lundi 19 octobre 2015

19/31 : Le Trou noir (The black Hole), Gary Nelson, USA, 1979. De 10'36'' à 10'46''





            Le Palomino, astronef d'exploration spatiale, est attiré vers un trou noir tandis qu'il inspectait l'épave du Cygnus, vaisseau fantôme orbitant à sa proximité.




            Certaines théories physiques prétendent aujourd'hui proposer des alternatives à cet objet cosmique d'abord conjecturel, puis devenu aussi mythique que "réel" à partir de ses premières observations durant les années 70, le Trou noir. L'une de ces théories propose de substituer à la dénomination "trou noir" un terme qui a connu dans le cinéma de science-fiction des quarante dernières années une postérité tout à fait inédite : "l'étoile noire". Que serait cette étoile particulière ? De la même façon, elle est un objet issu de l'effondrement d'une étoile massive. N'allons pas plus loin, le reste est affaire de physiciens - et nous parlons ici de cinéma...


            Si j'ai eu envie de commencer mon commentaire du jour par cette petite mise au point, c'est d'abord pour rappeler qu'il y a quelque chose de commun entre ces mots de l'astrophysique et ceux de la science-fiction - et que parfois, la première, sans même se soucier de le faire, nous évoque la seconde... Car si quelque chose est certain à propos de ce Trou noir très daté, c'est son "sous-texte" - ou "sous-film" si cela peut exister - éloquent au sujet des étoiles d'Hollywood.


            Le Trou noir a toutes les apparences du film "marin", et même "sous-marin", pour continuer avec les palimpsestes. La première référence évidente de ce film, aux multiples précédents, c'est bien entendu 20.000 lieux sous les mers, le roman de Jules Verne, encore lui !, mais aussi et surtout le film du même nom de Fleischer, avec Kirk Douglas, produit en 1954 sous l'égide Disney. Des fonds marins aux espaces interstellaires, des sous-marins aux vaisseaux spatiaux, il y a là un changement d'époque, qui rend évidemment plus cruel encore le naufrage que connaît durant ces années 70' l'un des plus grands studios du cinéma américain avec ce film au budget titanesque. Nelson n'est certes pas Fleischer, même si tous deux appartiennent à la catégorie des faiseurs - mais le premier s'est d'abord illustré dans la série télé, quand le second nous a tout de même laissé Soleil Vert ou Le Voyage fantastique ! - mais surtout Maximilian Schell, Anthony Perkins ou Ernest Borgnine apparaissent là comme les acteurs de seconde zone qu'ils étaient - hélas - devenus : nous sommes bien loin du casting de dream team des Douglas, Mason et Lorre qui peuplait de leur éclat de stars internationales le Nautilus disneyien. C'est que dans l'intervalle, le studio à la souris s'est abimé dans les obscurités d'une tempête que pas plus que les autres grandes majors de son époque il n'avait vu venir...


            Le plan à commenter ce jour nous présente un vaisseau comme emporté dans les remous  inéluctables d'un tourbillon que l'on devine sans pouvoir le voir. Ce tournoiement structure l'image : celui qui conduit vers l'arrière-plan cette boite de conserve à trois pattes, astronef bien chétif pour affronter les dangers sidéraux, mais aussi celui, majestueux et régulier de ce fameux trou noir, dont les disques d'accrétion ne sont pas sans évoquer les bras d'une galaxie spirale. On ne peut ici tout à fait se sortir de ce paradoxe, essentiel au cinéma : le trou noir n'existe que parce qu'on ne le voit pas. Ou plutôt, on ne l'aperçoit que par l'effet qu'il produit sur son environnement - et ces effets sont majeurs, et de l'ordre du "très visible", puisqu'il aspire proprement tout ce qui passe à sa portée. Un monstre d'une certaine façon, un ogre cosmique, qui se renforce de sa propre avidité ! 


            Le mouvement sur lequel repose la force dramatique du plan relève donc du suspens : il est bien possible que le Palomino et ses sympathiques astronautes disparaissent de notre horizon dès les premières minutes du film ! Nous savons qu'il n'en sera rien. C'est que ces hardis explorateurs, avant de se laisser happer par cette monstruosité physique ont rencontré un autre trou noir, l'un de ceux, toutefois, dont on pourrait dire : "ce n'est pas un trou noir, c'est un vaisseau intersidéral"... Celui-ci, baptisé Cygnus, du nom de la constellation où fut formellement observé le premier trou noir de l'histoire de l'astronomie, tout le monde le pensait disparu corps et âmes, et c'est une première surprise de l'apercevoir d'abord comme la silhouette fantôme d'une tache de ténèbres sur le fond cosmique. Ce bâtiment nous est apparu comme une absence d'image, quelque chose qui ne pouvait se voir que par la présence de son environnement : l'exact définition d'un trou noir - et en l'occurrence un effet de mise en scène tout à fait remarquable et franchement inquiétant. 


            Bien entendu, lorsque le minuscule Palomino est passé sous sa coque, et que la majestueuse musique de Barry a retenti, l'on ne pouvait pas ne pas penser à un autre fameux télescopage spatial de deux vaisseaux dont l'un finissait par engloutir l'autre - mais tout ceci s'était passé il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine... Notre plan intervient juste après cette première rencontre, au moment même où les scientifiques du Palomino comprennent que le Cygnus se tient précisément en "équilibre" sur le trou noir - équilibre qu'eux ne parviennent pas à conserver. Leur mouvement dilatoire pour tenter d'échapper à l'inexorable force d'aspiration a quelque chose de l'esthétique même du plan, et de la séquence qui le précède immédiatement :               Nelson - s'il y est pour quelque chose...- pose son action dans registre précis, un premier vaisseau, monumental et olympien, est capable de demeurer hors de portée du trou noir, quand un second, petit et grotesque, inexorablement est emporté dans la tourmente. Même si le Palomino parvient à e sortir de ce mauvais pas, la messe est dite : le seul développement possible du récit ne pourra avoir lieu que dans la tension entre ces deux "trous noirs", le Palomino est insignifiant en tant que tel. 


            L'on ne peut s'empêcher tout de même de voir dans ce petit astronef comme l'image de ce qu'étaient devenus les studios Disney à l'aube de ces années 80. La décennie qui se ferme pour eux avec ce film a été pour tout le cinéma hollywoodien une période trouble, durant laquelle le divertissement de masse propre à cette industrie s'est trouvée mise à mal par quelques trublions que personne n'avaient vu venir... Ces deux trous noirs, ces deux motifs d'une image noircie, oblitérée pourrait-on dire, n'ont cependant pas tout à fait le régime : le Cygnus, précis dans sa forme, même absente, apparaît comme la trace d'un passé grandiose, vis-à-vis duquel on était partie prenante, quand le trou noir, le "vrai", invisible en tant que tel, mais brouillon et agité, semble l'image d'un avenir confus et indistinct, et forcément dangereux. C'est aussi que ce film se construit, même esthétiquement, à partir de deux balises, qui sont à la science-fiction comme les deux bornes de ce fameux cinéma américain des années 70' : d'une part 2001, L'Odyssée de l'espace, dont la séquence finale est presque une reprise intégrale, et bien entendu, La Guerre des étoiles, dont "l'ombre portée" plane sur chacune des séquences.


            Que les executive de Disney ait pu imaginer un tel grand écart, dramatique et plastique, nous raconte l'affolement dans lequel s'est débattu le studio pendant un temps, courant après sa grandeur perdue, à l'image de la différence entre ce Reinhardt, digne héritier de Nemo et de ses desseins démesurées, et pourtant immobilisé par sa propre ambition, et cette équipe de "pros" dont la veulerie le dispute à l'amertume, et que ne pourra sauver que le courage et l'humour d'un petit robot... 


            Et pourtant ! On peut aussi voir dans la reprise en main du Cygnus par l'équipage du Palomino, non seulement la mise au pas  d'une certaine idée du passé, éventuellement idéalisée, mais aussi et surtout la capacité qu'ont les studios à se ressaisir lorsque les circonstances le nécessitent. En cette fin des années 70', le temps des démiurges est terminé, celui des pionniers comme celui des nouveaux venus. L'ambition n'est plus de mise, et ce Palomino entre deux mondes finit tout de même par choisir de se laisser glisser vers l'ogre qui veut l'avaler. La période de transition doit s'achever, c'est sa définition même : si s'effondrer sous son propre poids est le destin des étoiles supermassives, c'est aussi celui de quelques studios qui toutefois "too big to fall" finissent par absorber, pour continuer de demeurer, toute la "matière" environnante. Que près de trente ans plus tard, le prochain Star Wars s'ouvre sous la signature Disney raconte quelque chose de cette inéluctable altération propre au cinéma américain, dans lequel les étoiles finissent toujours par retrouver leur place.

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