Combien de soucoupes se sont-elles posées dans les jardins du Capitole ou survolé la capitale
nord-américaine ? Celle que Robert Wise envoie vers la terre en
1951 doit-être une des premières. A son bord Klaatu, ambassadeur
pas commode d'un sorte d'une société des Nations Unies de l'espace.
Très impliqué dans sa mission, il n'en démords pas : il
n'avouera les raisons de sa venue sur terre qu'en présence de tous les chefs
d'Etat terriens. Et le secrétaire d'état qui l'accueille a beau,
patiemment, lui expliquer que ça ne va pas être si simple, rien à
faire. D'autant plus stressant pour le fonctionnaire qu'en cas
d'échec, c'est la survie de la terre qui est menacée. On finira
tout de même par avoir le fin mot de l'histoire : la terre, en
venant d'accéder à l'armement nucléaire, et au vu du passif de ses
habitants, a été mis sur la liste des « planètes voyous »
par la police de l'espace, et telle un Iran galactique, on la prie
d'abandonner la recherche d'armement nucléaire, sous peine de
désintégration pure et simple. L'ultimatum posé, le film, alors
qu'il aurait pu se relancer, se clôt donc par une fin plutôt ouverte, sans que le sort de l'humanité soit tranché.
Le scénario est bien ancré dans son
époque : mise en garde contre le péril nucléaire et phobie du
communisme. Si le récit semble à priori légèrement subversif pour
l'époque, ce sont généralement les militaires qui participent à
la solution, ici c'est une gâchette facile de l'armée qui fait
déraper la situation, d'autant plus que le film est produit par
la Fox, et si le personnage est littéralement présenté comme une
figure messianique (il se choisit comme nom humain Carpenter !) les
apparences sont trompeuses. Déjà, parce que comme le dit Wise,
Zanuck (le patron de la Fox à l'époque) se contrefiche du message
du film (après tout, c'est juste de la SF!), surtout parce que
Klaatu, au bout du compte, finit par incarner une certain idée de la
diplomatie toute américaine (la stratégie de la carotte et du bâton
chère à Kissinger), qui consiste ici à demander à quelqu'un de faire volontairement ce qu'on est bien décidé à lui faire faire de force. Reste un message authentiquement pacifiste- et gentiment naïf- sur les dangers de la course à l'armement.
L'acteur qui prête ses traits à
Klaatu (Michael Rennie) imprime la pellicule sans effort : très
grand, il impose une présence saisissante, distillant constamment un
léger malaise. Par ses sourires posés un rien à contretemps, ses
changements d'expression presque mécaniques, l'acteur est
remarquable de subtilité.
Et Robert Wise, de son côté, un peu
plus compétent formellement qu'un Bert I. Gordon, et à peu près autant qu'un Jack Arnold, évite le recours à des maquillages ou costumes
approximatifs, et limite l'appartition du décorum SF à la soucoupe
volante de Klaatu et à son robot destructeur Gort. La direction
artistique se met à l'unisson d'un noir et blanc élégant et
suggère un univers extra-terrestre tout en courbes gracieuses et
lumignons clignotants.
On n'oubliera évidemment pas la
bande-originale de Bernard Herrmann, qui invente quasiment, pour
l'occasion le son du « péril martien » qui servira à
d'innombrables reprises, jusqu'au Mars Attacks de Danny Elfman,
en passant par le fameux Star Trek The Motion Picture, de
Goldmsith, réalisé par le même Wise. La boucle est bouclée. Comme
souvent avec le compositeur, chaque apparition de la musique de
Herrmann transmets une émotion absente des images.
Le jour ou la terre s'arrêta n'usurpe
pas son statut de petit classique. C'est une préfiguration
intelligente, un peu démodée mais élégante, d'une idée de la SF
comme fable morale, genre qui atteindra son apogée 8 ans plus tard
avec la diffusion de la première saison de l'indépassable Quatrième
Dimension de Rod Serling.
P.S : Le jour où la terre
s'arrêta est l'objet d'une blague potache dans Evil Dead
III : Army of Darkness, de Sam Raimi. La phrase qu'Ash ne
parvient pas à retenir, et qui le condamne à rester au moyen-âge
est celle que l'héroïne du film de Wise doit mémoriser pour
annuler le programme de destruction de la terre de Gort, le robot de
Klaatu. Plus douée que le héros de Raimi, elle y arrivera,
rassurez-vous.