dimanche 2 octobre 2016

2/31: Special Feature

Cette année, selon la tradition, la fin de semaine est occupée par une séance spéciale, cette année le dimanche, consacrée, en une terrible symétrie avec nos héros morts, aux méchants increvables. Les seconds étant d'ailleurs souvent directement responsables du décès des premiers.
Commençons à fond la caisse avec Wez, l'iroquois violent de The road warrior, alias, dans la langue de Molière, Mad Max 2, le défi !

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Quand ?
Chef de Gare: Quand Max le balance par dessus le capot d'un bon coup de frein, on se dit que ça y est, enfin on est débarrassés de Wez, le mâle alpha de la bande à Hummungus. Qui pourrait survivre à une pareille chute ? Il faut dire aussi que George Miller ne nous laisse pas tellement le temps de nous poser des questions sur ce qui pourrait se passer: l'assaut de Wez sur le toit du camion citerne de Max n'est qu'un des évènements parmi d'autres du climax fou de Mad Max 2.

Matthias:  On pourrait aussi se dire que, non, ce n’est pas possible qu’un dur à cuire comme Wez puisse périr d’une si piètre façon. C’est qu’on l’a déjà vue à l’oeuvre, la mort, auprès de cet iroquois des routes : dès la première séquence du film, lorsque Max parvient à se débarrasser de quelques poursuivants appartenant à la même bande, il nous apparaît dès l’abord comme l’antithèse de Max : à moto, massif, accompagné, grimaçant. Mais Wez a alors laissé vivre Max, peut-être parce que le carreau d’arbalète qui a transpercé son bras réduisait un peu sa formidable capacité de « road warrior ». Le sauvage retirera d’ailleurs lui-même le trait de son biceps avec un sourire qui en dit long sur la réalité de ses motivations : souffrir et faire souffrir, voilà la came de ce nouveau type de barbare post-apocalyptique. Un archétype néanmoins classique au cinéma depuis ses débuts, et dans lequel on aura évidemment reconnu l’indien farouche et sanguinaire.

Chef de Gare: ça Miller ne s'est jamais caché de son amour pour le western- qui n'aime pas ça, franchement ?- ni de son projet de le réactualiser à travers Mad Max. Si tu vas par là, la question qui se pose alors, c'est celle de la frontière, et de la loi: elle est autant du côté de la communauté, qui partage des valeurs dans le cercle non plus des chariots bâchés, mais des camions immobiles garés en rond de leur fort, que de celui des barbares, qui ne connaissent que le règne du plus fort. C'est d'ailleurs ça, le personnage de Wez: tu trouves piètre sa première disparition, mais il prend juste acte de ce que le camion est plus fort que lui. Rappelle-toi, c'est aussi le cas au début: si Wez fuit, c'est surtout parce qu'il pense que le flingue de Max est chargé. Max, lui triche toujours, c'est ça sa "folie": il bluffe avec sa vie pour la sauver, et joue avec cette loi de la jungle. Là il y a une vraie différence avec Wez, qui n'est pas tout à fait le revers de Max.

Matthias: d’accord avec toi, et d’ailleurs, je pense que ça rejoins ce que je dis un peu plus bas. Wez est sans doute plus rationnel que Max en ce qu’il est plus calculateur. Et il poursuit un but : d’abord voler de l’essence, puis se venger. Wez, c’est bien le sauvage qui veut prendre à ceux qui ont travaillé sans avoir d’autre énergie à dépenser que sa force brute. Là, on revient bien à ce qui fait le western : d’un côté la civilisation, c’est-à-dire le labeur, de l’autre le sauvage, soit la force du plus fort. Max est particulièrement un héros de western d’ailleurs, en ce qu’il ne parvient pas à choisir entre ces deux options : il n’est pas un membre de la communauté, et tout de même, ses talents ont à voir avec la violence pure. Il est vraiment l’équivalent du lonesome cowboy des westerns, dans lesquels il y a quelque chose de commun entre le héros et le bandit. La légitimité, c’est-à-dire la loi, supporte l’un et réprouve l’autre, et cette légitimité, c’est celle que donne la communauté. Mais au fond, il n’y a pas d’autre différence entre les ennemis à mort ! 

Comment ?
Chef de Gare: ça on n'en sait rien ! Une chose est sûre, l'expérience a du être douloureuse vu les stigmates sur la pauvre tronche de Wez.

Matthias: on l’a dit, il est vraiment costaud, le gaillard ! C’est même là toute sa définition, à l’instar d’ailleurs de Max, le héros. Car bien entendu l’un et l’autre ne sont que les deux faces d’une même médaille : l’un pourrait être l’autre et inversement. Max n’a pas plus de moralité. Peut-être même en a-t’il moins encore que notre Wez, qui cherche au moins à se venger de celui (ceux) qui ont tué son amant. Max quant à lui n’a aucun scrupule à exiger l’aide d’un jeune gamin, quitte à le laisser tuer pour parvenir à ses fins. Pour Max, tout et tout le monde est moyen, pas fin. Moyen de survivre, d’obtenir du précieux liquide pour continuer à faire rouler ses bolides sur des routes qui n’ont plus sens ni destination. Max est fou, on le sait c’est dans le titre du film, Wez, l’est également, mais de douleur, d’abord morale avant d’être physique. On peut supposer que pour survivre à tout dans cet univers, il faut avant toute chose être vraiment fou ! Après tout, ça pourrait bien être là l’une des définitions du genre, à l’époque assez littéralement illustrée par la série de roman de Julia Verlanger avec L’autoroute sauvage en 1976 ou Le Jour des fous de Edmund Cooper, paru en 1971 ! Mad Max 2 apparaît comme la mise en scène de cette folie propre à ce monde inversé du post-apocalyptique - nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet durant notre mois avec quelque film un peu fameux…  

Pourquoi ?
Chef de Gare: Sans doute parce que Wez, tout au long du film, aura incarné pour Max une menace plus définie que celle de cette horde de barbares anonymes. Mais finalement, il en est le symbole, il la résume. Au fond, pas plus que la horde n'est anéantie à la fin, Wez ne peut vraiment mourir. D'ailleurs, même si cette fois, on voit des morceaux de barbaque saignante éjectée par l'impact des corps contre le camion de Max, rien ne nous dit que ce ne sont pas ceux des pauvres otages de la horde. Wez est-il vraiment mort ?

Matthias: Tu as raison : tant que Max est en vie, Wez est en vie ! Sinon, les mouvements incessants de Max n’ont décidément non seulement plus de sens, mais même plus de motif - au sens physique du terme : il faut bien que quelque chose le fasse avancer, le Max, à défaut de le faire aller quelque part ! Ce qui est si puissamment cinématographique dans le film de Miller, c’est bien sûr le fait que c’est le mouvement seul qui l’intéresse. Il n’y a pas de décor dans ce désert, seulement une toile de fond, une « étoffe » à partir de laquelle se crée le mouvement : les trainées de poussière des véhicules, le déploiement sans fin de la bande d’asphalte de la route, la vitesse et l’accélération de tout ce qui habite l’écran. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si le moment de la « mort » de Wez correspond non seulement à l’arrêt du camion, et donc de tout mouvement, mais aussi au seul mouvement « tactique » de cette course folle. C’est en retournant le camion sur la route, en effectuant un demi-tour, que Max se retrouve face-à-face au véhicule d’Hummungus. La route n’a pas trouvé son terme, elle a simplement trouvé son extrémité : pour pouvoir continuer à avancer, il faut la reprendre, mais à l’envers. Hummungus, et avec lui Wez, se trouve vaincus, non du fait de leur moindre adresse ou résistance, mais simplement parce qu’ils n’ont pas vus ce renversement de situation, de convention pourrait-on presque dire. Ils pensaient pouvoir continuer à poursuivre Max jusqu’au bout du monde. Il n’y a pas de bout du monde, il y a juste la route, rien que la route. La tactique de Max, toute rationnelle qu’elle puisse être, signe la chute définitive de ce monde dans l’absurdité décisive. Le « twist » final le souligne : ce après quoi fonçaient ces guerriers du futur, n’était que poussière. Vanitas vanitatum !

Chef de Gare: Je n'interprète pas du tout la collision de Wez sur Humungus de la même façon que toi. Là, il me semble encore que Max, à qui la supériorité du mâle alpha manque- il est de plus en plus estropié tout le long du film, et se présente dès le début avec une jambe boiteuse- retourne simplement la force de l'agresseur contre lui-même. Max, c'est aussi la figure du sage/fou, quelque chose de très oriental, mais Mad Max 2, c'est aussi un film de samouraï- celui qui voit la trame derrière le tissu, qui perçoit immédiatement les gens. D'une certaine façon, c'est un hyper sensible. C'est ça, qui le lie instantanément au Feral Kid. Wez, lui, ne court pas après rien: les barbares veulent l'essence, pour continuer à rouler. Je disais qu'ils avaient eux aussi leur loi, c'est celle d'Hummungus, qui veille sur eux comme Papagalo sur les siens. D'ailleurs, tu as raison dans ton analyse, mais il ne faut pas oublier que dans Mad Max 2, il existe encore un ailleurs: ce paradis, qu'on peut tout à fait supposer imaginaire, certes- que la communauté des survivants réussit à atteindre et d'où elle raconte, apparemment, l'histoire de Max. Si Wez est le diable increvable de Max, c'est aussi parce qu'il adhère parfaitement à son monde: pour que la horde ait une raison d'être il faut qu'elle se meuve. Et comme elle ne peut pas se courir après elle-même elle doit poursuivre quelque chose.

Difficile de ne pas évoquer, au passage, Mad Max Fury Road, qui parvient, pas un mince exploit, à être encore plus pessimiste que The Road Warrior, puisque cette fois, la horde se poursuit effectivement elle-même, et que plus personne n'a d'autre trajectoire possible que le demi-tour.

Si on comprend complètement Wez, il y a je trouve, un certain mystère dans le personnage du Max de Road Warrior. Vraiment, pourquoi veut-il survivre ?

Matthias : C’est sûrement là qu’il est un héros, finalement. Il ne veut survivre que pour mener à bien son propre mouvement. Tu parlais du film de samouraï, il y a quelque chose du final du film de Kurosawa dans ce Mad Max 2 : « C'est encore un combat perdu. Ce sont les paysans les vrais vainqueurs. Pas nous ». Au fond, ce type de héros n’en est pas un : s’il agit, ce n’est que pour le compte de ceux qui en font des héros - à leur profit ! Si l’on avait le contrechamps du camp de Wez, peut-être ses acolytes diraient-il la même chose au sujet de leur champion disparu. « Tout ça pour Hummungus… »
C’est étrange de voir comment l’anti-héros est devenu le héros finalement, dans le cinéma mainstream. Chez Kurosawa, la vanité guerrière s’était éprouvée à une expérience personnelle des années de guerre. Peut-être qu’à partir des années 60 et 70, il en est allé de même en Occident… Et pourtant, ces guerriers déclassé n’ont jamais été aussi séduisants ! Jusqu’à revêtir dans l’auto-remake de Miller les atours de Charlize Theron ! Vanités, disais-je plus haut…

Chef de Gare: Max va vraiment voler la vedette de cet épisode du Train à Wez, mais je ne suis pas sûr que les qualités de Max se situent du côté de la violence. Finalement, dans le film, il ne prend l'avantage que dans les situations où il a perçu, comme tu le dis justement, l'avantage tactique. Avec le lance-flamme, en retournant le camion, en vendant des renseignements sur la citerne qu'il a localisé. Fury Road commence comme ça: un affrontement sans option, et là, Max perd immédiatement. Max, c'est un samourai, mais c'est aussi un peu Ulysse ! Et Wez, Hummungus, la horde... autant de cyclopes, pour qui les autres sont le troupeau laborieux travaillant en fait pour le plus fort. La noblesse de Max tient-elle dans ce qu'il ne cherche jamais à excéder sa propre célérité ? C'est ça, aussi, qui tue Wez finalement. Il se dépense sans compter. Ce gars prend trop d'élan !


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