mardi 14 avril 2020

2/31: Taram et le chaudron magique (The Black Cauldron) 1985










ça marche comment ?

C’est de la magie noire, ce qui impose d'avoir fait un peu d’études dans le domaine, et surtout, il faut avoir ce Chaudron justement noir. De ce chaudron magique peuvent ressortir vivants les morts qu’on aura mis dedans. C’est un classique des mythes celtes, sur le versant gaélique desquels s’appuie LLoyd Alexander, l’auteur du cycle littéraire d’où a été tiré le scénario. D’ailleurs, le seigneur maléfique est un avatar du Dieu Cornu, dont de nombreuses formes habitent la mythologie et le folklore anglo-saxons.

Techniquement, la séquence est assez complexe- notamment à cause des effets de brouillard magique. Mais Taram & le chaudron magique est le projet du renouveau pour Disney, qui après avoir maintenu sous perfusion sa branche Animation, aux ambitions aussi réduites que les budgets depuis une quinzaine d’années, décide de reconquérir ce qu’elle considère comme son trône légitime. Et d'y mettre le prix, pour retrouver sa supériorité technique... et commerciale.

Ron Miller lance le projet sous sa brève présidence. Par pur calcul, « obnubilé par l’idée de faire un film susceptible de ramasser 100 millions de dollars au box office. De surcroît il voulait un film avec un timing proche des Aventuriers de l’Arche perdue. » [1]  A un époque où la langue de bois n’est pas encore de rigueur dans les corporations hollywoodienne, le producteur du film Joe Hale ne tourne pas autour du chaudron :  « La guerre des étoiles et  Indiana Jones sont venus marcher sur des plates bandes qui pendant longtemps n’ont appartenu qu’à nous. Nous avons jugé qu’il était grand temps pour nous de nous remettre à faire des choses qu’ils ne pourraient pas imiter. »[2]

A la déloyale pourrait-on dire puisque le producteur souligne que la forme de l’animation a été préférée pour se libérer des contraintes du film avec acteurs et réaliser des prouesses impossibles pour les effets spéciaux de l’époque. C’est plutôt avec Brisby et le secret de N.I .H.M qu’il conviendrait plutôt de comparer, ou avec son Tron de 1982, production en prises de vues réelles, et qui était autrement plus audacieuse dans l’innovation que ce Black Cauldron.  Mais  cette année là c’est à E.T que le public fait un triomphe. Un des plus disneyien des films de Spielberg ! On comprendra que Hale fasse l’impasse sur la référence, car studio aux grandes oreilles à la rancune tenace. Disney cherche donc à concurrencer Lucasfilm, qui est à l’époque qu’un reflet du Disney de Walt, son héritier artistique le plus direct.

Amusant donc que le grand renouveau de Disney soit envisagé à travers une histoire dans laquelle le héros doit empêcher de déborder cette bonne vieille marmite dans laquelle on est sensé faire les meilleures soupes. Et quelle soupe ! J’ai vu le film à sa sortie, j’avais 8 ans, et il a fallu m’évacuer de la salle quand l’armée des morts s’est mise en marche. Dans ce film assez schizophrène, les réalisateurs ont vraiment mis le paquet pour cette scène, avec dans le viseur, sans doute, puisqu’ils semblaient obsédés par Spielberg, le succès d’ Indiana Jones et le temple maudit. Sauf que c’est le film pour lequel le PG-13 a été inventé ! Autrement dit, personne, parmi le cœur de cible de Disney n’avait même le droit d’aller le voir.

ça vaut le coup ?

On ne saura jamais ce que les soldats morts pensent de leur retour sur le champ de bataille- contrairement à ceux, râleurs et rigolos de Army of Darkness de Sam Raimi. Mais pour son studio, on ça ne valait clairement pas le coup, ni l’investissement[3]. Taram et le chaudron magique est quand même intéressant en regard de son genre- le médiéval fantastique, et de l’histoire de son studio.

Mauvais perdants, les historiques de Disney, Johnston et Thomas, font porter la faute de l’échec à demi-mots à Don Bluth et Gary Goldman et John Pomeroy la responsabilité de l’échec. « Trois employés mécontents devinrent des éléments pertubarteurs, anéantissant ainsi tout esprit et effort de groupe »[4]. C’est oublier un peu vite que les trois « employés » sont partis parce que la direction ne leur a jamais laissé la possibilité de réaliser leur long-métrage, eux qui ne rêvaient que de régénérer leur département, et qui vouait un culte fervent à l’esprit d’innovation de Walt.

Autant dire que que du point de vue de l’inconscient collectif de l’entreprise, ça remue pas mal derrière cette séquence de réanimation à l’imagerie puissante et horrifique ! Ne serait-que parce que le Roi Cornu est littéralement un animateur maléfique…


c'était mieux avant ?

C’était trop tôt en tous cas.  Clairement, les producteurs du film, obsédés à l’idée de capter quelque chose de l’air du temps et des attentes du public, avaient tout de même vu juste, en cherchant à produire quelque chose « dans la veine du Seigneur des Anneaux » Une intuition déjà à l'origine du Dragon du lac de feu, en prises de vues réelles, qui n'échaude pas le studio, malgré son échec cuisant. Et l’histoire s’est répétée. Le registre de la fantasy, et plus particulièrement la veine médiévale fantastique a toujours résisté à Disney, et systématiquement abouti sinon à des impasses artistiques, à des échecs commerciaux. Il a fallu attendre Rebelle et En avant, produits par Pixar pour que le studio se frotte de nouveau frontalement au genre. D’ailleurs dans En avant, toutes les épreuves finales que doivent traverser les héros proviennent directement… des Indiana Jones !

« Dans l’une des séquences (…) on assiste à l’écroulement du château du Seigneur des ténèbres. L’un des personnages court dans une salle dallée. Nous pouvons calculer le rythme de sa course de telle façon que le sol se dérobe (…) sous ses pieds à chaque pas (…) On a l’impression qu’il court en l’air, sans que cela paraisse invraissemblable. Il n’y a qu’avec l’animation qu’on puisse produire un effet pareil. »[5]

Cette séquence décrit très précisément une des nombreuses péripéties de La bataille des cinq armées, un film en prise de vues réelles, réalisé par Peter Jackson. Mickey ne peut pas toujours gagner.






[1] Renaut Christian, De Blanche Neige à Hercule, 20 long métrages d’animation des studios Disney Paris, Dreamland editeur, 1997, 348 p.
[2] Jones Alan, « Disney remet la vapeur », Starfix, volume 1, n°31, décembre 1985,p.68
[3] Entre 25 et 40 millions selon les sources. De la folie pour l’époque ! Indiana Jones et le temple maudit a coûté 28 miilions.
[4] Johnton Ollie & Thomas Franck, Méchants chez Walt Disney, Paris, Dreamland éditeur, 1995, 248 p.
[5] Joe Hale in Jones Alan, « Disney remet la vapeur », Starfix, volume 1, n°31, décembre 
 1985,p.68

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire