- l'horreur gothique – dont Entretien avec un Vampire est sans doute le chant du cygne respectueux et serein. Mais le projet de Jordan finalement, va se retrouver encombré de son objet : le roman d'Anne Rice (et sa popularité), raison d'être, pourtant, du film.

C'est là une des contradictions du film, et une de ses limites. On sent Neil Jordan ravi d'obtenir du studio toutes les largesses rendant possible la fabrication de tableaux luxueux et encombrés, les reconstitutions fastueuses et l'embauche de stars rentables. Le film dégage une vitalité, une profusion luxueuse de costumes, de décors, qui contredit le propos profond qui semble être le sien. Car si l'enveloppe est conforme à la tradition, les thèmes privilégiés par Jordan sont des plus modernes : c'est la solitude du vampire, seul au milieu des foules naissantes arpentant les rues des jeunes villes du nouveau monde, qui devrait constituer le ressort principal, dramatique et esthétique du film.

Jordan tenait là une occasion rêvée pour marier tradition (picturale) et modernité (thématique). En plaçant son intrigue aux Etat-unis, il avait la possibilité d'associer le romantisme européen, ses personnages à l'égo assoiffé d'exaltation se confrontant à des paysages démesurés à l'image de leur désir de grandeur, et cadres idéaux à l'expression de diverses solitudes, avec l'urbanité nouvelle de la nation américaine naissante, pleine de vigueur, bâtie sur l'exaltation paradoxale de l'entreprise individuelle au sein d'un pays dont le devenir commun est l'enjeu fondamental. Mais le sujet est bien au-delà des capacité de Jordan. Après un passage visuellement somptueux aux Amériques françaises, les vampires -aveu d'échec?- se rabattent vers le vieux continent et prennent le bateau pour Paris. Là bas, ils joueront pour nous une suite de tableaux parfois très inspirés plastiquement, mais vides de sens et d'émotion, tant les relations unissant les personnages sont inintelligibles malgré des dialogues grandiloquents et souvent péniblement explicatifs. Aussi remplies de mots que les images le sont d'accessoires et de figurants, les bouches des comédiens, refermées sur un silence mystérieux auraient d'autant plus bénéficié aux récits imagés pris en charge par des images souvent très évocatrices, voire poétiques.

J'évoquais la contradiction fondamentale entre les moyens donnés à Jordan, lui permettant de charger du sol au plafond ses cadres- alors qu'il aurait peut-être fallu faire preuve d'un certain sens du vide pour traduire celui qui s'étend à la place du cœur chez les vampires. Le problème se pose également avec le choix de Brad Pitt qui doit incarner Louis, vampire promenant sous son teint blafard un mal-être permanent. La gageure est impossible à tenir pour le jeune comédien à la mâchoire carrée et à la silhouette athlétique : on a de la peine pour ce californien beau comme un quaterback obligé de jouer les werther souffreteux. Le seul moment où le comédien semble enfin habiter un peu la défroque de Louis, c'est lorsqu'il faut, d'un pas décidé, la faux à la main, aller massacrer ses compagnons de cercueil.

Tom Cruise, par contre, est particulièrement séduisant et charismatique dans le rôle de Lestat, celui qui fait de Louis un vampire, comme chaque fois que cet excellent comédien rencontre un rôle ambigu de personnage antipathique et ambivalent. Et de l'ambivalence, Entretien avec un vampire en déborde. Saluons le courage de Neil Jordan (et des producteurs?) de garder intacte la dimension homosexuelle de la relation entre Lestat et Louis, qui, si elle n'a rien de transgressif, constituait certainement aux yeux de certains responsables du studio une limite au succès possible, et une contradiction handicapante avec la dimension séductrice du vampire, héritée encore une fois de la lecture qu'en fit Terence Fisher. Évidemment, dans le fond, cette audace ne change rien, tant Lestat et Louis sont traités comme un couple- et que ce qui aurait pu mettre en difficulté le film (et permettre de vraies audaces et de vraies interrogations à Neil Jordan) est absent du film : la vie publique de ce couple, dont les seul témoins de la vie intimes sont les spectateurs. Vivons heureux, vivons cachés- pour le coup, le film prend bien la mesure, du point de vue de la sexualité de ses héros, de la triste réalité.

Et lorsque le film injecte un peu de désir hétérosexuel entre les deux hommes du récit, c'est malheureusement par le biais d'une petit fille de dix ans. On ne pourra pas dire que Neil Jordan manque d'humour ! La suite de sa carrière le confirmera : Kirsten Dunst est une actrice extraordinaire, et elle irradie l'écran. C'est le personnage le plus riche en nuances du film, et le seul véritable vecteur d'émotion.

Entretien avec un vampire, comme l'annonce son titre, se déroule à l'intérieur d'un récit cadre, qui lui aussi, souligne l'incompréhension par le réalisateur du véritable sujet de son film.

Un journaliste, en 1991, est reçu par un visiteur prétendant être un vampire. L'entretien a lieu dans une pièce presque vide, et la crédulité de l'interviewer va bientôt laisser place à la fascination. Une coda à la fin du film va revenir à cette chambre d'hôtel, puis en sortir avec le journaliste. Il prend la fuite, pensant échapper au vampire, mais c'est pour mieux tomber entre ses griffes : Lestat, dissimulé sur la banquette arrière, se jette à son cou comme un diable sortant d'une boîte. Revigoré par le sang frais, le vampire s'apprête à prendre à la gorge le XXeme siècle finissant.

Entretien avec un vampire finit là où il aurait du commencer. S'installant au volant d'une superbe voiture américaine rouge sang, Lestat, revétu d'une veste en cuir, dans un geste superbe et significatif, un des plus beaux plans du film, sort ses manches en dentelle de sous les manches de cuir, pour arranger sa mise. Le radiocassette diffuse les lamentations de Louis, enregistrées par le journaliste. Amusé, Lestat ironise sur l'humeur éternellement dépressive de son compagnon d'immortalité, puis il coupe le monologue pour diffuser la radio. Les première mesures d'une chanson rock viennent couper brutalement le clavecin de la bande son- instrument associé durant tout le film à Lestat. La scène frustre d'autant plus qu'elle est, comme on vient de le voir, riche de sens, et parfaitement exécutée. Il semble bien que Neil Jordan, à dessein, aie préféré regarder en arrière, et célébrer avec faste le passé, en un geste finalement peut-être aussi passéiste que celui de Coppola dans son Bram Stoker's Dracula.

Il a eu raison : aucun film de vampire gothique ne bénéficiera plus de pareil budget, et le vampire, entrant définitivement dans notre époque, finira par hanter, non plus des cimetières ni des manoirs, mais les high-schools du teenage cinéma américain.

En artisan soigneux, Neil Jordan cisèle un magnifique livre d'images, regorgeant de visions parfois très inspirées, à l'humour grinçant lorsque le trio de vampires parodient la famille bourgeoise moderne, se perdant dans de belles digressions- tout le passage, inutile mais superbe, situé au théâtre des vampires. Philippe Rousselot, chef opérateur doué, peint des nocturnes de toute beauté, dans des teintes évoquant l'or en fusion, l'ambre, ou le regard d'un chat. Surtout, Entretien avec un vampire bénéficie peut-être de la plus belle partition jamais composée pour un film d'horreur (avec The Final Conflict, de Jerry Goldsmith), par Eliott Goldenthal, qui n'égalera jamais plus ce chef d’œuvre-sauf peut-être pour Jordan encore, dans Michael Collins, mais qui n'est qu'une variation celtisante d'Entretien.  Dès les premières images, et pendant tout le film, on est saisi par la puissance de la musique, son lyrisme grandiose, qui rapetisse des images pourtant remplies de sauvagerie, de sang et de passions exacerbées. Il est le seul a réussir le mariage de classicisme et de modernité que réclamait le film, mais d'une manière si superbe, qu'on s'en contentera volontiers.

vendredi 4 novembre 2011

38- Trick 'r Treat, Michael Dougherty, Etats-unis, 2007


Scénariste à ses heures, Michael Dougherty, qui signe ici sa première réalisation, a du aborder son projet comme un bon élève appliqué, à l'école de l'horreur américaine. Comment faire, en effet, pour rendre attrayante une nouvelle compilation de sketches fantastiques, genre largement tombé en désuétude (la télé est passée par là), s'il eu jamais un réel succès ?
Tout d'abord, plutôt que de chercher à relier ses éléments par un fil rouge plus ou moins artificiel, Dougherty choisit de raconter chacune des quatre histoires formant le film en parrallèle, alternant les récits et multipliant les sauts d'une histoire à l'autre.
De là, sans doute, l'idée, et la nécessité, pour l'auteur, de trouver une unité de lieu et de temps, permettant de faire se croiser les personnages ou les points de vue. Ce sera donc pendant la nuit de Halloween, emblématique de l'invasion d'un fantastique éternel (vampires, loups-garous, sorcières, zombies, ils sont tous là d'une manière ou d'une autre. ) dans le monde séculaire. L'imagerie de la fête célébrée durant la dernière nuit d'octobre va aussi fournir au film son terreau pictural. Rue jonchées de feuilles mortes, forêts hantées aux arbres dénudés, marécages brumeux, citrouilles-lanternes balisant jardins et trottoirs, nuits aux lunes pleines et aux nuages dentelés, enfants aux déguisements inquiétants- mais sont-il vraiment déguisés ? - dans une veine très american horror, le film est visuellemt très réussi et soigné.
Une fois encore, c'est certainement pour éviter l'écueil de l'inévitable éparpillement esthétique du film à sketches que Dougherty donne au sien une sorte de mascotte- qui est tout simplement le croque mitaine d'une des histoires- une variations sur le personnage de l'épouvantail à tête de citrouille, croisé ici avec l'enfant déguisé en quête de bonbons. Un bon choix: le personnage est graphiquement marquant et sa silhouette peut intégrer sans peine la cohorte des monstres fameux de films d'horreurs.
Dougherty s'amuse raisonnablement avec les possibilités que lui offre sa structure chorale et ses personnages se croisant tous à certains moment de l'histoire. Mais on ne peut pas dire non plus qu'on atteigne des sommets de virtuosité narrative, ni que les mises en abyme soient vertigineuses.

N'en reste pas moins que Trick 'r Treat est un excellent petit film d'imagerie réussi mais sans ambition, parvenant à profiter d'une mythologie bien établie et aimée de tous les amateurs de fantastique, et en inversant un certain nombre de cliché, déroule un scénario qui se suit avec plaisir.

Le générique fait défiler des images du film se transformant en case de comics. C'est exactement de ça qu'il s'agit: un bon EC Comics, un conte de la crypte ou une histoire remontée du Vault of Horror, plaisant, dans une esthétique typiquement américaine, très influencée (c'est à la mode) par les productions des années 80- on pense à Joe Dante, au Romero de Creepshow, aux Contes de la nuit noire. Dans ce petit cadre, Trick'r treat est un bien joli tableau.

mercredi 2 novembre 2011

37-Jusqu'au bout du rêve: Field of dreams, Phil Alden Robinson, Etats-Unis, 1989.



Titré jadis en France Jusqu'au bout du rêve, Field of Dreams est de ces films miraculeux dans la carrière de réalisateurs passe partout et sans personnalité. De toute évidence passionné par le projet, qu'il a beaucoup de difficultés à monter après l'echec de son premier film, Phil Robinson semble bien réaliser là l'oeuvre d'une vie. Mais s'il y a un auteur ici, c'est certainement en Kevin Costner qu'il faut le chercher, grand cinéaste, figure largement sous-estimée du cinéma américain contemporain défendant un cinéma classique intéressé avant tout par l'humanité de ses personnages.
Il interprète ici, avec grâce, légèreté et finesse Ray Kinsella, un hippie reconverti dans la culture du maïs, qui entendant des voix lui intimant de raser une partie de ses cultures pour batîr un terrain de base-ball, s'exécute, avec la bénédiction de sa femme et de sa fille.

Qu'on ne s'y trompe pas : Field of Dreams est un pur film fantastique, avec fantômes et voyages dans le temps. Mais il se refuse à tout effet photographique spectaculaire, préférant infuser le fantastique délicatement par de subtils effets de cadrages, ou de lumière. Les fantômes des joueurs, par exemple, disparaissent en s'enfonçant simplement, au fond du plan, dans les maïs bordant le terrain, et la frontière de la zone de jeu leur est infranchissable, ce que nous signifie simplement un gros plan sur leur chaussures devant la ligne.
Et la très belle composition de James Horner n'est pas pour rien dans la réussite de ce climat fantastique délicat, très souvent largement soutenu par une musique qui relaie aussi l'émotion, lorsqu'elle est pudiquement exprimée par les comédiens. Des nappes synthétiques enveloppent Ray lorsqu'il entends les voix, tandis que des morceaux rock associés à l'époque où ils étaient vivants accompagne les fantômes lorsqu'il sont seuls entre eux.

L'imaginaire du film est très américain : c'est même l'americana qu'on célèbre ici, à travers les liens touchants, serrés unissant Ray à sa famille, qui le soutient dans ce qui apparaît aux yeux de tous comme une folie. Champs de Maïs au coucher du soleil, horizons lointains, maison de bois peinte en blanc, rafraîchissements pris sous la véranda de bois, la mythologie des farmers du mid-west est ici célébrée sans cynisme et avec un amour sincère, qui, si on y est sensible, fait vibrer les images.

Plus délicatement, c'est aussi un héritage des années 60 qui est rarement célébrés ici qui anime les personnages les plus positifs du récit : c'est dans la poésie de Whitmann, dans l'attrappe cœur de Salinger (transformé en Terence Mann dans le film) , dans les vapeurs de la weed, et sur les routes, sac au dos, qu'ils ont forgés leur cœurs. Dans une très belle scène, la femme de Ray s'oppose, au cour d'une réunion à l'école de sa fille (c'est donc bien de transmission de valeur qu'il est donc question ), à une autre femme tentant de faire interdire des livres et célèbre cette amérique rarement accolée, au cinéma, à celle des matchs de base-ball, des tracteurs, du magasin général et de la culture rurale.

Indéfinissable, changeant de direction dès que l'on pense savoir où le film va aller, et menant malgré tout à une fin inévitable et émouvante, Field of Dreams, illuminé par la présence de Kevin Costner est de ces beaux films fantastiques méconnus et indémodable, qui laisse longtemps après son générique une impression forte et indéfinissable, mélange de mélancolie et d'apaisement profond.
Mis à part une dernière chronique, la seule pour laquelle nous nous sommes retrouvés pour une rédaction commune, nous avons, chacun de notre côté, mené notre barque de l'autre côté des rivages fantastiques, à bon port, et à l'heure voulue.
Merci à ceux qui nous ont lu, et gardez la lunette pointée par ici, je pense que quelque messages irréguliers pourraient bien venir s'y échouer.
Merci à ceux qui nous ont lu.... Et à bientôt.

P.S: Notre doublé Halloween sera très prochainement complété.