Et
si c'était l'histoire du basculement d'un regard, cette Guerre des étoiles ? 25
ans après le Retour du Jedi, Lucas, en
plaçant Dark Vador au centre de sa nouvelle trilogie redessine les perspectives et
fait de lui, à la place de Luke, le véritable héros de Star Wars. La rédemption
du Seigneur Noir n'est plus celle d'un père sauvant la vie de son fils, mais
d'un fils sacrifiant la sienne pour permettre le rachat de son père. Quoi qu'on
pense de La menace fantôme, L'attaque des clones et La revanche des siths,
difficile de nier qu'il changent notre vision de la conclusion poignante du
Retour du Jedi.
Le
regard, c'est aussi tout ce qui reste à Vador, qui implore Luke de lui retirer son masque, afin
de pouvoir "pour une fois [le] regarder avec ses propres yeux". Mais
le dialogue énonce quelque chose qui nous été montré avant. La rédemption de
Vador, provoquée par sa décision de sauver la vie de son fils en mettant un
terme à celle de son bourreau, l'Empereur, est justement possible par un
basculement de son regard. Dans cette saga réputée si manichéenne, le bien et
le mal ne sont donc que des questions de point de vue. Cette errance du regard
d'abord déstabilisé de Vador est d'ailleurs mise en image d'une façon très directe,
presque primitive- un choix sans doute imposé par l'aspect même du personnage-
mais qui tire heureusement la scène vers le conte plutôt que le drame
psychologique. Tout simplement: debout entre son fils et l'empereur, le
Seigneur Noir, dont on ne peut jamais lire les expressions faciales ni même la
direction du regard, doit basculer tout son corps pour se tourner vers l'un, puis vers l'autre,
pour nous communiquer le dilemme qui le presse à ce moment là. Où faut-il
regarder ? devient Comment faut-il regarder ?
D'impitoyable,
Vador devient, face au spectacle de son fils martyrisé par l'Empereur,
compatissant- un sentiment qu'il a peut-être toujours ignoré. Le courage de
Luke, son héroïsme, ce n'est pas d'agir, mais de se montrer, de se donner à
voir par son père, en s'opposant à lui tout en revendiquant sa filiation. En
disant "Je suis un Jedi comme mon père l'avait été avant moi" , il
défie l'Empereur qui l'invite à prendre
la place de Vador à ses côtés, et dans le même mouvement, revendique auprès de
son père sa filiation en lui tendant le miroir de ce qu'il a été. C'est
justement la place de son père, tel qu'il l'imagine avoir été, que Luke accepte
de prendre. Et Vador, acceptant de se voir tel que son fils l'imagine devient
brièvement ce père qu'il n'a jamais été.
Si
cette conclusion joue parfaitement son rôle de retournement de situation
inattendu à même de ne pas décevoir les attentes de spectateurs l'ayant espérée
et imaginée trois ans durant, et si elle offre l'écrin idéal au moment fantasmé
depuis la première apparition du Seigneur noir- la révélation de ce que cache
son masque- elle dépasse aussi la simple efficacité narrative pour toucher à
quelque chose de plus singulier et fondamental.
Qu'une
figure présentée comme le mal absolu- dans le monde de Star Wars il s'agit du
bras armé, sans aucune conscience, d'un pouvoir totalitaire fasciste- puisse
être vaincue non par la violence, mais par un forme de résistance morale
explique peut-être, quoi qu'on en pense, la pérennité d'un récit qui est devenu
avec les ans la pierre angulaire de la culture populaire. C'est ce qu'on
voudrait croire, en tous cas, tant il nous semble que le parcours de Luke
Skywalker aboutit à une forme d'héroïsme finalement assez inhabituel dans ce
genre de cinéma.
Il
y a aussi là l'empreinte d'une époque, d'une façon plus souterraine et
équivoque que ce qu'on a pu penser à la sortie du film. Luke et les jedi sont
tout de même né de l'imagination d'un jeune homme ayant vécu la contestation
étudiante de l'engagement américain au Vietnam, ou l'assassinat de Martin
Luther King. La robe de Luke évoque
autant le kimono que la robe du pasteur, et c'est par le refus de la violence
qu'il décidera son père à mettre fin au conflit qu'il a par ailleurs initié.
Regarder
Luke avec ses propres yeux, c'est donc aussi faire face, en retirant le filtre
de l'idéologie qu'il a servi des décennies durant, au pire de ses crimes, le
génocide des Jedi, en regardant dans les yeux son fils, qui vient de les faire
renaître. A ce moment, Luke est aussi le symbole de toutes les victimes du
Seigneur Noi.
La
volonté de Vador de voir sans son masque inverse nos attentes: n'est-ce pas
Luke, comme nous, qui devrait-dire "Laissez moi vous regarder dans
vos propres yeux ?" Mais la révélation du visage de Vador fonctionne également
par une inversion assez poétique du motif plastique de la vanité. Ce n'est pas
le crâne (le casque évoquant une tête de mort) qui est révélé sous la chair,
mais le contraire.
Vador,
qui a personnifié la mort, au moment de son trépas, finit par en incarner l'humanité.
Ce
visage que l'on découvre vieux, diminué, effrayant et pathétique à la fois
a-t-il put être celui, caché, de cette ombre de la mort redoutée depuis trois
films ? En nous révélant son humanité reconquise, en apparaissant si faillible,
Vador ne nous rappelle pas tant la finitude de notre condition que la mortalité
du mal, qui n'existe, finalement, que dans le coeur des hommes acceptant de s'y
vouer.
On
imaginait mal le Retour du Jedi se conclure sur une note pessimiste. Le conflit
de générations opposant Luke à son père, responsable des malheurs du monde de
son fils s'apaise par une
réconciliation, et la paix revenant dans la galaxie lui fait écho. Témoin
des révolutions des années 60, Lucas semble nous dire qu'il est toujours
possible aux enfants de mettre fin aux mal instauré par les pères. Même s'ils
ne sauraient tous le faire en montrant le même courage que Luke: celui de
baisser les armes.
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