samedi 1 octobre 2016

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"C'est important de pouvoir s'identifier à un modèle", explique  Alex Murphy, policier fraichement nommé au commissariat ouest de Détroit,  à sa coéquipière Anne Lewis, lorsqu'elle le surprend à faire tournoyer son arme sur son index, comme un gamin. Car si Murphy adopte parfois une attitude bravache et puérile, c'est qu'il ne veut pas décevoir son fils, qui l'identifie au héros d'une série télévisée, TJ Lazer. Et en ajoutant "je reconnais que moi aussi ça m'excite", il admet que s'il poursuit les bandits, c'est aussi pour la montée d'adrénaline que ça lui procure.

En une scène exemplaire, Paul Verhoeven a cerné son personnage: Murphy est habité par un héroïsme de dessin-animé, qui   n'existe sans doute que dans les séries de son fils, et qui suffit à le définir. D'ailleurs, en repassant le volant à sa partenaire, à qui il avait lancé un peu avant "je conduirai  jusqu'à ce que vous ayez appris à me connaître", il avoue qu'il n'y a rien à savoir d'autre de lui. Il court après les bandits comme on joue au gendarme et au voleur. Pour le plaisir, et au nom d'une justice de comic-book.

Joueurs, les voyous de la bande de Clarence Boddicker le sont aussi. Et eux aussi marchent à l'adrénaline. La ligne les séparant de Murphy est évidemment celle de la loi et de la morale. Le policier est un idéaliste dont le monde n'existe pas ailleurs que dans les fictions de son fils, celui des truands est le nôtre, et ils sont bien décidés à en jouir sans entrave. Choisi parce que son gabarit lui permettait de se glisser dans l'étroite armure conçue par Rob Bottin, la silhouette de Peter Weller nous dit aussi quelque chose de son personnage: un esprit plutôt qu'un corps, un homme refusant le monde le monde tel qu'il est, et lui superposant une vision idéalisée, dans laquelle le héros ne peut que gagner. Au fond, Murphy pourrait être un des spectateurs de Robocop.


Le réel va évidemment cruellement se rappeler à nous et à lui. Le gang Boddicker va lui faire subir un véritable martyr. Outre qu'il n'hésite pas à montrer dans toute sa joyeuse amoralité le sadisme sans complexe des truands, la longue torture du policier est aussi sa douloureuse découverte du monde tel qu'il est, et sur lequel se fracasse son idée de l'héroïsme. Nous jetant au visage notre besoin de fiction consolatrice le cinéaste met les choses au clair avant d'entamer un deuxième récit, celui de la fable science fictionnelle. Il ne reste à l'écran d'un Murphy dont le corps est détruit, que son monde rêvé, remontant à travers un voile flou et onirique faisant douter de la réalité même de ses souvenirs.


Le décès d'Alex Murphy et d'ailleurs suivit d'un écran noir de quelques secondes semblant nous dire qu'une fois le corps mort, il ne reste rien. Lorsqu'il se rallume, le "il était une fois" du conte  peut commencer. Désormais possesseur d'une enveloppe invincible, Murphy a les moyens de rendre la justice comme il en rêvait. Et les spectateurs vont enfin avoir ce pour quoi il sont venus. Mais en accomplissant le désir secret du policier, les manipulateurs matérialistes de l'OCP, qui pensaient se donner sur lui un pouvoir absolu se fourvoient totalement, au point de précipiter leur propre perte: pensant ne rien conserver de lui en croyant n'avoir besoin que d'un corps mort, ils sauvent en fait la seule chose qui les menace vraiment: son idéal de justice, commençant par la recherche des véritables commanditaires de sa propre exécution.


Mais pour profiter de l'aventure excitante du cow-boy de métal, il aura fallu affronter Verhoeven le moraliste, pour qui l'héroïsme n'est pas de ce bas-monde, mais une chimère de petit garçon, insidieusement transmise de père en fils, et qui n'aboutit qu'à la perte des uns pour les autres, dans le sang et les larmes.



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