jeudi 23 avril 2020

11/31 Hellboy 2004






ça marche comment ?

Il suffit d’arrêter le temps. Et de le remettre en route ensuite. Cela semble être la fonction de la clef que Kronen insère dans sa poitrine, pour se remonter lui-même tel un jouet mécanique. Une créature typique du bestiaire de Guillermo Del Toro, très conscient de ses propres effets signature. Les rouages, les mécanismes, l’horlogerie sont parmi les plus saillants et les plus visuels. La machine scarabée de Cronos, le passe-temps du Capitaine Vidal, horloger amateur, l’infrastructure intérieure des Jager de Pacific Rim, Les rouages animant les légions d’or, et ceux qui composent la grande terrasse de leur mausolée, pour ne citer que ceux là- mais ces motifs apparaissent à un moment ou un autre dans presque tous les films du mexicain. C’est d’autant plus apparent dans Hellboy que le film est adapté d’une bande dessinée, et qui si Kronen y est présent, il n’a pas du tout cette spécificité bien pratique se faire passer pour mort auprès de ses antagonistes.
Le système est d’ailleurs plein de cette poésie visuelle dont Del Toro parvient à infuser ses films dans les meilleurs moments, elle confine même ici à un humour « non sensique » dont il est parfois très proche. Car enfin, comme peut fonctionner ce Kronen ?  Est-ce qu’il se remonte comme un ressort et qu’en attendant de repartir il est comme mort ? S’agit-il d’une invention absurde comme celles du Baron de Munchausen, qui arrivé au bout de la corde qu’il grimpe prend l’autre extrémité pour la prolonger ? Kronen, quand il est mort, se rend-il tout simplement vivant ? Evidemment, aucune explication ne nous est donnée mais la poésie d’un beau paradoxe entre cette mécanique en apparence toute rationnelle qui compose Kronen, et son fonctionnement parfaitement illogique.

ça vaut le coup ?

C’est difficile de savoir avec Kronen, puisque l’apparence du personnage est entièrement conçue pour qu’il soit complètement inexpressif : son langage corporel est complètement mécanique, et il porte divers masques… qui dissimulent un visage écorché, dont les moteurs d’expression sont absents : pas de lèvres, pas de paupières, pas de sourcils. Machine de mort, Kronen est également un nazi, on peut aussi voir en lui la personnification de la volonté désincarnée de destruction du régime. Une puissance de mort sans affect, dont Del Toro souligne la nature éternelle- En ce sens c’est un réalisateur de films fantastiques classique : comme Fischer ou Carpenter, il croit en l’existence d’un Mal absolu. Dont Kronen est ici une image. D’ailleurs, on peut souligner qu’il est au service des autres personnages. Kronen, qui n’a pas de « vie » propre, n’a pas non plus de volonté. Cela aussi donne du relief au personnage : absolument redoutable et fatal, il se laisse commander comme un toutou par Elsa. Il est ce mal absolu, qui tue tout ce qu’il touche, mais n’a ni conscience ni direction, qui est informe d’une certaine manière- d’ailleurs on le voit  dans un autre scène, Kronen se vide non pas de son sang mais d’une sorte de sable, encore une idée poétique, il est littéralement un sablier- Kronen est le sac dans lequel la mort est enfermée. Et c’est la volonté des autres personnages, leur désir de pouvoir et de destruction qui font agir Kronen. Ça c’est aussi un motif de Del Toro : la mort et la destruction sont les instruments de ceux qui veulent asservir les autres. Les « héros » chez Del Toro, s’il y en a, le sont en général malgré eux, parce que les circonstances leur font croiser le chemin de ceux qui sème la mort. Le héros professionnel, celui qui a la vocation du bien est un personnage compètement absent de l’univers du cinéaste. On imagine très mal chez lui un héfos flic, ou un super-héros traditionnel, encore moins un militaire. Hellboy combat les monstres parce que c’est ce que font ceux qui l’ont recueilli, les pilotes des Jaeger de Pacific le deviennent parce qu’ils ont une connexion innée entre eux, les medecins de mimic essayent de réparer ce qu’il ont provoqué, les enfants de l’échine du diable doivent résister au carcan que leur imposer leur orphelinat d’abord, puis les plans de Jacinto, Ofelia doit se soustraire à l’autorité de Vidal.
Et on ne sera pas supris que les héros, chez Del Toro soit presque toujours des personnages qui doivent libérer un imaginaire, ou se libérer tout court. Tandis que les  « méchants » ont toujours, eux, pour réaliser leurs projets, à se soumettre à une autorité supérieure dont ils espèrent obtenir un pouvoir.

c’était mieux avant ?

Vu l’allure de Kronen, cicatrices, scarification et amputations diverses, on ne doute pas qu’il devait avoir bien meilleure mine avant. La soumission aux puissances obscures des « méchants » chez Del Toro est souvent traduite par la nécessité d’une mutilation ou d’un sacrifice. Dans Hellboy, Raspoutine a donné ses yeux ! Tout cela est très classique dans les mythologies fantastiques, archétypal même. C’est là la limite et la beauté du cinéma de Del Toro : il est pleinement inscrit dans une tradition, dont on sent qu’elle lui convient intimement, et qu’il revisite à sa manière. Cela dit, il est capable de variations très personnelles et étonnantes sur ces motifs. Kronen est un bel exemple : il  a quelque chose du ninja, de la momie, du Terminator…Et pourtant c'est vraiment une créature qui n'appartient qu'au cinéaste. D’ailleurs dans l’extrait on voit la portée de l’imagination de Del Toro. L’aspect de Kronen répond directement à la manière dont il est mis en scène : je trouve très élégant la façon dont sa renaissance et montrée à l’écran par le souffle qui soulève la bâche de plastique qui le recouvre- qui suffit d’ailleurs immédiatement à nous faire comprendre qu’il est considéré comme mort. Et comme on le sait depuis disons Nosferatu de Murnau: le mal ne peut mourir. Il circule. Plus ou moins intensément.

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