Ça marche comment ?
Par un effet de montage. Très élégamment. On parle de Mario
Bava là. Voilà un cinéaste qui montre une main pour qu’on ne regarde pas
l’autre, en bon prestidigitateur. Ici, on peut s’amuser du côté presque
post-moderne des effets employés. Très conscient d’œuvrer dans un genre déjà
ultra balisé, le cinéaste accumule à la vitesse d’un train –fantôme- lancé à
plein régime, les clichés du film fantastique : Le prologue, dans une
lande évidemment brumeuse, par une nuit forcément orageuse, une foule,
rassemblant villageois vindicatifs et exorcistes fanatisés exécutent une
sorcière… accusée de vampirisme ! Si ça ne suffit pas, on enchaîne
immédiatement avec une calèche en perdition quelque part en europe centrale,
piégée par une forêt vivante, forçant les passagers à l’exploration d’une
chapelle en ruine… En quelques minutes, ce sont les grands motifs dramatiques
et plastiques du fantastique gothique qui sont précipités devant la
caméra : le tonnerre et l’éclair résurrecteur de Frankenstein, ainsi que
sa foule vengeresse, le voyage au milieu
d’une nature qui semble aux ordres d’un mal immatériel de Dracula, et, plus
généralement, la figure de la sorcière martyrisée, celle de la ruine romantique
… Bava va vite, très vite, comptant à la fois sur la culture de son public et
sur sa lassitude aussi pour le suivre dans cet emballement formel par lequel il
synthétise, et régénère déjà le genre. Voilà pour la main qui montre.
L’autre, nous fais
comprendre ce qu’elle ne nous montre pas. En reliant faisant se succéder à
l’image le gros plan du visage momifié de la sorcière et la silhouette de
Katia, la princesse locale, Bava suggère que la première vient de se réveiller-
puisque cette Katia, on la reconnaît immédiatement : elle a le visage de
la sorcière suppliciée du prologue du film. C’est par la valeur de son cadrage-
impressionnant, et du travelling qui magnifie la silhouette immobile que Bava
traduit la puissance de son personnage. L’image devenant plus lisible, cette
puissance nous est d’ailleurs confirmée : Katia tient en laisse deux
énormes chiens qui ne bronchent pas. Là encore, c’est typique de Bava, qui peut
être presque goguenard[1] dans
on utilisation de la symbolique des images, jusqu’à une grossièreté hilare, et
pourtant juste. Katia tient en laisse, littéralement, deux purs instincts, et
c’est un peu toute la thématique développée autour de ce personnage qui est
résumée là : comme toujours, l’enjeu du personnage de la sorcière, c’est
celui du désir qu’elle suscite, et dont les personnages masculins et virils ne
saurait permettre la libre circulation. La maman et la putain, toujours la même
histoire, semble nous dire en rigolant Mario Bava.
La suite du film va nous confirmer ce cette scène nous a
fait sentir : la sorcière vient bien de se réveiller, précisément au
moment où on nous révèle Katia. C’est sur la confusion possible des deux
personnages que tout le reste du drame va se construire.
Ça vaut le coup ?
Pour la sorcière Asa, pas vraiment puisque les villageois
vont finir le travail entamé par leurs ancêtres deux siècles plus tôt et la
brûler. Comme quoi, eux aussi sont un peu toujours les mêmes, et la foule,
quelle que soit l’époque dissout l’individu dans la pulsion de meurtre
collective. Pour Katia, par contre, la malédiction est brisée, et elle y trouve
un prince charmant. Enfin… Asa et Katia ayant échangé leur fluides vitaux, on
peut se demander si finalement, ce n’est pas indifférent de savoir laquelle est
l’une, laquelle est l’autre. LA morale, par contre, est sauve en
apparence : c’est grâce à un crucifix détectant immanquablement la
présence du mal que Andre a pu distinguer son aimée de la sorcière, et livrer
la bonne à l’autodafé. Autrement dit, à
la fin, la laisse a changé de main, et tout va bien, c’est monsieur qui la
tient. Bava a toujours donné l’impression de se foutre un peu de son récit
apparent, et de ses acteurs. Ce n’est pas tout à fait faux, et on ne peut pas
dire qu’ici, un quelconque sous texte vienne nuancer le message. Par contre, et
ça c’est aussi typique de Bava, il y a une forme de lucidité désenchantée, qui
va parfois jusqu’à la misanthropie[2], et
ici le cinéaste prend acte de l’impossibilité d’exister, pour la femme libre
qu’est la sorcière, ailleurs que dans le giron du mal. Du mâle ?
C’était mieux avant ?
En tous cas, il y a un avant Bava, et un après Bava. Il est,
dans le cinéma fantastique, le génie de son temps. Un cinéaste fascinant, dont
l’œuvre si moderne frôle parfois le post-modernisme, comme dans Les trois visages de la peur, dans lequel
il dévoile à l’écran le trucage d’une scène alors que le récit se termine tout
juste. C’est aussi peut-être le plus dandy des cinéastes, tant il prend un
malin plaisir à sembler n’accorder d’importance à rien sinon au style, à la
forme. Pour Danger Diabolik, son plus
gros budget, financé par De Laurentis, il poussera la pose jusqu’à ne pas
réussir à dépenser tout l’argent ! Etait-ce conscient, je ne sais pas,
mais ça vraiment de l’allure- d’autant plus que le film montre exactement le
contraire : des « héros » dont la seule motivation est le lucre,
prennent des bains de billets, et ne se sentent jamais assez riches !
L’année du masque du démon, de l’autre côté de l’atlantique, il y a Psychose,
d’Alfred Hitchcock qui vient aussi poser les bases de l’horreur moderne, en
revisitant aussi, l’air de rien, le motif du château hanté perdu dans la lande.
Bien sûr, Bava a recours à une imagerie plus traditionnelle, et semble moins
investir son récit. Mais au fond, il raconte aussi l’histoire d’une
émancipation féminine impossible. Sauf que chez hitchcock, le couteau de Norman
Bates remplace le crucifix d’Andres. Et qu’Hitchcock ne fait pas mine de
prendre le parti de Bates… quoique ! Il est aussi question chez Hitchcock
de mannequins, ceux des animaux que Norman empaille, et chez Bava, c’est bien
connu maintenant, ils se confondent bien souvent avec les personnages.
S’apercevoir que l’on n’est qu’une silhouette, le réceptacle creux que
viendront animer des pulsions changeantes est une des angoisses des personnages
de Bava, mais pas du cinéaste. Pour lui, mannequins et humains se valent, dès
lors qu’ils prennent bien la lumière.
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