mardi 4 octobre 2016

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Robert Thorn, tel Abraham prêt à sacrifier Isaac, lève un poignard sanctifié pour crever le coeur de son fils Damian. Mais le symbolisme de la scène est retourné par la logique d'inversion souvent adoptée par les récits sataniques. Loin d'être un agneau, le garçonnet n'est autre que l'Antéchrist, et son père est bien décidé à le tuer, non par dévouement envers le Créateur, mais parce que l'existence de l'enfant menace l'humanité entière. On appréciera d'ailleurs qu'en un ralenti particulièrement appuyé, Richard Donner substitue au bras de Dieu le revolver d'un policier.



Gregory Peck sera donc la dernière victime de son fils adoptif, qui aura machiavéliquement provoqué la mort "accidentelle" de tous ceux qui ont menacé sa vie, ou simplement fait mine de le contrarier. L'acteur est le symbole absolu de la droiture morale et du paternalisme de l'Amérique triomphante du New Deal. Il débute d'ailleurs en 1944 à Hollywood, se mariera avec une française, et aurait dit à la fin de sa vie: je voudrais qu'on se souvienne de moi comme d'un bon père et d'un bon mari ! Que celui qui aurait du être le dernier rempart  contre le mal disparaisse  abattu par un ralenti si exagéré qu'il en devient comique ne nous étonnera pas  de la part de ce pitre de Richard Donner, malgré la solennité et la noirceur apparente de La malédiction. Blagueur, le cinéaste n'a pas l'air de prendre son histoire très au sérieux, et tire ses scènes vers le grotesque dès que l'occasion se présente. Un trait de la personnalité de Donner, sans aucun doute, blagueur qu'il vaut mieux ne pas laisser en roue libre sur une comédie, mais qui  apporte ici une certaine humanité à un récit de toute façons ridicule, et qui ne survivrait pas à une approche au premier degré.



Particulièrement monolithique, trop âgé pour le rôle, Gregory Peck n'existe d'ailleurs qu'en tant que symbole d'un cinéma révolu en 1976. De même que Damian, finalement, n'est diabolique que parce qu'il est  vu à travers le prisme des angoisses de son papa trop vieux:  détruire le monde de ses parents, briser la loi des pères, amener ses proches au bord de la folie homicide, exciter les bêtes, faire de sa nounou une esclave, n'est ce pas là  l'ordinaire de tout enfant ?



On transposera facilement cet antagonisme générationnel à l'échelle de l'histoire esthétique du cinéma américain. Donner s'amuse, encore une fois, à prendre acte d'un changement de paradigme: les valeurs du cinéma de papa Peck ont été irrémédiablement saccagées par les sales gosses du nouvel Hollywood. La mort de Thorn, détail dans le récit, permet surtout à Damien de progresser significativement dans sa conquête du monde, en se faisant adopter par "le président". De héros, Peck est devenu un instrument d'un monde passé qu'il faut écarter pour conquérir le pouvoir. Dans les studios hollywoodiens ? Une lecture facile mais valide du film de Donner, qu'elle soit consciente ou pas.



Reste que la mort de Robert Thorn, de la main de deux policiers relève aussi d'une esthétique typique des années 70, reprise à son compte par un Donner solide artisan qui a longtemps su sentir l'air du temps et calibrer ses films en fonction. C'est là une mort absurde, des mains de ceux qui devraient servir la justice et la loi, et qui, par ignorance, participent au triomphe du mal. Instruments involontaires, mais  instruments tout de même. Donner n'étant pas non plus un auteur subversif, il ne faut pas désespérer dans la chaumières et au fond, même mort, la probité morale de Peck n'est jamais remise en question: jusqu'au bout, il aura conservé son gouvernail, son libre arbitre, et sa certitude de ce qu'est le bien. Seuls les esprits faibles autour de lui ayant succombé à la volonté du mal. En exagérant un peu, on pourrait dire aussi que même mort, Robert Thorn gagne encore: il y a un camp du bien, le sien, et il avait raison au sujet de Damien- il a perdu aujourd'hui, mais c'est une bataille, et pas la guerre. Donner ne malmène jamais le confort moral du spectateur: le bien, le mal, restent bien séparés par le profil aquilin de Gregory Peck.  Le cinéma hollywoodien des années 80, dont Donner sera un artisan majeur, pointe le bout de son nez, et  malgré les apparences, la succession de Gregory Peck est assurée: Willis, Gibson, Stallone- qui tournerons tous pour le cinéaste- ces héros qui savent quoi faire de juste et le font, attendent déjà leur heure. Rira bien qui rira le dernier, Damien.



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