Dès qu'on est mordu, c'est fichu. Fondé, comme le mythe du vampire, sur la dynamique d'une transmission par la morsure, et un implicite sexuel très marqué, la figure du Loup-garou substitue aux motifs de la séduction et de la relation proie/prédateur ceux de l'héritage et de la relation filiale. Littéralement parfois, comme lorsque Joe Johnston fait, dans sa relecture du classique fondateur de George Waggner, du père de Lawrence Talbot l'origine de la lignée de lycanthropes que son fils va poursuivre, plus symboliquement, dans le chef d'oeuvre de John Landis, An american werwolf in London, lorsque David Kessler hérite, par accident, de toute la violence du XXème siècle.
Si
le vampire est condamné à une éternité de prédation jouissive et jamais
rassasiée, le Loup-garou, son pendant mélancolique, semble avoir pour destin
une culpabilité dévorante dont le seul horizon est la mort. Figure tragique du
fantastique par excellence, son récit se clôt souvent par son exécution, avec
parfois pour satisfaction d'avoir enrayé le cycle de transmission de la
violence. C'est ce noir destin qui tend, sur sa brève durée, le film de Landis,
et dont l'ombre grandissante, au fur et à mesure que l'inévitable conclusion
approche, colore l'humour du film d'une teinte noire. Son intrication avec le
récit, et l'effet unique qu'il produit n'a jamais plus été retrouvé dans le
genre, malgré les tentatives, parfois honorables des imitateurs de ce film
fondateur, mais orphelin.
Car
An american werewolf in London est
bien plus qu'une comédie fantastique. Traversé de scènes oniriques
stupéfiantes, le film est souvent plus proche du malaise du cinéma de David
Cronenberg, que des pochades de la parodie. Rire désespéré face à une absurdité
existentielle, et toujours fondé sur un décalage entre la situation objective
représentée, et ce que les personnages se convainquent d'en percevoir. Comme
durant cette ouverture, ou deux touristes, Jack et David, ironisent sur leurs
vacances, censées être un moment de retrouvailles au soleil, mais qui virent à
la randonnée forcée sous le crachin. Mais qu'imaginaient-ils en choisissant d'aller
camper dans les highlands écossais ?!
Il
y a quelque chose de très moderne chez ces deux héros traversant hagards et
comme surpris des situations qui les prennent au piège, mais qu'ils ont eux-même
provoquées. Y être sans y être, en quelque sorte. Un divorce paradoxal loin
d'être compris par les ruraux qu'ils vont croiser, et dont les mises en garde
ne servent à rien. Conjurés de ne pas prendre de chemin de traverse à travers
la lande, les deux randonneurs s'y précipitent, avant de s'inquiéter de se
perdre...
Ni
l'un ni l'autre n'en reviendra, malgré les apparences. Ni Jack, tué par une
bête sauvage, ni David, qui a survécu mais qui est condamné sans le savoir par sa
morsure. Car la bête est un loup-garou, et elle a transmis à David sa
malédiction. Dès lors, David est assailli par des visions cauchemardesques,
comme si son inconscient cherchait à le mettre en garde, à moins que cela ne
soit là les signes avant-coureurs de la transformation à venir. On est rarement
confronté si directement à la psyché d'un héros. Et un détail fondamental rend
son traitement par Landis particulièrement remarquable.
Lorsqu'ils
sont attaqués, Jack frappé le premier, appelle son ami au secours. Mais
celui-ci, sitôt comprise la menace, a préféré s'enfuir. Se ravisant, il fait
demi-tour, mais trop tard. Lorsqu'il arrive près de lui, Jack est mort.
Cette
lâcheté initiale prend dans la suite du récit une résonance inattendue, en
particulier dans ces scènes oniriques. Hanté par le fantôme zombifié de Jack,
David voit sa famille massacrée par d'autres zombies, habillés d'uniformes
nazis ! Difficile de ne pas voir dans cette étrange idée un moyen de faire de
David le réceptacle d'une culpabilité qui le dépasse totalement- d'une certaine
manière, sa lâcheté est celle de tous les lâches, et la violence qu'elle
déchaîne en n'entravant pas la bête est de celle qui anéantit l'humanité tout
entière. Pris de vertige à l'idée des pulsions incontrôlables qu'il sent
grandir en lui, David d'abord révolté, envisage de plus en plus sérieusement de
mettre fin à ces jours, comme l'y encourage Jack à travers ses visions.
Une
fois qu'il a compris qu'il ne pourrait pas empêcher le surgissement de la bête
qu'il devient à chaque pleine lune, David
n'a plus qu'un souhait, se rendre à la police. Mais personne, sous sa forme
humaine, n'accepte de l'arrêter ! Forcé de se terrer dans un cinéma porno,
sorte de refuge des pulsions, il est
surpris par une nouvelle transformation. Le carnage commence parmi les rares
spectateurs, et David est vite acculé par la police dans une ruelle. Son
amante, Alex, qui espère encore réveille l'homme pour endormir la bête
s'interpose...
Seul
réconfort dans le terrible destin enserre David dans sa main d'acier, la brève
rencontre vécue avec Alex n'en est que plus belle. Évidente, sincère, elle nait
d'un coup de foudre d'autant plus touchant qu'il n'est jamais l'objet de
l'ironie de Landis. On reconnaît bien entendu dans la rencontre charnelle si
vivante des deux personnages la pulsion érotique doublant si idéalement la pulsion
morbide de tant de films fantastiques. L'interprétation de David Naughton, à
fleur de peau mais capable d'une ironie désarmante n'est pas pour rien dans la
réussite du film. Il est d'autant plus émouvant que son visage étant
méconnaissable sous celui du loup, il n'a pas à jouer le versant bestial de son
rôle, mais seulement l'humain déchiré et meurtri par les fautes de la bête
qu'il abrite.
La
mort de David, sous le feu des forces de l'ordre, alors qu'il bondit aveuglément
sur celle qui l'a recueilli et soigné, n'achève rien. Par un raccord glaçant
après avoir vu tomber la bête, Landis révèle le corps humain de David, nu,
percé, dérisoire. Surtout, il est identique à celui de son bourreau, désigné de
la même façon et par le même procédé au début du film, lorsque après qu'elle ait
été abattue par les écossais, on découvre que la bête était en fait un homme.
Ainsi
rien ne cesse. Celui qui a la lâcheté de ne pas s'interposer face à la violence
la plus bestiale et arbitraire, ou qui a le malheur d'en être le témoin direct
ne peut se relever d'un tel traumatisme. La violence, qu'il le veuille ou non, anéantit
une part de son humanité. Et le rire qui accompagne cette révélation terrible
n'a rien de moqueur. C'est, comme on dit, la politesse du désespoir.
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