dimanche 30 octobre 2016

30/31: Special Feature





Quand ?

Matthias: Quand on cherche un méchant increvable, avec Annie Wilkes on peut dire qu'on l'a trouvé ! On s'en doute un peu dès le début du film, lorsque Paul Sheldon se réveille chez l'infirmière acariâtre, et que celle-ci "nous" regarde avec le visage avenant et néanmoins rustre de Kathy Bates, ça va pas être si facile de sa faire comprendre de cette plouc forcément un peu lente à la comprenette... Il y a quelque chose d'assez typique de ce cinéma dit "survival" dans ce film d'horreur assez balourd, et franchement complaisant. L'Américain civilisé, c'est-à-dire urbain, cultivé, le plus souvent riche, et en l'occurrence reconnu, s'y trouve toujours ramené à l'état qui devrait être le sien si la fortune ne lui avait pas souri. Peler toutes les couches du citadin forcément privilégié, voilà quel semble être la mission de ces psychopathes campagnards aux pulsions finalement toutes "normales", voire même légitimes dès lors qu'il s'agit d'obtenir le juste retour des choses :  profiter enfin de leur part de ce rêve américain qui leur semble refusé depuis si longtemps. En l'occurrence, pour la solitaire Annie, non seulement enfin faire la connaissance de son auteur favori, et pouvoir se déclarer sa "plus grande fan",  mais encore prendre soin de lui comme on s'occupe d'un enfant chéri. De la bienveillance, de l'attention, de l'amour, quoi de plus américain au fond ? Mais cet amour s'il est parfois maladroit, puise sa légitimité, et son éventuel excès, dans l'authenticité d'un sentiment qui n'a rien de calculé. C'est là semble-t-il qu'il existe une différence fondamentale entre la ville et la campagne : nulle arrière-pensée ou manigance dans le sentiment fruste et sincère d'Annie, de l'amour et rien de plus. Si l'on juge cette histoire à l'aune de son point de vue, et que l'on met de côté un instant son passé psychiatrique, il est peut-être assez normal finalement que la garde-malade se transforme en harpie : après tout, son protégé tente de la tuer, ni plus ni moins. Et si c'était Annie qui avait raison ? Non content de la droguer, ou du moins de tenter de la droguer, il la torture en menaçant de brûler l'ouvrage qu'il vient d'écrire et qui pour Annie a valeur de véritable Bible. C'est que les personnages inventés par Paul, elle y croit plus qu'à ceux du monde réel, la Annie ! Un peu comme nous, quoi... Franchement, si l'on devait s'identifier un peu honnêtement à un personnage dans ce film, cela devrait plutôt être Annie que son "bourreau" ! Bien entendu, rien de ces audaces dans la mise en scène plan-plan de Rob Reiner qui dès les premières scènes ne cache rien de ce qu'il suppose être notre connivence avec Paul. On sait donc dès le début, aussi parce qu'on connaît les codes du genre, qu'il va lui falloir une bonne dose de résistance et d'inventivité pour devenir plus sauvage que son bourreau, et retourner la légitimité à son profit : vive la violence qu'on vous fait subir, elle vous autorise à en exercer une plus grande encore... 

Chef de Gare: Quel emportement ! Pas sûr que j'arrive cette fois à raccrocher tous les wagons avec toi, camarade. Le moment où l'on pense qu'Annie est sur le carreau pour de bon, c'est quand Paul, pour lui échapper, l'envoie s'écrabouiller la tête sur sa machine à écrire. Tout un symbole, hein, dans ce film transparent, ou tout est appuyé, surligné, et répété. Misery, c'est le mètre-étalon du thriller à mémère. Du coup, vu le public visé, on peut imaginer qu'ils y a eu des spectateurs pour croire qu'elle y était vraiment restée, sur le tranchant de sa Royal 10.
Quand à savoir s'il faut voir dans la lutte de l'un et de l'autre une image de stéréotypes structurant la société américaine, entre intello à qui il faut faire redécouvrir les vertus des bonnes vieilles valeurs de nos ancêtres, et bigots ruraux coincés dans leurs névroses, je te laisse la responsabilité de tes propos. Déjà parce que Paul ne colle pas si bien au stéréotype de l'intellectuel timoré, il est assez sportif, il se retire à la campagne suivi le même rituel chaque année, avec sa vieille bagnole, et un habitant  du cru souligne bien combien il a su rester un gars simple.
Quant à Annie, ce n'est pas non plus la fermière des grands espaces: infirmière, elle se retrouve plus ou moins sans activité-- on comprendra pourquoi: elle a visiblement zigouillé des bébés de la maternité dont elle avait la direction. Du coup, vu ce que Reiner lui colle sur le dos, comment Kathy Bates l'interprète, et le grand angle peu valorisant presque constamment utilisé par Barry Sonnenfeld pour la cadrer, je ne vois pas bien comment on pourrait être invités à s'identifier à cette ogresse. C'est même ce qui m'a le plus gêné dans le film: le regard impitoyable, moqueur et condescendant porté sur ce personnage, malgré cette scène assez belle, mais trop outrée -Bathes n'est vraiment pas à la hauteur- dans laquelle Annie laisse percevoir une certaine conscience de la folie. Non s'il y a une ligne tracée dans le film, je la vois plus séparant les "tarés" de nous, que des rats des villes de rats des champs.

Comment ?

Matthias: Le film se déroulant quasi-intégralement dans la chambre où Paul est retenu par Annie, parvenir à fabriquer un suspens autour de l'endurance de la mégère ne va pas être si facile. L'interprétation de James Caan parvient à tromper notre ennui. L'acteur n'a jamais l'air aussi sauvage qu'il le devrait, et ne parvient pas vraiment à se débarrasser de son côté affable et sympathique. On se doute bien qu'il s'agit là de nous mettre de son côté, mais tout de même quelque chose résiste à cette simple intention, et participe un peu de l'empathie que l'on ressent pour le personnage - et partant d'un certain malaise lorsqu'il s'agit pour lui de forcer sa nature pour tenter de se débarrasser de cette femme qu'il ne parvient finalement jamais à haïr complètement. J'imagine que pour un certain nombre de spectateurs, Paul apparaît ni plus ni moins comme une fiotte incapable de détermination dans son geste criminel - et c'est bien à ce caractère indécis qu'Annie doit sa survie lorsqu'il tente de la tuer une première fois. Ce n'est donc que justice qu'il ait à s'y reprendre à plusieurs fois, pour se "libérer" enfin de cet être civilisé vraiment trop idéaliste pour mériter sa vengeance. Mais peut-être est-ce simplement parce que Paul ne cherche pas vraiment à se venger... Contrairement à Annie pour le coup, dans la dernière partie du film, et comme on le disait plus tôt, on la comprend un peu !

Chef de Gare: James Caan est effectivement formidable, et on est constamment de son côté. Je ne crois pas, par contre, qu'il ait une vraie sympathie pour Annie, au contraire, comme dans une pièce de boulevard, on a droit à quelques apartés mettant les choses au clair, et murmurées à voix basse par Paul. Quand il lui envoie entre les dents du "You sick fuck!", je sais pas si ça traduit des sentiments très ambivalents. Au contraire, il me semble que tout est fait pour empêcher notre sympathie envers Annie. Jusqu'à cette fausse mort, donc, qu'il faut peut-être comprendre littéralement- Misery est un film transparent qui est construit comme un B.A BA du thriller réconfortant. Donc si Annie ne meurt pas, alors qu'on voit le sang se répandre en une grande flaque depuis sa tête sur le parquet, c'est peut-être qu'elle n'est pas tout à fait humaine.

Pourquoi ?

Matthias: Il faut bien tenir la durée habituelle d'un long métrage ! Et si Annie est la némésis du pauvre Paul, américain civilisé revenu aux origines sauvage de sa civilisation, il faut bien que l'expérience ait un peu de "poids", sans mauvais jeu de mots. Que serait cette Odyssée en chambre si elle ne durait pas un peu pour permettre de mettre à l'épreuve le héros ? Il faut du temps pour "changer" et s'admettre tel qu'on est, même si le remède semble pire que le mal. Qu'un survival puisse se terminer avec la victoire du héros maltraité, qui finit par faire subir à son ennemi une revanche plus amère que le mal qui lui a d'abord été administré, voilà bien ce qui traduit la vraie nature du genre : l'homme est un loup pour l'homme, et c'est seulement ainsi que tout peut se résoudre. Philosophie simple et imparable : Hobbes avait raison, et Nietzsche également, tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Avec Hollywood, il n'est pas interdit même d'y prendre plaisir. Plus fort, plus con aussi, le plus souvent...

Chef de Gare: Il faut quand même prendre en compte l'épilogue: Annie ne meurt pas, parce que pour Paul, il y aura toujours des Annie, des "biggest fan"- et c'est logique: élimine le number one et le suivant prend sa place. Le succès même de Paul et la nature de la fiction qu'il écrit créer avec son lectorat un lien aboutissant forcément à la création de Annie(s). C'est inhérent à la pop-culture, et à la consommation immature qui en est faite, et que les conglomérats multi-médiatiques exploitent sans vergogne. Je suis sûr qu'il doit y avoir sur le Net des parodies de Misery remplaçant Paul par George Lucas, sommé de réécrire La menace fantôme. Là encore, le mépris avec lequel Reiner présente la littérature à l'eau de rose dont Paul a tiré sa fortune est terrible, même s'il s'agit d'humour. Le film est quand même une grosse blague, parfois très marrante- mais Reiner, qui est quand même le réalisateur de Spinal Tap et Princess Bride, merde !, est cette fois tellement misanthrope. On sent que la confrontation au thriller en tant que genre est pour lui un exercice de style- il était d'ailleurs assez récalcitrant à filmer les scènes de violence- mais il est si mal à l'aise que l'humanité qu'il sait si bien capter d'habitude dans les figures les plus improbables se retourne ici en dédain. Au delà de la médiocrité formelle du film - je n'ai jamais vu autant de gros plans didactiques, on dirait que le film a été conçu pour être regardé dans sa cuisine, en préparant le diner, sur un écran de 15 cm- c'est ce regard que j'ai détésté.









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