vendredi 24 avril 2020

12/31 : Starman 1984




ça marche comment ?

En l’occurence par l’imposition des mains. Et par un pouvoir extraterrestre qui nous est fort éloigné, à nous autres pauvres primitifs, globalement acharnés à détruire ce Starman nouveau venu, pourtant inébranlable.

Ce très beau film de Carpenter arrive à une période particulière dans l’oeuvre du maître. Nous sommes deux ans après The Thing, son probable chef d’oeuvre, film à la réussite formelle aussi élevée que son échec public et critique à l’époque. Le film est devenu culte comme l’on dit, et en tout cas, rassemble aujourd’hui des cinéphiles pour lequel cette oeuvre est l’un des pivots du genre, cinéphiles dont nous sommes, je vous renvoie à notre retour vers l’année 1982 d’il y a quelques années déjà… Starman fut, après Christine, une nouvelle commande passée à Carpenter, cinéaste resté en marge d’un système dans lequel certains de ses homologues de même génération ont pris le pouvoir. Etrangement, on peut pourtant regarder ce film comme le revers de The Thing, et comme son autre version, en guise de réponse, à toute une série de films mettant en scène des extraterrestres, à la même époque, par ces mêmes cinéastes, les Spielberg bien entendu, avec ET l’extraterrestre, LE succès de l’année 1982, mais aussi Rencontres du troisième type, un peu plus ancien, Scott avec Alien, et assurément Kaufman avec L’Invasion des profanateurs de sépulture, remake du film de Siegel - nous évoquons décidément souvent cette oeuvre ! 

Le début du film nous a présenté comme dans The Thing l’arrivée d’un vaisseau spatial alien sur la Terre. Contrairement à celui de 1982 qui devait se perdre dans les immensités glacées d’Antarctique, celui-là s’abîme dans un coin perdu d’Amérique, d’Americana même, tant tout le film est largement placé sous le signe du road-movie et de ses paysages grandioses, à l’exact opposé de l’huis clos oppressant de 1982. Carpenter n’essaie pas d’installer un suspens quelconque : nous savons tout de suite que l’alien qui vient de faire irruption chez une jeune veuve, Fanny, incarnée par une Karen Allen tout en mélancolie, prend l’apparence du défunt mari, sans toutefois lui ressembler. La scène de transformation qui reprend certains des codes des métamorphoses de la chose de 82, nous est présentée à travers le regard de Fanny, et nous apparaît avec une certaine horreur, forcément fascinante toutefois, surtout lorsqu’à la fin c’est finalement le beau Jeff Bridges, acteur un peu miroir dans son allure à Kurt Russell, qui fait face à Jenny, dans une nudité à la fois inquiétante et (légèrement) érotique. Cette ouverture a tout de la scène de résurrection, mais en réalité il n’en est rien, puisque c’est bien d’une renaissance qu’il s’agit, d’un autre qui est le même, ou plus rigoureusement d’un même qui est un autre, et pas tout à fait sympathique, il faut bien le dire. 

Ce profanateur de sépulture demeurera à nos yeux durant tout le film sur ce fil, entre inquiétude et éblouissement. D’une façon assez fine, l’histoire renverse le classique soupçon de l’ennemy within : cette fois, Jenny, et nous avec, aspirons de plus en plus à trouver en cet alien l’ami intime,         celui en qui nous pouvons déposer toute notre confiance, en dépit de ses maladresses, et de leurs conséquences. La scène du chevreuil illustre ce parcours mental et affectif de Jenny : alors qu’elle allait abandonner le Starman, après toutefois lui avoir laissé les moyens d’achever seul sa quête, elle vient finalement le sauver lorsqu’il ressuscite ce chevreuil, à la grande colère du chasseur qui venait d’en faire son trophée, et de ses camarades red-necks, aussi violents qu’imbéciles, dans la plus pure des traditions du cinéma de genre américain de ces années-là. 

Pour révérer la vie, et notamment celles de ces animaux mal nommés sauvages, lorsque la sauvagerie apparaît du côté de cette race « primitive » qu’est l’être humain, Starman va être en butte à la violence des hommes. Un geste de vie se paie d’une violence à laquelle il faut apprendre à répondre par la violence, « bienvenu dans un monde d’humains », a l’air de nous dire déjà Carpenter, mais cette fois sans cette ironie parfois assez peu amène.   

ça vaut le coup ?

Pas sûr. Le pauvre chevreuil risque bien de finir une seconde fois sur le capot de cette voiture , si l’on en croit la violence inhérente au genre humain. Alors bien sûr, comme dans toute bonne science fiction, au moins depuis La chose venu d’un autre monde, la tension entre scientifiques d’un côté et militaires de l’autre permet de relativiser ce pessimisme : il y a aussi des gens qui à l’instar du Starman visent quelque chose de vital, comme ce scientifique du SETI incarné par Charles Martin Smith, qui apparaît lui comme l’alter-ego très yankee du frenchie Truffaut dans Rencontres du troisième type. C’est grâce à ce petit bonhomme à l’allure débonnaire que Jenny et le Starman parviennent à fuir les forces de l’ordre - qui pour une part d’entre elles, n’ont décidément pas l’air d’être activement intéressés par leur traque… Des chasseurs, des chassés, de temps à autre, une bonne âme qui permet de continuer la course, voilà un peu le monde de Carpenter, même s’il apparait dans ce film avec une dose de beauté simple qui n’est pas la plus habituelle chez lui : lors des échanges entre Jenny et le Starman, dialogues très sommaires pour commencer, puisque l’ET ne connait que peu de mots d’anglais, lorsqu’il regarde à la télévision de vieux films, dont le précédemment cité La Chose d’un autre monde, et surtout le fameux baiser sur la plage de Tant qu’il y aura des hommes, et évidemment lorsque Jenny est tuée par une balle perdue, et qu’il la ramène à la vie, grâce certes à l’un des artefacts qu’il a amené avec lui depuis sa lointaine planète, mais aussi et surtout grâce à un baiser, le deuxième donc de ce Train fantôme printanier consacré aux résurrections !    
  
c’était mieux avant ?

Je ne reviendrai pas là sur le chevreuil, puisque Dieu merci, nous l’avons laissé à sa vie sauvage, la seule qui vaudrait, paradoxalement, d’après ce Starman qui nous vante avant de nous quitter la beauté harmonieuse de son monde, « une seule langue, une seule loi, un seul peuple. Pas de guerre, pas de faim. » De là à vouloir voir dans cet unanimisme trop parfait le monde littéral de ces profanateurs déjà mentionné, il n’y aurait qu’un pas… Mais Carpenter retourne là le motif habituel : la fin du film va se passer en territoire indien. Il est à plusieurs moments dans le film question de cannibales et d’explorateurs, comme un vieil impensé américain, celui de cette conquête de l’ouest où « civilisés » et « primitifs » se sont affrontés à mort, au bénéfice de la civilisation. Pour une fois, c’est le plus « civilisé » qui est l’alien, l’étranger, l’autre, qui repart et laisse à leur sort ces « primitifs » effrayés auxquels il a pourtant laissé en cadeau une part de lui-même. Dire de ce motif que lui aussi relève du religieux est évident : une fois encore, le départ du Starman, à l’instar de celui de ET à la fin du film de Spielberg, a tout d’une ascension qui est aussi une mort à ce monde. « Je dois partir » est le gimmick obligatoire de ces visiteurs de l’espace qui nous ont fait don lors de leur brefs passages de notre propre humanité. Et de la grâce qui peut parfois aller avec, comme en témoigne le dernier plan sur le visage transfiguré de Jenny. 

Décidément, ce n’est pas parce que la science-fiction s’est débarrassée de Dieu, qu’elle a jeté le bébé avec l’eau du bain, pourrait-on conclure… Même s’il ne faut pas trop vite se convertir. Ce Starman étrangement optimiste dans la filmographie de Carpenter lui permettra de revenir à certains de ses projets plus personnels, qui ne connaîtront certes pas le même succès, et pousseront notre acariâtre Johnny à retomber dans l’hérésie, lorsque ses aliens d’Invasion Los Angeles seront à nouveau les méchants profanateurs de sépulture qu’ils n’ont peut-être jamais cesser d’être. 

La conversion la plus difficile à effectuer reste bien la sienne propre, toujours. Difficile d’être autre que soi… Tant mieux ?


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