Quand
?
Chef de Gare: Dans une oeuvre faisant de sa conscience des codes du
genre auquel elle appartient tout à la fois son miel, son beurre, l'argent des
épinards et le cul de la crémière, on ne nous laisse jamais la possibilité d'y
croire vraiment. Chaque scène se présente avec une double attente systématique:
va-t-on respecter la règle énoncée, ou pas ? Après avoir été poignardé, jeté
dans un escalier, abattu par un coup de feu, on sait très bien qu'aucun repère
réaliste n'entre en compte dans la possibilité de survie du méchant. Seul
question: est ce que Craven et Williamson veulent encore jouer avec nous ? Comme
on est vers la fin du film, on est prêt à croire que le manège ne devrait plus
tourner longtemps. Allongé sur le sol, couvert de sang, il se pourrait bien, à
ce moment-là, que Billy Loomis (CLIN D'OEIL !!!) soit bel et bien mort, surtout
parce qu'arrivés là, les auteurs ont déjà frôlé plus que de très près la
frontière du ridicule, et qu'un jump scare ou un retournement de plus pourrait
être fatal au film, qui basculerait franchement dans la parodie.
Lee Van Cleef: Je
me rappelle très bien, non sans quelque incrédulité, des dithyrambes qu'avait
fait pleuvoir une certaine presse, peu friande des enfers enchantés de
l'épouvante, sur l'auguste crâne du sieur Wes. L'un d'eux, en particulier,
m'est resté gravé au fer rouge, comme un symbole de la fascination qu'exerça
jadis Scream sur les
spectateurs-qui-ne-peuvent-pas-encadrer-les-films-d'horreur : "Hitchcock en avait rêvé, Craven l'a fait". Mettre sur un pied d'égalité les bouffissures
théoriques du cinéaste et le brio démoniaque avec lequel Psychose (car c'est
évidemment ce mastodonte-là qui est impliqué) débusque l'horreur sous les
colifichets de la normalité, et, dans la foulée, adouber le margoulin Kevin
Williamson en tant que spirituel héritier du grand Robert Bloch — entre
m'as-tu-vuisme critique et inconscience kamikaze, on ne sait quoi blâmer
vraiment. Ceci étant, malgré toute l'irrévérence ludique prêtée trop volontiers
à Scream, malgré les bourrades complices que des dialogues
pseudo-métas nous ont filés tout le temps de la projection dans les côtés, il
faut bien que le bad guy trépasse. Ce qu'il accomplit sans se faire prier, et
comme de juste dans la dernière bobine, après un ultime sursaut que les héros
rescapés, tous en rang d'oignon, attendaient paisiblement. Même pas peur !
Matthias:
Tout d’abord, permets nous, mon cher Lee, de te présenter nos excuses :
t’inviter à partager nos colonnes pour ce Scream imbécile, voilà qui n’est pas
très élégant… Pour ma part, je juge que ce film franchit allègrement le stade
de la parodie, voulue ou non - et je ne suis pas loin de croire que c’est tout
à fait consciemment. Le nom de Wes Craven apparaît plus ici comme une
« caution » propre à rafler la mise d’une certaine critique, ce que
relevait Lee juste avant moi, et, surtout, d’un certain public, celui d’authentiques
films d’horreur, tant l’auteur effectif du film est sans conteste ce Williamson
qui officiera de longues années dans le même registre pour le cinéma et la
télévision. On peut toutefois rester consterné par le fait qu’un Craven se soit
laissé courtiser - je n’ose dire racoler -
par la promesse du succès, soldant au passage tout ce qui a fait sa
fortune dans le genre, notamment à ses débuts… Il en va là pour le père Wes
comme il en est allé autrefois pour d’autres, par exemple pour un certain
Romero en 1982 avec le navrant Creepshow… Quand l’académisme rejoint la
désinvolture, on est bien loin du cool pour simplement se vautrer dans
l’irrévérence éhontée, notamment à l’égard de son public : finalement, vous ne
valez pas mieux que ça ! Tuer, tuer encore, re-tuer une dernière fois ses
personnages, quand bien même sont-ils « méchants », et dans le même
temps se dégrader avec les grotesques répliques à l’écran des deux bouffons
derrière la caméra, voilà qui devrait bien suffire à vous satisfaire, public
indigne… Une forme de suicide, sans doute.
Comment
?
Chef de Gare: Dans
Scream, les méchants survivent parce que les scénaristes le décident. C'est
aussi simple que ça, et ils peuvent même se payer le luxe de nous le dire sans
détour à l'écran !
Lee Van Cleef: Dans
le petit monde craspec du slasher, on a toujours pris un malin plaisir à
bafouer les plus élémentaires commandements biologiques. Tout du moins en ce
qui concerne les épouvantails exterminateurs peuplant le genre, tous logés à
meilleure enseigne que les personnages dont ils font leur gibier et qui, eux,
n'ont jamais la fantaisie de se relever après qu'une main jaillie de nulle part
ait enfoncé entre leurs omoplates une scie égoïne. Même si l'aura
d'invincibilité (pour ne pas dire d'immortalité) des Jason Voorhees, Freddy
Krueger et consorts ne nimbe pas Ghostface avec autant d'évidence, celui-ci
n'en est pas moins libre d'imiter ses petits camarades en brandissant à
l'adresse de la Faucheuse un majeur bravache.
Matthias:
et puis tout de même, n’oublions pas que la dernière incarnation du
Ghostface, c’est Sidney elle-même, qui s’amuse un instant à se mettre à la
place de ses tourmenteurs - et semble y prendre plaisir ! En effet, rien jamais
n’est terminé dans Scream, et surtout pas cette histoire, puisque depuis
1996, nous avons eu droit à pas moins de 3 suites, 2 saisons de série télé -
encore en cours -, et 5 films parodiques avec la série des Scary Movies
! Oui, de la parodie de parodie… Sophistication extrême ou grotesque accompli,
je vous laisse juge. Mais tout cela n’était-il pas déjà là dans cette scène
ultime de croquemitaine qui s’agite encore un peu ? Un jeu de massacre doublé
d’un sacré jackpot : littéralement la fin de ce film inaugural…
Pourquoi
?
Chef de Gare: Encore le bon vouloir de Kevin Williamson et Wes
Craven. Grâce aux codes d'un genre- auquel Craven a tout de même contribué, ne
lui enlevons pas ça- les auteurs de Scream peuvent se permettre de tourner le
dos à toute implication au premier degré et à toute crédibilité extra-diégétique.
Si le méchant de Scream survit, c'est parce que c'est toujours comme ça dans
les films d'horreur, à la fin !
Lee Van Cleef : Voilà une question qui ressemble bougrement à la
précédente. Et déjà, j'ai le sentiment un peu confus de bégayer, tel un film
d'horreur lambda ne sachant meubler ses 90 minutes de métrage (110, même, dans Scream) qu'en
orchestrant, l'air plus ou moins convaincu, les résurrections à répétition de
son méchant au cuir impossible à transpercer. Allez, il est à l'extrême rigueur
envisageable d'attribuer une petite originalité à Scream, qui
substitue à l'éternel retour du fils de la vengeance en vigueur dans des
dizaines d'autres slashers un méli-mélo consanguin. Contrairement à ce que
cachent certains masques de hockey ou d'Halloween canonisés par l'industrie, le
visage du (ou des) tueur(s) change à chaque nouvel opus réalisé par Craven,
prouvant par là même que dans les jeux de massacre qui nous intéressent,
l'habit fait bel et bien le moine.
Matthias: Et cet habit qui a pu prendre l’apparence
d’un cinéma sophistiqué et de « commentaires », après vingt années,
est bien revenu à sa place : le pilote d’une série de piètre niveau, sorti
avantageusement sur grand écran, à une époque qui ne connaissait pas encore internet
et le téléchargement mondialisé ! Un phénomène de société, comme l’on dit de
quelque chose dont on ne se souvient plus vraiment pourquoi il avait fait tant
de bruit. Nul doute qu’aujourd’hui, avec son hypocrite subversion d’un genre
dont on ne nous avait pourtant jamais si peu montré en prétendant tout nous en
dire, un tel pilote ne verrait pas son second épisode passer l’écran, et
encore, le petit…
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