lundi 20 avril 2020

8/31: La leçon de piano (The piano) 1993









ça marche comment ?

Est-ce que ça a seulement marché ? Qui, de l’Ada morte ou de l’Ada vivante rêve l’autre ? Autrement dit, au spectateur de décider ce qu’il voit,  à supposer que ça ait de l’importance. Quoi qu’il en soit, ce qui se passe après qu’Ada se laisse entraîner par son piano, est mis en scène comme une résurrection et une renaissance. La voix of est explicite : « What a death »[1]. Et le retour à la surface s’accompagne d’un effet sonore soulignant l’analogie avec une naissance : une inspiration profonde, peut-être douloureuse. La scène et structuré par une symbolique presque stéréotypée de l’océan matrice de la vie. Ada en est sortie, difficilement, par l’équipage de la barque, comme par des accoucheurs. L’angle choisit, une plongée, aplatissant la profondeur de l’eau, et soulignant l’interaction d’Ada et des personnages autour d’elle souligne l’analogie. Ce n’est pas l’image de l’héroïne jaillissant de l’eau propulsée par sa volonté de vivre, mais celle d’un nouveau-né qu’il faut assister, et qui accepte de se confier à l’autre. Ce qui est justement l’enjeu de la vie qui l’attend et qu’Ada a choisi. Apprendre à parler, vivre auprès de quelqu’un à qui elle peut se donner et non plus résister. Etre dans le monde autrement que par le truchement de la musique. Le piano de la vie d’avant est resté au fond de l’océan. D’ailleurs comme dans beaucoup de mises en scène de la résurrection, ici aussi il faut passer par un état intermédiaire et un monde flottant entre celui des vivants et des morts. C’est le travail plastique sur l’image qui le matérialise ici : ralentis très appuyés, effets de flou et de miroitement. Autrement dit, dans cet espace d’indécision ou l’on n’est ni mort ni vivant, la perception se brouille et le temps perd sa dynamique. Tout y est suspendu.

ça vaut le coup ?

Cette nouvelle vie aperçue à la fin du film a tout d’onirique. En ne nous montrant que des détails, en évitant soigneusement un plan d’ensemble qui poserait objectivement la scène,  Jane Campion procède d’une narration qui relève de la dynamique du rêve, de la même façon qu’en se réveillant on ne se souvient de nos songes que par quelques détails, une image ici, une sensation là. La cinéaste retarde d’ailleurs le moment où l’on verra le visage d’Ada, instaurant brièvement une atmosphère incertaine, participant au flottement onirique de toute la scène.

c'était mieux avant ?

Tellement pas qu’Ada a fini par préférer mourir que vivre. J’écrivais avant-hier que chez Almodovar l’humanité des personnages s’exprimait par le spectacle de leurs émotions, chez Campion, c’est dans le refus d’une vie où l’intériorité de l’individu ne pourrait plus s’exprimer. En voyant son piano sombrer, le seul objet par lequel elle pouvait trouver une identité face au monde, Ada a choisit de disparaître avec lui, plutôt que de laisser se continuer une existence où elle serait privée d’elle-même. Comme chez le cinéaste espagnol, les personnages existent dans toute leur humanité plutôt que comme vecteur d’une leçon dont leur parcours dramatique donnerait le sens, si bien que la question de la renaissance d’Ada est finalement sans grand importance. Elle affirme son identité par ce paradoxe : Mourir comme seul moyen de pouvoir continuer à exister en restant elle-même : « It’s a weird lullaby, and so it is. It is mine »[2] Ce qui s’ensuit a tout du rêve : cette maison irradiant la lumière, la porte dont l’ouverture est soulignée par les rideaux que le vent soulève, cette petite fille qui se joue de la gravité en remuant avec cette vitalité qui n’appartient qu’à l’enfance, cet homme débordant d’amour. Qu’elle le vive ou pas, il n’appartient qu’à Ada, et rien ne pourra le lui enlever. Et certainement pas la mort… Qu’est –elle, pour qui à la force de vivre à la hauteur de ce qu’il veut être, semble nous demander Jane Campion ?












[1] « Quel mort !"
[2] « C’est une étrange berceuse. C’est comme ça. C’est la mienne. »

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