jeudi 20 octobre 2016

20/31






L'homme est-il une machine déréglée ? Etre humain, est-ce dysfonctionner, échapper à un programme qu'on ne veut plus remplir ?  C'est ce que se demande Brad Bird, et nous avec lui. Avec ce grand robot dégingandé, auprès d'un homme en devenir, Hogarth. Le petit garçon se lie d'amitié avec la grande machine, dans une ambiance étrange et onirique: il a caché le géant, et lui seul, pendant un certain temps, l'initie au monde des hommes. Mais lorsque la fin approche, le géant s'est frotté à la communauté, et par ce contact a compris quel est son destin.

De l'innocence à la conscience, nous aurons suivi tout son parcours moral. Lorsqu'Hogarth le découvre, le robot semble vierge de tout désir, simplement habité par la curiosité du nouveau né, et bientôt taraudé par un appétit similaire, mais dirigé, dans le cas  du géant vers le métal. Enfant solitaire, mais par dépit plutôt que par choix, est ravi de trouver avec la mémoire vierge de son étrange visiteur une surface où inscrire une carte du monde tel qu'il voudrait qu'il soit. Un peu despote, comme tous les enfants, Hogarth transmet pêle-mêle et tel quel au géant ses valeurs: l'amour de la nature, un respect de la vie et un sens de l'honneur comme seuls un garçonnet de 10 ans peut les ressentir. C'est à dire en pensant qu'ils devraient gouverner le monde des adultes, tout en sentant bien que ce n'est pas le cas. A cette gravité magnifiquement captée par les animateurs du film s'ajoute un goût du jeu d'autant plus touchant que l'époque à laquelle le récit est situé est dominée par ceux, cachés, de toute une société.

Celle de l'Amérique des années 50, engluée dans une paranoïa anti-communiste faisant voir des double-fonds et des dissimulations partout. Double négatif de Hogarth, l'agent Mansley personnifie une attitude face au monde opposée à celle du garçon. D'emblée persuadé, seul contre tous, de l'existence du géant, et qu'il incarne une menace, Mansley est celui qui va précipiter la fin du robot.

Hogarth, protecteur, du Robot, aura été contraint de révéler son existence à des proches. A Dean d'abord, symbole d'une liberté de pensée inaccessible à l'Agent Mansley, auquel il s'oppose aussi, et à l'inverse duquel il représente, pour Hogarth, un devenir homme attirant et enviable. C'est se qu'incarne le robot: figure creuse, il est, comme le garçon, et c'est leur lien, une puissance en devenir. Sinon que celle du géant, symbolique, est à même d'affecter le monde entier. En un sens, il est l'image à l'écran de la génération d'Hogarth: héritière d'un monde issu de l'arme atomique, elle est sommée de se positionner en regard du pouvoir terrifiant que l'humanité vient de se donner: celui, en appuyant sur un bouton, de s'anéantir soi-même.

C'est l'amour de la fiction qui déterminera le choix du géant. Immédiatement fasciné par la figure de Superman, c'est en se mettant à la place du héros inventé par Shuster et Siegel que le robot décide de ce qu'il veut devenir, et va à la rencontre du missile nucléaire tiré pour le détruire, et qui risque de toucher à la place la côté américaine. Volant à la rencontre de la mort, le robot murmure, un sourire aux lèvres le nom de son héros. En agissant comme un héros fictif, le géant accomplit paradoxalement son humanité. Produit de l'imaginaire de deux hommes, Superman présente pourtant des qualités et une perfection  telles qu'aucun homme ne saurait agir comme lui. Que faire d'un tel gouvernail moral ? Y croire malgré tout. Il faut bien admettre que la découverte ultime du géant, le dernier pas de sa marche sur terre, commencée avec les joies les plus matérielles- manger, regarder, agir- s'achève par la revendication d'un idéal, un acte de foi, en acceptant de faire avec son corps faillible ce que son héros aurait fait avec son enveloppe invincible. Cette décision est aussi la marque, pour le robot de l'accomplissement de son libre arbitre.
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