jeudi 6 octobre 2016

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Une belle mort. C'est le poison du cinéma. De belles morts, de belles guerres, de beaux meurtres... voilà le pouvoir enivrant de la salle obscure. Travestir la peur en euphorie, l'angoisse en exaltation, la laideur en beauté. Combien de films glorifient la violence, et font de la mort du champion la parfaite sublimation de son destin de guerrier ?En approchant du terme de son récit, Peter Jackson choisi de consacrer l'ultime chapitre de sa grande chanson de geste inspirée par Le Hobbit de J.R.R Tolkien à une gigantesque bataille voyant s'accomplir le destin de tous les personnages.Tous les pièges du film de guerre, malgré le contexte médiéval fantastique, attendaient le cinéaste. Réduction des enjeux à une lutte du bien contre le mal, esthétisation déplacée de la violence, célébration du courage et de la noblesse des combats, justification d'une violence légitime parce qu'elle permet d'endiguer la menace du mal.

Ces motifs trouvent tous leur place durant l'affrontement des cinq armées, mais Jackson parvient  à leur donner une nuance inattendue en renouant in extremis les fils de sa conclusion avec ceux de son prologue, deux films plus tôt.
En ouverture de Un voyage inattendu, nous avions en effet été pris à parti par un Hobbit vieilli, amer, saisi par un accès de colère en se remémorant la bataille, concluant à l'inutilité de la guerre et à la vanité meurtrière de princes entraînant la mort de la plupart de leurs soldats. Bilbo, qui a tout fait pour empêcher le conflit fratricide verra Thorin Oakenshield, son ami et le plus orgueilleux de ces chefs agoniser dans ses bras.  Ultime victime de ce que le hobbit ressent comme un gâchis atroce, et dont il reviendra avec la conviction que rien ne mérite autant d'être chéri que le paisible jardin, derrière sa maison, où l'on peut regarder les arbres grandir.C'est Thorin qui le lui dit, d'ailleurs, dans ses derniers instants. Variation sur un cliché du genre: le roi, blessé à mort après le combat qui l'a vu défaire son ennemi juré, livre, en rendant son dernier souffle, des paroles expiatoires à un témoin, pour mourir en paix. Le roi nain a donc le temps de donner raison à son maître-cambrioleur, qui n'a eu de cesse de le mettre en garde contre son orgueil démesuré. Mais il le fait d'une façon ambigüe: lorsqu'il loue le goût pour les satisfactions modestes et domestiques du Hobbit, il réaffirme la frontière qui les sépare, et donne même l'impression de se moquer un peu de ce qu'il considère, jusque dans ses derniers instants, comme médiocre. Est-il seulement possible de regarder un arbre pousser ?

C'est à l'acteur Richard Armitage qu'il faut d'ailleurs donner le crédit de cette nuance empêchant la scène de basculer dans le mélodrame lacrymal. Repentant, agonisant, Thorin reste ce roi orgueilleux, incapable de relativiser ses passions, préférant mourir que de reconnaître ses torts mais toujours prompt à en pointer chez les autres. Cette belle mort, au fond, il l'a souhaitée. Elle est son lien à Azog, sa Némésis. C'est elle que Thorin voit lorsqu'il regarde le corps de l'orque blanc dériver sous la glace, paisible. Un beau moment de cinéma, une de ces inventions visuelles qui placent Peter Jackson bien au dessus de la masse des techniciens solides. La surface du lac gelé est un miroir glacé dans lequel Thorin se voit, et l'ennemi vaincu dont il ne peut détacher le regard est un reflet de lui-même. Azog et Thorin ne peuvent mourir tant qu'un d'eux est vivant Respectueux du genre, Jackson en comprend la dimension fataliste. Au fond, si Thorin meurt, c'est que sa nature guerrière le veut, tout comme celle d'Azog. Bilbo, lui, est épargné parce que le goût de l'action violente lui est fondamentalement étranger. Une passion triste, que celle qui anime Thorin, comme le souligne la minéralité glacée du décor. Nous avons commencé dans les flammes, avec l'assaut de Smaug, pour finir dans la glace. Un ample mouvement plastique, que Jackson maîtrise parfaitement, et qui suggère combien,  quelle que soit l'exaltation que son spectacle provoque, l'héroïsme guerrier est une pulsion stérile, à travers le regard de Bilbo qui, le cinéaste ne s'en est jamais caché, est son alter-ego à l'écran.
La condamnation  morale de Thorin est sans appel. Tout roi qu'il est, il demeure inféodé à son destin, tandis que Bilbo dispose du libre arbitre: lui seul, d'ailleurs, pouvait épargner Gollum comme il le fait sous les monts brumeux. Juge de son héros par les yeux de son personnage principal, Peter Jackson ne renonce pas pour autant à illustrer avec emphase la chanson de geste de Thorin. Si Bilbo, qui désapprouve la guerre, est totalement étranger à ce qui anime Thorin, il n'en demeure pas moins le témoin de ses exploits, auxquels Jackson donne toute la démesure de son imagination et de son perfectionnisme plastique, et traduit la stupéfaction du Hobbit face à ce qu'il traverse.

La beauté de la geste de Thorin est là: Bien sûr, Peter Jackson est ce petit garçon jouant avec ses soldats de plombs, fantasmant des batailles insensées où ne s'illustrent que noblesse héroïque, puissance physique et courage infaillible. Mais il n'oublie pas de dire qu'il voit les limites du tapis sur lequel ce garçon est allongé, et en dehors duquel Thorin Oakenshield n'a rien d'un héros.

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