samedi 15 octobre 2016

15/31






Et si c'était l'histoire du basculement d'un regard, cette Guerre des étoiles ? 25 ans après le Retour du Jedi,  Lucas, en plaçant Dark Vador au centre de sa nouvelle trilogie redessine les perspectives et fait de lui, à la place de Luke, le véritable héros de Star Wars. La rédemption du Seigneur Noir n'est plus celle d'un père sauvant la vie de son fils, mais d'un fils sacrifiant la sienne pour permettre le rachat de son père. Quoi qu'on pense de La menace fantôme, L'attaque des clones et La revanche des siths, difficile de nier qu'il changent notre vision de la conclusion poignante du Retour du Jedi.



Le regard, c'est aussi tout ce qui reste à Vador, qui  implore Luke de lui retirer son masque, afin de pouvoir "pour une fois [le] regarder avec ses propres yeux". Mais le dialogue énonce quelque chose qui nous été montré avant. La rédemption de Vador, provoquée par sa décision de sauver la vie de son fils en mettant un terme à celle de son bourreau, l'Empereur, est justement possible par un basculement de son regard. Dans cette saga réputée si manichéenne, le bien et le mal ne sont donc que des questions de point de vue. Cette errance du regard d'abord déstabilisé de Vador est d'ailleurs mise en image d'une façon très directe, presque primitive- un choix sans doute imposé par l'aspect même du personnage- mais qui tire heureusement la scène vers le conte plutôt que le drame psychologique. Tout simplement: debout entre son fils et l'empereur, le Seigneur Noir, dont on ne peut jamais lire les expressions faciales ni même la direction du regard, doit basculer tout son corps  pour se tourner vers l'un, puis vers l'autre, pour nous communiquer le dilemme qui le presse à ce moment là. Où faut-il regarder ? devient Comment faut-il regarder ?



D'impitoyable, Vador devient, face au spectacle de son fils martyrisé par l'Empereur, compatissant- un sentiment qu'il a peut-être toujours ignoré. Le courage de Luke, son héroïsme, ce n'est pas d'agir, mais de se montrer, de se donner à voir par son père, en s'opposant à lui tout en revendiquant sa filiation. En disant "Je suis un Jedi comme mon père l'avait été avant moi" , il défie l'Empereur  qui l'invite à prendre la place de Vador à ses côtés, et dans le même mouvement, revendique auprès de son père sa filiation en lui tendant le miroir de ce qu'il a été. C'est justement la place de son père, tel qu'il l'imagine avoir été, que Luke accepte de prendre. Et Vador, acceptant de se voir tel que son fils l'imagine devient brièvement ce père qu'il n'a jamais été.



Si cette conclusion joue parfaitement son rôle de retournement de situation inattendu à même de ne pas décevoir les attentes de spectateurs l'ayant espérée et imaginée trois ans durant, et si elle offre l'écrin idéal au moment fantasmé depuis la première apparition du Seigneur noir- la révélation de ce que cache son masque- elle dépasse aussi la simple efficacité narrative pour toucher à quelque chose de plus singulier et fondamental.



Qu'une figure présentée comme le mal absolu- dans le monde de Star Wars il s'agit du bras armé, sans aucune conscience, d'un pouvoir totalitaire fasciste- puisse être vaincue non par la violence, mais par un forme de résistance morale explique peut-être, quoi qu'on en pense, la pérennité d'un récit qui est devenu avec les ans la pierre angulaire de la culture populaire. C'est ce qu'on voudrait croire, en tous cas, tant il nous semble que le parcours de Luke Skywalker aboutit à une forme d'héroïsme finalement assez inhabituel dans ce genre de cinéma.



Il y a aussi là l'empreinte d'une époque, d'une façon plus souterraine et équivoque que ce qu'on a pu penser à la sortie du film. Luke et les jedi sont tout de même né de l'imagination d'un jeune homme ayant vécu la contestation étudiante de l'engagement américain au Vietnam, ou l'assassinat de Martin Luther King.  La robe de Luke évoque autant le kimono que la robe du pasteur, et c'est par le refus de la violence qu'il décidera son père à mettre fin au conflit qu'il a par ailleurs initié.



Regarder Luke avec ses propres yeux, c'est donc aussi faire face, en retirant le filtre de l'idéologie qu'il a servi des décennies durant, au pire de ses crimes, le génocide des Jedi, en regardant dans les yeux son fils, qui vient de les faire renaître. A ce moment, Luke est aussi le symbole de toutes les victimes du Seigneur Noi.



La volonté de Vador de voir sans son masque inverse nos attentes: n'est-ce pas Luke, comme nous, qui devrait-dire "Laissez moi vous regarder dans vos propres yeux ?" Mais la révélation du visage de Vador fonctionne également par une inversion assez poétique du motif plastique de la vanité. Ce n'est pas le crâne (le casque évoquant une tête de mort) qui est révélé sous la chair, mais le contraire.

Vador, qui a personnifié la mort, au moment de son trépas, finit par en incarner l'humanité.



Ce visage que l'on découvre vieux, diminué, effrayant et pathétique à la fois a-t-il put être celui, caché, de cette ombre de la mort redoutée depuis trois films ? En nous révélant son humanité reconquise, en apparaissant si faillible, Vador ne nous rappelle pas tant la finitude de notre condition que la mortalité du mal, qui n'existe, finalement, que dans le coeur des hommes acceptant de s'y vouer.



On imaginait mal le Retour du Jedi se conclure sur une note pessimiste. Le conflit de générations opposant Luke à son père, responsable des malheurs du monde de son fils s'apaise  par une réconciliation, et la paix revenant dans la galaxie lui fait écho. Témoin des révolutions des années 60, Lucas semble nous dire qu'il est toujours possible aux enfants de mettre fin aux mal instauré par les pères. Même s'ils ne sauraient tous le faire en montrant le même courage que Luke: celui de baisser les armes.

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