mercredi 22 avril 2020

10/31 : Gravity 2013





ça marche comment ?

On n’en est pas très sûr, mais apparemment, jusqu’à un certain point, l’asphyxie peut, pour un temps, faire revivre des êtres disparus, corps et bien disparus en l’occurence.

C’est un peu d’une double résurrection dont il est question dans ce passage de Gravity, l’attraction complètement folle d’Alfonso Cuaron. D’abord, apparemment donc, celle de Matt Kowalski, l’astronaute qui cornaque l’héroïne du film, celle au côté de laquelle nous allons passer cet heure et demie éprouvante, le Docteur Ryan Stone, interprétée par Sandra Bullock. Ces deux-là seront les deux seuls personnages réellement à l’écran durant le film, même si d’autres personnages, réduits brièvement ou à l’état de silhouette, ou à des simples voix off, participent au drame. Matt et Ryan, Georges (Clooney) et Sandra, autant dire Adam et Eve, éjectés non d'un jardin d’Eden, mais de cet espace qui offre à la fois les magiques visions de notre Terre vue du ciel, un spectacle dont on ne se lasse jamais, et l’effroi des espaces infinis. Espaces dans lesquels va finir par littéralement dévisser la débutante Stone, et nous, plus débutants encore, avec elle. Dire de ce film qu’il est une expérience de spectateur parmi les plus saisissantes jamais réalisée, c’est encore être loin d’une expérience qui s’avère unique, lorsqu’on l’a vécue au cinéma et en 3D. Vraiment, la première fois qu’on a vu ce film, on s’en souvient, n’est-ce pas, Chef de gare ? 

Bien entendu, ce film a aussi un côté Train fantôme de très grand luxe - et de très bonne tenue - mais reste peut-être un peu pauvre sur le plan de son drame véritable, au fond un survival dont la grammaire immersive est poussée à son paroxysme. C’est vrai qu’on peut le juger ainsi. Mais tout de même, il faut lui reconnaitre une mise en scène magistrale. 

Toutefois, cette fameuse scène de résurrection est double donc, en ce qu’elle met en jeu le moment de conversion de Ryan depuis la mort, la sienne, très probable, celle de sa fille, intervenue avant l’histoire, vers la vie, toujours la sienne, très improbable, mais qu’elle va désormais tenter d’arracher à ces immensités infinies dont le silence effraie, comme on dit. Ce passage de la mort toujours sûre à la vie toujours précaire, passe donc symboliquement par cette hallucination, justifiée dans le récit par cette mise à l’arrêt volontaire des systèmes de survie du Soyouz dans lequel Ryan s’est réfugiée, et qui a tout du suicide par asphyxie. Ce procédé narratif, outre qu’il permet de réintégrer pour un bref moment, un second personnage dans l’histoire, et quel personnage, ce Matt Kowalski très cool, qu’on pensait donc tragiquement - mais dignement - disparu dans les abîmes spatiales, nous fait sortir un bref moment du « réalisme » ou de la vraisemblance - toute relative je vous l’accorde, mais néanmoins conventionnelle - de la mise en scène pour fabriquer une vision directement issue de l’esprit troublé du personnage de Ryan. 

Cette résurrection impose donc comme pivot du film un évènement qui n’a pas lieu, dans l’économie du récit. Avec les longs et beaux plans sur la Terre, notre berceau, qui nous renvoient à notre propre humanité, cette scène, sans doute la seule qui filme en fait l’intériorité d’un personnage, permet au film d’atteindre une certaine poésie, qui permet au film de dépasser son statut d’attraction foraine de (très grand) luxe.

ça vaut le coup ?

Comme je l’ai dit, cette scène est le pivot du film. Avant il y a la fuite, l’abandon, la défaite, après il y a le ressaisissement, le combat, la victoire, comme dans n’importe quel bon film de catch mexicain ! A cet égard, le traitement sonore est assez clair : Matt, à notre immense surprise, frappe au hublot du Soyouz, à l’instar de Ryan nous ne comprenons pas tout de suite la scène, alors que nous nous assoupissions avec elle dans le calme soudain de la petite navette, et lorsque brutalement l’écoutille s’ouvre sur l’espace, en dépit de la violence du moment, un silence total se fait - silence finalement assez rare au cinéma et qui pourrait apparaître comme une anomalie. L’astronaute se hisse dans le vaisseau, se retourne, s’installe tandis que Ryan reste prostrée le visage dans les mains pour se protéger. Puis enfin, comme on pourrait faire reset sur un ordinateur, Matt remet en route tous les systèmes, le son revient, la lumière, puis Ryan s'anime à nouveau, nous montre son visage, se redresse, et c’est reparti pour un tour ! Après ça, la vodka, la country, et tout le reste, c’est un peu pour le folklore… Kowalski rééditera la mise à l’arrêt des systèmes, comme pour souligner la leçon de vie, comme si le cinéma ne suffisait pas à le faire, tout de même : « Ancre toi dans le sol et mets toi à vivre ! ». Cette seconde disparition de Kowalski signe la résurrection de Ryan, et le retour à un environnement hostile et âpre. Peut-être qu’un Georges Clooney moins bavard et cabotin n’aurait pas rendu cette scène moins compréhensible. Mais après tout, nous sommes tout de même à Hollywood, et il fallait nous expliquer un peu la scène. Dommage, elle n’en avait pas besoin.    

c’était mieux avant ?

Pour le coup, le fait pour Ryan de reprendre vie, raconte que ce n’était pas mieux avant, et qu’il a donc fallu que Matt Kowalski meure pour qu’elle s’en rende compte. A partir de là, on retrouve quelque chose du mysticisme chrétien de Cuaron, lorsque Ryan traduit son « sauvetage » par Kowalski comme une épiphanie qui lui a donné une ligne directe avec sa fille décédée. Le retour sur Terre, qui est donc un retour à la vie, est aussi une renaissance, un baptême qu’illustrera littéralement la scène finale qui a tout elle aussi de la résurrection, voire de la genèse même, puisque c’est de la glaise qu’émergera enfin la nouvelle Ryan. 

La gravité dans le film de Cuaron finit ainsi par avoir tout de la Grâce elle-même.   

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