dimanche 11 octobre 2015

11/31: Bienvenue à Gattaca (Gattaca), Andrew Nicoll, 1997, USA. De 1h30'10" à 1h30'14"





Nous regardons aux côtés de Vincent Freeman, les étoiles du ciel nocturne, que les étoiles dévoilent et masquent.

Le plan choisi dans le film d'Andrew Niccol est un plan subjectif. C'est un contrechamp qui nous fait partager la vue que Vincent a du ciel. Juste avant, on l'aura donc vu allongé dans l'eau, nu, flottant sur le dos, regarder la voûte céleste et nocturne.
C'est cette subjectivité qui donne sa valeur à ce plan banal, vu mille fois, du ciel étoilé. D'autant plusque c'est le seul dans tout le film. Dans Bienvenue à Gattaca, récit centré sur un personnage à l'obsession absolue pour le voyage vers les étoiles, on ne les voit qu'une fois, à ce moment-là. Pourtant, ce panorama là ne quitte jamais les pensées de Vincent. C'est son image mentale qui le guide et lui permet de supporter ce qu'il fait subir à son corps. Car pour avoir le droit de partir dans les étoiles il faut appartenir à la caste des hommes et femmes prévu par la sélection génétique pour accomplir cette tâche. Autrement dit, il faut que ce soit son destin. Et pour ceux qui n'ont pas été prévus ne reste que les tâches sans qualification, les métiers ingrats où le remplacement d'un travailleur par un autre n'a aucune importance.  ça ou s'infliger le calvaire d'une imposture.

Ce qui a été le choix de Vincent, devenu, à force de volonté et de paris insensés, un autre. Cet autre c'est Jérôme, ange déchu pour que les étoiles sont aussi inaccessibles que l'étage de son appartement depuis qu'un accident le tient cloué dans un fauteuil roulant. Aussi, mi par opportunisme, mi par jeu, permet-il à Vincent, moyennant finances, d'emprunter son identité. Tous les jours, il faut donc que Vincent demeure Jérôme. Pour cela, il faut se dissimuler et se falsifier jusqu'au bout des ongles, jusqu'au moindre cheveu. Car chaque rognure oubliée, chaque cil perdu, potentiellement, est un judas qui peut révéler aux robots détecteurs la supercherie et l'imperfection scandaleuse de Vincent.

Mais au milieu de l'océan, totalement coupé du reste du monde, il peut enfin se laisser aller, et s'abandonner à contempler ce qu'il désire tant: le ciel, et surtout les étoiles. Même ce spectacle, Vincent ne peut se le permettre. Car ce simple regard pourrait bien le trahir. Il a déjà attiré l'attention d'une collègue qui a remarqué qu'il ne ratait jamais un lancement de fusée, alors qu'au centre spatial ou ils travaillent tous les deux, c'est le plus ordinaire des spectacles. Voilà bien ce qui distingue Vincent, avant son infériorité génétique:  le feu qu'il a au coeur, le désir impérieux et déraisonnable que le spectacle de l'espace a fait naître en lui. Comment les futurs navigateurs du programme spatial, ni enthousiastes, ni réticents, pourraient-ils, eux, avoir le moindre sentiment à l'encontre de leur mission, puisqu'ils ont été conçus pour la remplir ?
Quelque chose de robotique dans leur démarche, dans leur regard, trahi d'ailleurs cette fonctionnalité qui semble être la seule tension de leur existence. Autour de Vincent, les hommes et les femmes sont interchangeables. Ils se correspondent. Mais pas lui. Il sait que si on s'y penche vraiment, rien ne raccorde tout à fait entre le profil qu'il emprunte, et le sien. Il suffirait même qu'un gardien consciencieux compare vraiment la photo d'identité sous laquelle il apparaît tous les jours, et les traits de son visage.

Pourquoi Vincent s'autorise-t-il alors ce regard vers les étoiles, vers la fin du film, et pourquoi Andrew Niccol décide-t-il de nous le faire partager ?

Simplement parce que seul, Vincent peut se permettre d'être lui-même, ou plutôt peut-être, cesser d'essayer d'être quelqu'un. Le voilà, et c'est le seul moment du film, accessible à l'abandon. Même lorsqu'un peu plus tôt, il a été surpris par le sommeil dans les bras d'Irène, sa première réaction paniquée, et de fuir le lit, et d'effacer, à l'abris des regards, toute trace de Vincent sur lui: peaux mortes, cheveux cassés... Mais reposant sur les vagues, au coeur de la nuit, nimbé de brouillard, il est possible d'enfin se retrouver.

Plastiquement, si on se permet de dériver un peu, le dispositif a quelque chose de ces plafonds peints à la renaissance, ouvrant en prolongeant par des trompe-l'œil les plafonds sur des ciel remplis de nuages, et peuplés de personnages souvent inspiré de l'antiquité. L'arsenal plastique est réduit à l'essentiel dans le film de Niccol: le personnage déshabillé, la brume bordant le ciel, la subjectivité du regard, la perspective en contre plongée perpendiculaire au ciel. Demeure néanmoins la persistance et la pertinence de la référence mythlologique. Film presque allégorique, Bienvenue à Gattaca déroule l'histoire d'un personnage prométhéen. Les êtres génétiquement préconçus sont comme des dieux à qui il s'agit à la fois de voler le savoir, et de duper. Crime absolu, comme dans les récits grecs, Prométhée ne sera cependant ici pas puni. C'est qu'on est à hollywood, dans un film très profondément américain. Il est donc impossible que la volonté ne triomphe pas. D'autant plus qu'elle émane d'un homme du peuple, porté par son inspiration au bonheur.

Cette figure prométhéenne se double tout de même d'une référence à un autre mythe plus inattendu: celui de Sisyphe dont la malédiction dont le pire aspect n'est pas la difficulté, mais la récurrence. Or Andrew Niccol insiste beaucoup, dans le film, sur la répétition des gestes que doit accomplir quotidiennement Vincent pour maintenir son imposture et conserver sa place au sein de l'olympe des aspirants navigateurs.  Bien entendu, pour Vincent, nul destin tragique. Là encore, Niccol réinterprète le mythe à l'aune de sa culture. Pour Vincent la rupture du cycle est possible, elle justifie même la nature de son rêve. On a en effet appris, au détour d'une conversation, que sur Titan, destination du voyage spatial prévu, les lois de la Terre ne semblent plus avoir cours. En tout cas, telle est la conviction de Vincent, persuadé que là-bas ses crimes lui seront pardonnés.

Ce regard vers les étoiles, c'est aussi, simplement, celui d'un homme convaincu qu'il y a quelque part pour lui un refuge où tout peut être recommencé, où les derniers seront les premiers, où ceux qui sont rejetés ici seront accueillis là-bas. Autre mythe, tout américain celui-là, de la seconde chance, du pays de cocagne, de la frontière au delà de laquelle le bonheur attend les pionniers. Mythe devenu universel: souvenons-nous de ces hommes et femmes qui regardent aussi, depuis les flots, le ciel étoilé au dessus de nos frontières au-delà desquelles ils espèrent pouvoir recommencer à vivre.

Pour l'heure, Vincent, lui, va devoir reprendre dès l'aube les rituels de son imposture, comme autant de pentes contre lesquelles faire rouler les rochers de ses espoirs. En attendant, pendant un instant de répit, il est un Sisyphe que l'on imagine heureux.









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire