jeudi 15 octobre 2015

15/31 La guerre des mondes (The war of the worlds)- Byron Haskin- 1953- USA, de 51'37" à 51'43"





                


 Les soucoupes martiennes ont envahi la terre. Le Dr Clayton Forrester et Sylvia Van Burren fuient la ferme dans laquelle ils ont trouvé refuge, qui est détruite par l'envahisseur de la planète rouge.


                Il fallait bien que ça arrive: à force de partir à la conquête de l'espace, il était inévitable que l'espace finisse par nous envahir. Archétype du récit d'invasion extra-terrestre, La guerre des mondes d'H.G Wells, dans ses déclinaisons cinématographiques ne relève pourtant de la science-fiction qu'en surface. Il s'agit presque toujours de réduire la présence des martiens à un prétexte permettant la mise en image des angoisses les plus profondes de la société contemporaine de la fabrication du film.

                Maintenant que nous bénéficions du recul de l'histoire, il y a une certaine ironie dans le film produit par George Pal. S'il est évident que le péril martien est surtout symbolique d'une crainte des idées communistes et de la menace ressentie par les américains face à un colosse politique aux capacités de nuisance au fond méconnues, c'est sur un plan bien matériel que le cauchemar du film va se réaliser: cinq ans après sa sortie, les Etats-Unis perdent effectivement la première bataille de la course spatiale- aussi soudainement que les terriens sont anéantis par les martiens dans le film.

                D'où une résonance inattendue des plans mettant en scène les soucoupes martiennes: c'est bien dans l'espace que la grande défaite idéologique de la guerre froide va se dérouler. Et si l'impact d'un film comme Destination Lune- produit par le même George Pal- malgré son succès, demeure sans réelle conséquence sur le genre- celui de la guerre des mondes est énorme. Sans doute parce que son imagerie repose sur l'angoisse, et n'a pas besoin de s'appuyer sur un anticipation scientifique, tandis que mettre en scène, dans le même contexte politiquement informé, un voyage dans l'espace ne peut se faire sans imaginer les moyens de ce voyage. Quelle que soit la valeur scientifique réelle des vision des cinéastes, il faut qu'elle donne une impression de cohérence. Peut importe, au contraire, dans La guerre des mondes que l'on voit les fils soutenant les navettes martiennes, ou que le principe même d'une vie sur Mars soit déjà impossible à imaginer.

                A l'image du plan retenu aujourd'hui: ce qui compte, ce n'est pas la crédibilité de la navette martienne mais celle de la maison qu'elle ravage. Steven Spielberg, auteur d'une relecture du film d'Haskin qu'il est impossible de ne pas citer l'a formidablement compris et ne modernise presque pas l'arsenal science fictionnel du film. La scène équivalente, dans son film,  à celui d'Haskin ne cache pas plus son apparence de décor en studio. 

Steven Spielberg n'a pas peur de reprendre à son compte l'esthétique "studio" de Pal et Haskin (la guerre des mondes, 2005)

             La résolution et l'argument initial sont étonnamment identiques. Par contre, ce que Spielberg accorde avec les angoisses de son époque, c'est la symbolique du film: ainsi, chez lui, les martiens ont toujours été là, caché parmi nous, et n'attendaient que leur "activation" par leur autorité supérieure pour se transformer, de cellule dormante, en engin de destruction massive.



                Pas besoin d'actualiser, non plus, cette petite ferme qui semble pouvoir représenter pour toujours une certaine vision que l'Amérique a d'elle même. On la retrouve telle quelle dans le Superman de Richard Donner- film qui d'une certaine façon retourne le principe de La guerre des mondes: pas d'invasion mais une immigration, puisque le jeune Kryptonien Kal-El est un réfugié- un dissident ?- accueilli par l'Amérique, par l'Americana même. il faut dire qu'entre-temps les Etats-Unis ont remporté la guerre... des étoiles.

Citation du plan d'Haskin par Spielberg. (La guerre des mondes, 2005)

                Film lui même revisité, Superman devient Man of Steel sous la caméra de Zack Snyder, qui mentionne encore la ferme archétypale. L'oeil de Snyder, particulièrement aiguisé lorsqu'il s'agit de s'approprier une imagerie, biaise cette fois légèrement notre regard, et peut-être, prend acte d'une altération de la symbolique de cette ferme américaine. Dans Man of Steel, remplie de feraille, réduite à des hangars et des champs aux contours indéfinis, elle n'offre, surtout, aucune protection au jeune Superman encore fragile.

                Le film de Snyder est d'ailleurs le dernier avatar de cette guerre des mondes. Au dissident héroïque sont cette fois opposés des réfugiés agressifs, prêt à éradiquer les terriens pour retrouver un espace vital dont le partage est pour eux inenvisageable. On appréciera donc, en constatant sa perrénité, la puissance de l'image fondatrice illustré par le plan d'Haskin. Aux martiens interchangeables auxquels leur pensée collective semble donner un sens du sacrifice permettant une combativité inébranlable se sont donc substitués aux dernières nouvelles des immigrants dotés de visages et d'individualités, aux désirs contradictoires, mais dont certains épousent les mêmes buts que les martiens de 1953: le projet, toujours aussi effrayant et indémodable de voler leur terre aux américains.

                Projet illustré très littéralement, puisque c'est à une communauté rurale que s'en prennent les envahisseurs. Avant hier chez Haskin, hier chez Spielberg et aujourd'hui chez Snyder. Chez lui, d'ailleurs, la ferme n'est plus le lieu ou l'on peut vérifier la force du lien unissant tous les citoyens américains. Ce n'est pas la petite exploitation des Kent que ravagent les envahisseurs, mais un énorme complexe agro-alimentaire, qui, si l'on devine qu'il a payé pas mal de salaires, ne doit pas être pour rien dans la relative désaffection qui semble frapper Jonathan Kent.

                Par contre, dans cette charmante ferme, plus proche de la cabane, les héros, avant que les martiens ne la détruisent, ont pu reprendre des forces, et se préparer un repas, malgré l'absence des propriétaires, qu'on ne verra jamais. Peu importe: il ne fait aucun doute qu'ils auraient offert l'hospitalité au couple de héros venus s'y réfugié, ceux-ci n'hésitant d'ailleurs pas à s'installer comme s'il était évident qu'on les aurait accueillis. Au passage, le cinéaste nous rappelle aussi très simplement- et avec une certaine élégance- la fonction réelle et symbolique de l'endroit: un lieu qui produit de la nourriture donc un refuge. Les héros choisiront d'ailleurs d'y cuisiner des oeufs. Image prosaïque du petit-déjeuner archétypal de l'américain travailleur (il a forcément besoin de beaucoup d'énergie !) et image symbolique de la source de vie à laquelle on se reconstitue.

                Ce rappel de la valeur du lieu ne va rendre que plus terrible sa destruction quelques secondes plus tard, dans le plan convoqué ici.  Un anéantissement accompli sans passion par un ennemi totalement inhumain. Bien entendu parce que c'est une machine, mais lorsqu'on verra plus tard, brièvement des pilotes martiens, ils n'auront pas plus d'expression- tout juste un geste de peur- et n'ont d'ailleurs pas vraiment de visages, mais des traits identiques à ceux des pseudopodes mécaniques sortants de leur vaisseaux ! Il faut voir là bien sûr une illustration supplémentaire de la peur que suscite la puissance d'uniformisation du système soviétique, d'autant plus forte pour un pays aimant se penser comme l'espace ou tous les individus doivent pouvoir se réaliser. 

Le complexe industriel agro-alimentaire a remplacé l'hospitalière ferme. (Man of Steel, 2013)


            On est à l'opposé, encore une fois, des envahisseurs de Man of Steel, 60 ans (!) plus tard dont les armures-tanks ne laissent apparaître QUE le visage, afin d'y pouvoir lire leurs passions exacerbées. Mais par un pirouette visuelle, le film de Snyder nous renvoie à celui d'Haskin. Lorsqu'il découvre l'histoire de son peuple et de sa planète d'origine, Krypton (la Mars de Superman), c'est à travers un curieux film animé à l'esthétique indiscutablement soviétique !

                Rappel inconscient de la force des images de cette guerre des mondes de 1953 qui a su, comme le plan cité aujourd'hui, traduire très directement le choc frontal des idéologies d'alors par des images lui ayant pourtant largement survécu. Grâce, sans doute, à la permanence des angoisses de nos sociétés... et à l'universalité de la magie du cinéma hollywoodien.

               

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