L'homme
est-il une machine déréglée ? Etre humain, est-ce dysfonctionner, échapper à un
programme qu'on ne veut plus remplir ? C'est
ce que se demande Brad Bird, et nous avec lui. Avec ce grand robot dégingandé,
auprès d'un homme en devenir, Hogarth. Le petit garçon se lie d'amitié avec la
grande machine, dans une ambiance étrange et onirique: il a caché le géant, et
lui seul, pendant un certain temps, l'initie au monde des hommes. Mais lorsque
la fin approche, le géant s'est frotté à la communauté, et par ce contact a
compris quel est son destin.
De
l'innocence à la conscience, nous aurons suivi tout son parcours moral.
Lorsqu'Hogarth le découvre, le robot semble vierge de tout désir, simplement
habité par la curiosité du nouveau né, et bientôt taraudé par un appétit
similaire, mais dirigé, dans le cas du
géant vers le métal. Enfant solitaire, mais par dépit plutôt que par choix, est
ravi de trouver avec la mémoire vierge de son étrange visiteur une surface où
inscrire une carte du monde tel qu'il voudrait qu'il soit. Un peu despote,
comme tous les enfants, Hogarth transmet pêle-mêle et tel quel au géant ses
valeurs: l'amour de la nature, un respect de la vie et un sens de l'honneur
comme seuls un garçonnet de 10 ans peut les ressentir. C'est à dire en pensant
qu'ils devraient gouverner le monde des adultes, tout en sentant bien que ce
n'est pas le cas. A cette gravité magnifiquement captée par les animateurs du
film s'ajoute un goût du jeu d'autant plus touchant que l'époque à laquelle le
récit est situé est dominée par ceux, cachés, de toute une société.
Celle
de l'Amérique des années 50, engluée dans une paranoïa anti-communiste faisant
voir des double-fonds et des dissimulations partout. Double négatif de Hogarth,
l'agent Mansley personnifie une attitude face au monde opposée à celle du
garçon. D'emblée persuadé, seul contre tous, de l'existence du géant, et qu'il
incarne une menace, Mansley est celui qui va précipiter la fin du robot.
Hogarth,
protecteur, du Robot, aura été contraint de révéler son existence à des
proches. A Dean d'abord, symbole d'une liberté de pensée inaccessible à l'Agent
Mansley, auquel il s'oppose aussi, et à l'inverse duquel il représente, pour
Hogarth, un devenir homme attirant et enviable. C'est se qu'incarne le robot:
figure creuse, il est, comme le garçon, et c'est leur lien, une puissance en
devenir. Sinon que celle du géant, symbolique, est à même d'affecter le monde
entier. En un sens, il est l'image à l'écran de la génération d'Hogarth: héritière
d'un monde issu de l'arme atomique, elle est sommée de se positionner en regard du
pouvoir terrifiant que l'humanité vient de se donner: celui, en appuyant sur un
bouton, de s'anéantir soi-même.
C'est
l'amour de la fiction qui déterminera le choix du géant. Immédiatement fasciné
par la figure de Superman, c'est en se mettant à la place du héros inventé par
Shuster et Siegel que le robot décide de ce qu'il veut devenir, et va à la
rencontre du missile nucléaire tiré pour le détruire, et qui risque de toucher
à la place la côté américaine. Volant à la rencontre de la mort, le robot
murmure, un sourire aux lèvres le nom de son héros. En agissant comme un héros
fictif, le géant accomplit paradoxalement son humanité. Produit de l'imaginaire
de deux hommes, Superman présente pourtant des qualités et une perfection telles qu'aucun homme ne saurait agir comme
lui. Que faire d'un tel gouvernail moral ? Y croire malgré tout. Il faut bien
admettre que la découverte ultime du géant, le dernier pas de sa marche sur terre,
commencée avec les joies les plus matérielles- manger, regarder, agir- s'achève
par la revendication d'un idéal, un acte de foi, en acceptant de faire avec son
corps faillible ce que son héros aurait fait avec son enveloppe invincible. Cette
décision est aussi la marque, pour le robot de l'accomplissement de son libre
arbitre.
(...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire