"C'est important de pouvoir
s'identifier à un modèle", explique
Alex Murphy, policier fraichement nommé
au commissariat ouest de Détroit, à sa
coéquipière Anne Lewis, lorsqu'elle le surprend à faire tournoyer son arme sur
son index, comme un gamin. Car si Murphy adopte parfois une attitude bravache
et puérile, c'est qu'il ne veut pas décevoir son fils, qui l'identifie au héros
d'une série télévisée, TJ Lazer. Et en ajoutant "je reconnais que moi aussi ça m'excite", il admet que s'il
poursuit les bandits, c'est aussi pour la montée d'adrénaline que ça lui procure.
En
une scène exemplaire, Paul Verhoeven a cerné son personnage: Murphy est habité
par un héroïsme de dessin-animé, qui
n'existe sans doute que dans les séries de son fils, et qui suffit à le définir.
D'ailleurs, en repassant le volant à sa partenaire, à qui il avait lancé un peu
avant "je conduirai jusqu'à ce que vous ayez appris à me
connaître", il avoue qu'il n'y a rien à savoir d'autre de lui. Il
court après les bandits comme on joue au gendarme et au voleur. Pour le
plaisir, et au nom d'une justice de comic-book.
Joueurs,
les voyous de la bande de Clarence Boddicker le sont aussi. Et eux aussi
marchent à l'adrénaline. La ligne les séparant de Murphy est évidemment celle
de la loi et de la morale. Le policier est un idéaliste dont le monde n'existe
pas ailleurs que dans les fictions de son fils, celui des truands est le nôtre,
et ils sont bien décidés à en jouir sans entrave. Choisi parce que son gabarit
lui permettait de se glisser dans l'étroite armure conçue par Rob Bottin, la
silhouette de Peter Weller nous dit aussi quelque chose de son personnage: un
esprit plutôt qu'un corps, un homme refusant le monde le monde tel qu'il est,
et lui superposant une vision idéalisée, dans laquelle le héros ne peut que
gagner. Au fond, Murphy pourrait être un des spectateurs de Robocop.
Le
réel va évidemment cruellement se rappeler à nous et à lui. Le gang
Boddicker va lui faire subir un véritable martyr. Outre qu'il n'hésite pas à
montrer dans toute sa joyeuse amoralité le sadisme sans complexe des truands,
la longue torture du policier est aussi sa douloureuse découverte du monde tel
qu'il est, et sur lequel se fracasse son idée de l'héroïsme. Nous jetant au
visage notre besoin de fiction consolatrice le cinéaste met les choses au clair
avant d'entamer un deuxième récit, celui de la fable science fictionnelle. Il
ne reste à l'écran d'un Murphy dont le corps est détruit, que son monde rêvé,
remontant à travers un voile flou et onirique faisant douter de la
réalité même de ses souvenirs.
Le
décès d'Alex Murphy et d'ailleurs suivit d'un écran noir de quelques secondes
semblant nous dire qu'une fois
le corps mort, il ne reste rien. Lorsqu'il se rallume, le "il était une
fois" du conte peut commencer. Désormais possesseur
d'une enveloppe invincible, Murphy a les moyens de rendre la justice comme il en
rêvait. Et les spectateurs vont enfin avoir ce pour quoi il sont venus. Mais en
accomplissant le désir secret du policier, les manipulateurs matérialistes de
l'OCP, qui pensaient se donner sur lui un pouvoir absolu se fourvoient
totalement, au point de précipiter leur propre perte: pensant ne rien conserver
de lui en croyant n'avoir besoin que d'un corps mort, ils sauvent en fait la
seule chose qui les menace vraiment: son idéal de justice, commençant par la
recherche des véritables commanditaires de sa propre exécution.
Mais
pour profiter de l'aventure excitante du cow-boy de métal, il aura fallu
affronter Verhoeven le moraliste, pour qui l'héroïsme n'est pas de ce
bas-monde, mais une chimère de petit garçon, insidieusement transmise de père
en fils, et qui n'aboutit qu'à la perte des uns pour les autres, dans le sang
et les larmes.
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