Robert Thorn, tel Abraham prêt à
sacrifier Isaac, lève un poignard sanctifié pour crever le coeur de son fils
Damian. Mais le symbolisme de la scène est retourné par la logique d'inversion
souvent adoptée par les récits sataniques. Loin d'être un agneau, le garçonnet
n'est autre que l'Antéchrist, et son père est bien décidé à le tuer, non par
dévouement envers le Créateur, mais parce que l'existence de l'enfant menace
l'humanité entière. On appréciera d'ailleurs qu'en un ralenti particulièrement
appuyé, Richard Donner substitue au bras de Dieu le revolver d'un policier.
Gregory Peck sera donc la
dernière victime de son fils adoptif, qui aura machiavéliquement provoqué la
mort "accidentelle" de tous ceux qui ont menacé sa vie, ou simplement fait mine de le contrarier. L'acteur est
le symbole absolu de la droiture morale et du paternalisme de l'Amérique
triomphante du New Deal. Il débute d'ailleurs en 1944 à Hollywood, se mariera
avec une française, et aurait dit à la fin de sa vie: je voudrais qu'on se
souvienne de moi comme d'un bon père et d'un bon mari ! Que celui qui aurait du
être le dernier rempart contre le mal
disparaisse abattu par un ralenti si
exagéré qu'il en devient comique ne nous étonnera pas de la part de ce pitre de Richard Donner,
malgré la solennité et la noirceur apparente de La malédiction. Blagueur, le cinéaste n'a pas l'air de prendre son
histoire très au sérieux, et tire ses scènes vers le grotesque dès que
l'occasion se présente. Un trait de la personnalité de Donner, sans aucun
doute, blagueur qu'il vaut mieux ne pas laisser en roue libre sur une comédie,
mais qui apporte ici une certaine
humanité à un récit de toute façons ridicule, et qui ne survivrait pas à une approche
au premier degré.
Particulièrement monolithique,
trop âgé pour le rôle, Gregory Peck n'existe d'ailleurs qu'en tant que symbole
d'un cinéma révolu en 1976. De même que Damian, finalement, n'est diabolique
que parce qu'il est vu à travers le
prisme des angoisses de son papa trop vieux: détruire le monde de ses parents, briser la
loi des pères, amener ses proches au bord de la folie homicide, exciter les
bêtes, faire de sa nounou une esclave, n'est ce pas là l'ordinaire de tout enfant ?
On transposera facilement cet
antagonisme générationnel à l'échelle de l'histoire esthétique du cinéma
américain. Donner s'amuse, encore une fois, à prendre acte d'un changement de
paradigme: les valeurs du cinéma de papa Peck ont été irrémédiablement
saccagées par les sales gosses du nouvel Hollywood. La mort de Thorn, détail
dans le récit, permet surtout à Damien de progresser significativement dans sa
conquête du monde, en se faisant adopter par "le président". De
héros, Peck est devenu un instrument d'un monde passé qu'il faut écarter pour
conquérir le pouvoir. Dans les studios hollywoodiens ? Une lecture facile mais valide du film
de Donner, qu'elle soit consciente ou pas.
Reste que la mort de Robert
Thorn, de la main de deux policiers relève aussi d'une esthétique typique des
années 70, reprise à son compte par un Donner solide artisan qui a longtemps su
sentir l'air du temps et calibrer ses films en fonction. C'est là une mort
absurde, des mains de ceux qui devraient servir la justice et la loi, et qui,
par ignorance, participent au triomphe du mal. Instruments involontaires,
mais instruments tout de même. Donner
n'étant pas non plus un auteur subversif, il ne faut pas désespérer dans la
chaumières et au fond, même mort, la probité morale de Peck n'est jamais remise
en question: jusqu'au bout, il aura conservé son gouvernail, son libre arbitre,
et sa certitude de ce qu'est le bien. Seuls les esprits faibles autour de lui
ayant succombé à la volonté du mal. En exagérant un peu, on pourrait dire aussi
que même mort, Robert Thorn gagne encore: il y a un camp du bien, le sien, et
il avait raison au sujet de Damien- il a perdu aujourd'hui, mais c'est une
bataille, et pas la guerre. Donner ne malmène jamais le confort moral du
spectateur: le bien, le mal, restent bien séparés par le profil aquilin de
Gregory Peck. Le cinéma hollywoodien des
années 80, dont Donner sera un artisan majeur, pointe le bout de son nez,
et malgré les apparences, la succession
de Gregory Peck est assurée: Willis, Gibson, Stallone- qui tournerons tous pour
le cinéaste- ces héros qui savent quoi faire de juste et le font, attendent déjà
leur heure. Rira bien qui rira le dernier, Damien.
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