mardi 11 octobre 2016

11/31





"Quand même, y'en a qui l'ont pas volé", se dit-on parfois, au sujet de nos pauvres héros trépassés, et on finit pas le penser de Christine Brown, héroïne suppliciée par le sadique Sam Raimi de Jusqu'en enfer. Et pourtant, elle est méritante, Christine. Ayant grandi dans un milieu rural, honteuse de ses origines au point de faire de leur dissimulation la boussole de ses choix d'adulte, la jeune fille a tout de l'attachante héroïne d'une success story à l'américaine où volonté de hisser au dessus de sa condition ne peux qu'être récompensée par un happy-end sans équivoque. De la volonté et du mérite, Christine va en faire preuve, et pas qu'un peu, mais pas forcément comme on l'imagine, une fois scellé son dérapage initial. Car, si Sam Raimi, au gré des films et des commandes plus ou moins personnelles, a affûté un art du portrait subtil, il retrouve ici une veine satirique féroce qu'on ne peut guère comparer qu'à Joe Dante ou Paul Verhoeven.
Satirique, mais pas forcément caricaturale- et c'est la grande réussite du film. Le trait épais est réservé à quelques personnages secondaires cernés d'un coup de marqueur rigolard-l'ambitieux Stu, le cauteleux Jacks- mais Christine qui aurait pu être croquée comme une arriviste prête à tout brillamment antipathique est peinte avec nuance par Raimi et son actrice, Alison Lohman, en provinciale pétrie de bonnes intentions et des bonnes valeurs de la terre, mais bien décidée à s'extraire de son destin social, de préférence sans renier sa bonne morale, mais éventuellement en s'asseyant dessus.
Fondamentalement joueur, Raimi sème des dilemmes sur le chemin de l'héroïne comme autant de défi ludiques dont le spectateur est complice. Comme dans ces questions rigolotes et sans enjeux qu'on peut se lancer façon "est-ce que tu  tuerais un châton pour un millions de dollars ?" "deux millions ?" "Combien ?", Raimi met à l'épreuve sans relâche une heure trente durant sa malheureuse héroïne.
L'attrait pour la blague et le jeu ne doit pas faire pour autant oublier la veine assez profondément chrétienne de Raimi, qui semble être de ses cinéastes qui croient, sinon au diable, au moins à l'idée de péché. Et le péché originel de Christine est péché d'orgueil. Parce qu'elle ne supporte pas l'idée que la promotion qu'elle espère puisse être accordée à son rival, elle va humilier la redoutable Madame Ganush, et, plus terrible encore, la laisser chasser du domicile où elle vit depuis 30 ans en lui signifiant l'impossibilité de prolonger son prêt. Le piège tendu par Raimi est impitoyable. A la faveur d'un dialogue en apparté précédant la sentence, on comprend que pour la banque l'enjeu financier de cette éventuelle prolongation est nul. La vie de Madame Ganush n'est, pour le directeur d'agence Jacks, que l'occasion d'un chantage insidieux envers son employée. Autrement dit, la banque n'a rien à gagner ni à perdre à saisir les biens de madame Ganush, puisque la décision est remise entre les mains de Christine.
Absolument crédible, le dilemme que Christine résout en privilégiant son avancement personnel, et en jouant le jeu (encore !) de son directeur machiavélique débouche sur la rupture de ton faisant basculer le film dans le fantastique débridé: Madame Ganush, en embuscade dans le parking souterrain de la banque, attend Christine pour lui jeter un sort. Une malédiction prenant son plein effet, celui de la possession de l’âme de la victime par le démon Lamiah, en trois jours. Trois jours d'une escalade  au cours de laquelle Christine brisera tous ses tabous, et abandonnera tous ses principes dans l'espoir d'échapper à la malédiction. En vain.
Précipitée dans un cauchemar la voyant perdre un à un tous les biens matériels (sa voiture., sa maison...) moraux (elle sacrifie son petit chaton !) et identitaires (sa silhouette svelte durement reprise à l'adolescente boulote qu'elle fut) chèrement acquis, le sort de Christine est scellé... par la gentillesse de son conjoint, qui pense bien faire en lui rendant le bouton de manteau qu'elle a perdu. C'est hélas, le support par lequel la malédiction peut s'accomplir. Et les portes de l'enfer de s'ouvrir... la jolie relation de confiance- encore une fois finement dessinée- entre Clayton et Christine finit elle aussi écornée au terme de ce joyeux jeu de massacre qu'est Drag me to hell.
Si Christine est le bouc émissaire de l'histoire, c'est bien entendu sur le système capitaliste réduit à sa plus simple expression que Raimi se déchaîne. Toujours amusant, au passage, qu'un cinéaste multimillionnaire, ne s'étant probablement pas retrouvé à la tête de blockbusters comme Spider-Man en tenant la porte à tout le monde, se pique de nous faire la leçon. Mais le spectacle est grisant- un vrai tour de train fantôme, à l'image de cette dernière scène électrisante- et le tir bien ajusté. Christine n'a rien d'une ambitieuse sans coeur, et c'est sans doute cela le plus douloureux. Représentante de la majorité silencieuse, fondamentalement médiocre, elle ne doit sa réussite qu'à son labeur, et à un besoin d'ascension sociale passant exclusivement par la réussite matérielle. Se croyant libérée de la malédiction, la première chose que fait Christine est... d'aller acheter un manteau. Material girl dont le tort ne semble être que dans les moyens, pas dans les fins. Son fiancé Clay, interprété avec une mollesse parfaite par Justin Long ne lui lance-t-il pas "tu as bon coeur" lorsque Christine lui confesse que quand même, c'était pas bien de jeter madame Ganush à la rue. Il suffisait donc de le faire la larmichette à l'oeil, et c'était excusable. Plus que l'orgueil, finalement, le péché originel de Christine aura été sa sincérité. Sans doute une des qualités héritées de ses racines rurales et qu'elle n'avait pas réussi à refouler. Au fond, même si la finesse avec laquelle Raimi les dépeint pourrait nous faire croire à son empathie, le cinéaste, en punissant in-extremis la pauvre Christine se montre un juge lucide et impitoyable et nous assène une sacré claque. Quand même, on l'a pas volé celle-là.

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