Commençons à fond la caisse avec Wez, l'iroquois violent de The road warrior, alias, dans la langue de Molière, Mad Max 2, le défi !
Quand ?
Chef de Gare: Quand
Max le balance par dessus le capot d'un bon coup de frein, on se dit que ça y est, enfin on est débarrassés
de Wez, le mâle alpha de
la bande à Hummungus. Qui pourrait survivre à une pareille chute ? Il
faut dire aussi que George Miller ne nous laisse pas tellement le temps de nous
poser des questions sur ce qui pourrait se passer: l'assaut de Wez sur le toit
du camion citerne de Max n'est qu'un des évènements parmi d'autres du climax
fou de Mad Max 2.
Matthias: On
pourrait aussi se dire que, non, ce n’est pas possible qu’un dur à cuire comme
Wez puisse périr d’une si piètre façon. C’est qu’on l’a déjà vue à l’oeuvre, la
mort, auprès de cet iroquois des routes : dès la première séquence du film,
lorsque Max parvient à se débarrasser de quelques poursuivants appartenant à la
même bande, il nous apparaît dès l’abord comme l’antithèse de Max : à moto,
massif, accompagné, grimaçant. Mais Wez a alors laissé vivre Max, peut-être
parce que le carreau d’arbalète qui a transpercé son bras réduisait un peu sa
formidable capacité de « road warrior ». Le sauvage retirera
d’ailleurs lui-même le trait de son biceps avec un sourire qui en dit long sur
la réalité de ses motivations : souffrir et faire souffrir, voilà la came de ce
nouveau type de barbare post-apocalyptique. Un archétype néanmoins classique au
cinéma depuis ses débuts, et dans lequel on aura évidemment reconnu l’indien
farouche et sanguinaire.
Chef de Gare: ça Miller ne s'est jamais caché de son
amour pour le western- qui n'aime pas ça, franchement ?- ni de son projet de le
réactualiser à travers Mad Max. Si tu vas par là, la question qui se pose alors,
c'est celle de la frontière, et de la loi: elle est autant du côté de la
communauté, qui partage des valeurs dans le cercle non plus des chariots
bâchés, mais des camions immobiles garés en rond de leur fort, que de celui des
barbares, qui ne connaissent que le règne du plus fort. C'est d'ailleurs ça, le
personnage de Wez: tu trouves piètre sa première disparition, mais il prend
juste acte de ce que le camion est plus fort que lui. Rappelle-toi, c'est aussi
le cas au début: si Wez fuit, c'est surtout parce qu'il pense que le flingue de
Max est chargé. Max, lui triche toujours, c'est ça sa "folie": il
bluffe avec sa vie pour la sauver, et joue avec cette loi de la jungle. Là il y
a une vraie différence avec Wez, qui n'est pas tout à fait le revers de Max.
Matthias: d’accord avec toi, et d’ailleurs, je pense que
ça rejoins ce que je dis un peu plus bas. Wez est sans doute plus rationnel que
Max en ce qu’il est plus calculateur. Et il poursuit un but : d’abord voler de
l’essence, puis se venger. Wez, c’est bien le sauvage qui veut prendre à ceux
qui ont travaillé sans avoir d’autre énergie à dépenser que sa force brute. Là,
on revient bien à ce qui fait le western : d’un côté la civilisation,
c’est-à-dire le labeur, de l’autre le sauvage, soit la force du plus fort. Max
est particulièrement un héros de western d’ailleurs, en ce qu’il ne parvient
pas à choisir entre ces deux options : il n’est pas un membre de la communauté,
et tout de même, ses talents ont à voir avec la violence pure. Il est vraiment
l’équivalent du lonesome cowboy des westerns, dans lesquels il y a quelque
chose de commun entre le héros et le bandit. La légitimité, c’est-à-dire la
loi, supporte l’un et réprouve l’autre, et cette légitimité, c’est celle que
donne la communauté. Mais au fond, il n’y a pas d’autre différence entre les
ennemis à mort !
Comment ?
Chef de Gare: ça on n'en sait rien ! Une chose
est sûre, l'expérience a du être douloureuse vu les stigmates sur la pauvre
tronche de Wez.
Matthias: on l’a dit, il est vraiment costaud, le
gaillard ! C’est même là toute sa définition, à l’instar d’ailleurs de Max, le
héros. Car bien entendu l’un et l’autre ne sont que les deux faces d’une même
médaille : l’un pourrait être l’autre et inversement. Max n’a pas plus de
moralité. Peut-être même en a-t’il moins encore que notre Wez, qui cherche au
moins à se venger de celui (ceux) qui ont tué son amant. Max quant à lui n’a
aucun scrupule à exiger l’aide d’un jeune gamin, quitte à le laisser tuer pour
parvenir à ses fins. Pour Max, tout et tout le monde est moyen, pas fin. Moyen
de survivre, d’obtenir du précieux liquide pour continuer à faire rouler ses
bolides sur des routes qui n’ont plus sens ni destination. Max est fou, on le
sait c’est dans le titre du film, Wez, l’est également, mais de douleur,
d’abord morale avant d’être physique. On peut supposer que pour survivre à tout
dans cet univers, il faut avant toute chose être vraiment fou ! Après tout, ça
pourrait bien être là l’une des définitions du genre, à l’époque assez
littéralement illustrée par la série de roman de Julia Verlanger avec L’autoroute
sauvage en 1976 ou Le Jour des fous de Edmund Cooper, paru en 1971 !
Mad Max 2 apparaît comme la mise en scène de cette folie propre à ce monde
inversé du post-apocalyptique - nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet
durant notre mois avec quelque film un peu fameux…
Pourquoi ?
Chef de Gare: Sans
doute parce que Wez, tout au long du film, aura incarné pour Max une menace
plus définie que celle de cette horde de barbares anonymes. Mais finalement, il
en est le symbole, il la résume. Au fond, pas plus que la horde n'est anéantie à la fin, Wez ne peut
vraiment mourir. D'ailleurs, même si cette fois, on voit des morceaux de
barbaque saignante éjectée par l'impact des corps contre le camion de Max, rien
ne nous dit que ce ne sont pas ceux des pauvres otages de la horde. Wez est-il
vraiment mort ?
Matthias: Tu as raison : tant que Max est en vie, Wez
est en vie ! Sinon, les mouvements incessants de Max n’ont décidément non
seulement plus de sens, mais même plus de motif - au sens physique du terme :
il faut bien que quelque chose le fasse avancer, le Max, à défaut de le faire
aller quelque part ! Ce qui est si puissamment cinématographique dans le film
de Miller, c’est bien sûr le fait que c’est le mouvement seul qui l’intéresse.
Il n’y a pas de décor dans ce désert, seulement une toile de fond, une
« étoffe » à partir de laquelle se crée le mouvement : les trainées
de poussière des véhicules, le déploiement sans fin de la bande d’asphalte de
la route, la vitesse et l’accélération de tout ce qui habite l’écran. Ce n’est
d’ailleurs peut-être pas un hasard si le moment de la « mort » de Wez
correspond non seulement à l’arrêt du camion, et donc de tout mouvement, mais
aussi au seul mouvement « tactique » de cette course folle. C’est en
retournant le camion sur la route, en effectuant un demi-tour, que Max se
retrouve face-à-face au véhicule d’Hummungus. La route n’a pas trouvé son terme,
elle a simplement trouvé son extrémité : pour pouvoir continuer à avancer, il
faut la reprendre, mais à l’envers. Hummungus, et avec lui Wez, se trouve
vaincus, non du fait de leur moindre adresse ou résistance, mais simplement
parce qu’ils n’ont pas vus ce renversement de situation, de convention
pourrait-on presque dire. Ils pensaient pouvoir continuer à poursuivre Max
jusqu’au bout du monde. Il n’y a pas de bout du monde, il y a juste la route,
rien que la route. La tactique de Max, toute rationnelle qu’elle puisse être,
signe la chute définitive de ce monde dans l’absurdité décisive. Le
« twist » final le souligne : ce après quoi fonçaient ces guerriers
du futur, n’était que poussière. Vanitas vanitatum !
Chef de Gare: Je n'interprète pas du tout la collision
de Wez sur Humungus de la même façon que toi. Là, il me semble encore que Max,
à qui la supériorité du mâle alpha manque- il est de plus en plus estropié tout
le long du film, et se présente dès le début avec une jambe boiteuse- retourne
simplement la force de l'agresseur contre lui-même. Max, c'est aussi la figure
du sage/fou, quelque chose de très oriental, mais Mad Max 2, c'est aussi un
film de samouraï- celui qui voit la trame derrière le tissu, qui perçoit
immédiatement les gens. D'une certaine façon, c'est un hyper sensible. C'est
ça, qui le lie instantanément au Feral Kid. Wez, lui, ne court pas après rien:
les barbares veulent l'essence, pour continuer à rouler. Je disais qu'ils
avaient eux aussi leur loi, c'est celle d'Hummungus, qui veille sur eux comme
Papagalo sur les siens. D'ailleurs, tu as raison dans ton analyse, mais il ne
faut pas oublier que dans Mad Max 2, il existe encore un ailleurs: ce paradis,
qu'on peut tout à fait supposer imaginaire, certes- que la communauté des
survivants réussit à atteindre et d'où elle raconte, apparemment, l'histoire de
Max. Si Wez est le diable increvable de Max, c'est aussi parce qu'il adhère
parfaitement à son monde: pour que la horde ait une raison d'être il faut
qu'elle se meuve. Et comme elle ne peut pas se courir après elle-même elle doit
poursuivre quelque chose.
Difficile de ne pas évoquer, au passage, Mad Max Fury Road, qui
parvient, pas un mince exploit, à être encore plus pessimiste que The Road
Warrior, puisque cette fois, la horde se poursuit effectivement elle-même, et
que plus personne n'a d'autre trajectoire possible que le demi-tour.
Si on comprend complètement Wez, il y a je trouve, un certain mystère dans le personnage du Max de Road Warrior. Vraiment, pourquoi veut-il
survivre ?
Matthias : C’est sûrement là qu’il est un héros,
finalement. Il ne veut survivre que pour mener à bien son propre mouvement. Tu
parlais du film de samouraï, il y a quelque chose du final du film de Kurosawa
dans ce Mad Max 2 : « C'est encore un combat perdu. Ce sont les paysans
les vrais vainqueurs. Pas nous ». Au fond, ce type de héros n’en est pas
un : s’il agit, ce n’est que pour le compte de ceux qui en font des héros - à
leur profit ! Si l’on avait le contrechamps du camp de Wez, peut-être ses acolytes
diraient-il la même chose au sujet de leur champion disparu. « Tout ça
pour Hummungus… »
C’est étrange de voir comment l’anti-héros est devenu le héros
finalement, dans le cinéma mainstream. Chez Kurosawa, la vanité guerrière
s’était éprouvée à une expérience personnelle des années de guerre. Peut-être
qu’à partir des années 60 et 70, il en est allé de même en Occident… Et
pourtant, ces guerriers déclassé n’ont jamais été aussi séduisants ! Jusqu’à
revêtir dans l’auto-remake de Miller les atours de Charlize Theron ! Vanités,
disais-je plus haut…
Chef de Gare: Max va
vraiment voler la vedette de cet épisode du Train à Wez, mais je ne suis pas
sûr que les qualités de Max se situent du côté de la violence. Finalement, dans
le film, il ne prend l'avantage que dans les situations où il a perçu, comme tu
le dis justement, l'avantage tactique. Avec le lance-flamme, en retournant le
camion, en vendant des renseignements sur la citerne qu'il a localisé. Fury Road
commence comme ça: un affrontement sans option, et là, Max perd immédiatement.
Max, c'est un samourai, mais c'est aussi un peu Ulysse ! Et Wez, Hummungus, la
horde... autant de cyclopes, pour qui les autres sont le troupeau laborieux
travaillant en fait pour le plus fort. La noblesse de Max tient-elle dans ce
qu'il ne cherche jamais à excéder sa propre célérité ? C'est ça, aussi, qui tue
Wez finalement. Il se dépense sans compter. Ce gars prend trop d'élan !
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