mercredi 29 avril 2020

17/31 Le masque du démon (la maschera del demonio) 1960



 






Ça marche comment ?
Par un effet de montage. Très élégamment. On parle de Mario Bava là. Voilà un cinéaste qui montre une main pour qu’on ne regarde pas l’autre, en bon prestidigitateur. Ici, on peut s’amuser du côté presque post-moderne des effets employés. Très conscient d’œuvrer dans un genre déjà ultra balisé, le cinéaste accumule à la vitesse d’un train –fantôme- lancé à plein régime, les clichés du film fantastique : Le prologue, dans une lande évidemment brumeuse, par une nuit forcément orageuse, une foule, rassemblant villageois vindicatifs et exorcistes fanatisés exécutent une sorcière… accusée de vampirisme ! Si ça ne suffit pas, on enchaîne immédiatement avec une calèche en perdition quelque part en europe centrale, piégée par une forêt vivante, forçant les passagers à l’exploration d’une chapelle en ruine… En quelques minutes, ce sont les grands motifs dramatiques et plastiques du fantastique gothique qui sont précipités devant la caméra : le tonnerre et l’éclair résurrecteur de Frankenstein, ainsi que sa foule  vengeresse, le voyage au milieu d’une nature qui semble aux ordres d’un mal immatériel de Dracula, et, plus généralement, la figure de la sorcière martyrisée, celle de la ruine romantique … Bava va vite, très vite, comptant à la fois sur la culture de son public et sur sa lassitude aussi pour le suivre dans cet emballement formel par lequel il synthétise, et régénère déjà le genre. Voilà pour la main qui montre.
L’autre,  nous fais comprendre ce qu’elle ne nous montre pas. En reliant faisant se succéder à l’image le gros plan du visage momifié de la sorcière et la silhouette de Katia, la princesse locale, Bava suggère que la première vient de se réveiller- puisque cette Katia, on la reconnaît immédiatement : elle a le visage de la sorcière suppliciée du prologue du film. C’est par la valeur de son cadrage- impressionnant, et du travelling qui magnifie la silhouette immobile que Bava traduit la puissance de son personnage. L’image devenant plus lisible, cette puissance nous est d’ailleurs confirmée : Katia tient en laisse deux énormes chiens qui ne bronchent pas. Là encore, c’est typique de Bava, qui peut être presque goguenard[1] dans on utilisation de la symbolique des images, jusqu’à une grossièreté hilare, et pourtant juste. Katia tient en laisse, littéralement, deux purs instincts, et c’est un peu toute la thématique développée autour de ce personnage qui est résumée là : comme toujours, l’enjeu du personnage de la sorcière, c’est celui du désir qu’elle suscite, et dont les personnages masculins et virils ne saurait permettre la libre circulation. La maman et la putain, toujours la même histoire, semble nous dire en rigolant Mario Bava.
La suite du film va nous confirmer ce cette scène nous a fait sentir : la sorcière vient bien de se réveiller, précisément au moment où on nous révèle Katia. C’est sur la confusion possible des deux personnages que tout le reste du drame va se construire.

Ça vaut le coup ?
Pour la sorcière Asa, pas vraiment puisque les villageois vont finir le travail entamé par leurs ancêtres deux siècles plus tôt et la brûler. Comme quoi, eux aussi sont un peu toujours les mêmes, et la foule, quelle que soit l’époque dissout l’individu dans la pulsion de meurtre collective. Pour Katia, par contre, la malédiction est brisée, et elle y trouve un prince charmant. Enfin… Asa et Katia ayant échangé leur fluides vitaux, on peut se demander si finalement, ce n’est pas indifférent de savoir laquelle est l’une, laquelle est l’autre. LA morale, par contre, est sauve en apparence : c’est grâce à un crucifix détectant immanquablement la présence du mal que Andre a pu distinguer son aimée de la sorcière, et livrer la bonne à l’autodafé.  Autrement dit, à la fin, la laisse a changé de main, et tout va bien, c’est monsieur qui la tient. Bava a toujours donné l’impression de se foutre un peu de son récit apparent, et de ses acteurs. Ce n’est pas tout à fait faux, et on ne peut pas dire qu’ici, un quelconque sous texte vienne nuancer le message. Par contre, et ça c’est aussi typique de Bava, il y a une forme de lucidité désenchantée, qui va parfois jusqu’à la misanthropie[2], et ici le cinéaste prend acte de l’impossibilité d’exister, pour la femme libre qu’est la sorcière, ailleurs que dans le giron du mal. Du mâle ?

C’était mieux avant ?
En tous cas, il y a un avant Bava, et un après Bava. Il est, dans le cinéma fantastique, le génie de son temps. Un cinéaste fascinant, dont l’œuvre si moderne frôle parfois le post-modernisme, comme dans Les trois visages de la peur, dans lequel il dévoile à l’écran le trucage d’une scène alors que le récit se termine tout juste. C’est aussi peut-être le plus dandy des cinéastes, tant il prend un malin plaisir à sembler n’accorder d’importance à rien sinon au style, à la forme. Pour Danger Diabolik, son plus gros budget, financé par De Laurentis, il poussera la pose jusqu’à ne pas réussir à dépenser tout l’argent ! Etait-ce conscient, je ne sais pas, mais ça vraiment de l’allure- d’autant plus que le film montre exactement le contraire : des « héros » dont la seule motivation est le lucre, prennent des bains de billets, et ne se sentent jamais assez riches ! L’année du masque du démon, de l’autre côté de l’atlantique, il y a Psychose, d’Alfred Hitchcock qui vient aussi poser les bases de l’horreur moderne, en revisitant aussi, l’air de rien, le motif du château hanté perdu dans la lande. Bien sûr, Bava a recours à une imagerie plus traditionnelle, et semble moins investir son récit. Mais au fond, il raconte aussi l’histoire d’une émancipation féminine impossible. Sauf que chez hitchcock, le couteau de Norman Bates remplace le crucifix d’Andres. Et qu’Hitchcock ne fait pas mine de prendre le parti de Bates… quoique ! Il est aussi question chez Hitchcock de mannequins, ceux des animaux que Norman empaille, et chez Bava, c’est bien connu maintenant, ils se confondent bien souvent avec les personnages. S’apercevoir que l’on n’est qu’une silhouette, le réceptacle creux que viendront animer des pulsions changeantes est une des angoisses des personnages de Bava, mais pas du cinéaste. Pour lui, mannequins et humains se valent, dès lors qu’ils prennent bien la lumière.




[1] Le nom de la sorcière, Asa, ne semble avoir été imaginé que comme un farce faîte à la critique analytique qui ne pourra s’empêcher de relever que la thématique de la dualité est présente jusqu’au nom palindrome de l’héroïne. Ce qui ne loupe jamais, la preuve !
[2] Voir La baie sanglante

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